Le coup du Byrrh par Alphonse Allais
— Où dînons-nous, ce soir ? — Si nous montions au Manoir ? — C’est une idée, dînons au Manoir. Le Manoir est une manière d’ancienne cour normande progressivement devenue auberge, pas mauvaise auberge, ma foi. On y déjeune sous les pommiers, au haut d’une falaise, d’où l'on découvre la mer et la baie de la Seine. M. Lécorcheur, le patron du Manoir, est un ancien huissier d’Yvetot qui lâcha un beau jour ses panonceaux à la suite de ce raisonnement lumineux : « Il y a plus de profit à héberger les gens riches qu’à saisir des pauvres gars sans le sou. » Il vendit son étude 3.000 francs — au bas mot — de plus qu’elle ne valait, et vint prendre la direction du Manoir auquel il imprima, grâce à son activité fébrile, une prospérité croissante. Durant la belle saison, la cour du Manoir ne désemplit pas. Ce sont des pèlerins, car l’auberge est proche de la fameuse chapelle de Notre-Dame-de-la-Garde, des touristes, cocottes, gommeux venus de Trouville, Cabourg et autres localités ad hoc. Des