Fait divers : L'assassinat du marchand de bois de Neuville-sur-Ain en février 1950


Nous sommes le vendredi 24 février 1950, dans une maison située à l'entrée de Neuville-sur-Ain. Il est 21 heures. Georges André, 57 ans, propriétaire d'une scierie, est attablé avec sa femme Jeanne, née Lacombe, ses deux filles, Madeleine, 28 ans, Paulette, 22 ans et son gendre, René Bourbon, 29 ans. Ils viennent de terminer leur repas et s’apprêtent à aller se coucher. Tout à coup, deux hommes masqués, revolver au poing, surgissent dans la cuisine. 

— Haut les mains ! s’écrie l’un d’eux.

Georges est mutilé de guerre, atteint de surdité, il ne réagit pas à la sommation. Le plus grand des deux individus appuie sur la gâchette. Georges André est touché en plein cœur, il s'écroule sous l'évier, mort sur le coup. 

Les gangsters ligotent ensuite les trois femmes et le gendre terrorisés puis fouillent la maison. Ils découvrent rapidement le coffre dans lequel la victime range économies et bijoux. Ils mettent le tout dans une musette, coupent le fil du téléphone, éteignent l'électricité puis s'en vont dans la nuit. Madeleine, l'aînée des filles réussit à dénouer ses liens et libère le reste de la famille qui s'empresse auprès de Georges. Mais il est trop tard, le père est mort. Paulette, la cadette, se rend immédiatement au Café des Terrasses pour appeler la gendarmerie. 

Le lendemain matin le commissaire Faudot, de la 10ème brigade mobile de Lyon, se rend sur les lieux avec plusieurs inspecteurs et le chien policier Basso. L’animal suit les traces des malfaiteurs de la maison du crime aux berges de l’Ain, mais là il s’arrête et ne renifle plus de piste. 

Le signalement des deux hommes masqués est transmis à toutes les brigades de gendarmerie. Les témoins le décrivent tous deux avec des yeux bleus et des cheveux blonds.

Quelques jours plus tard, lors des funérailles de M. André, une de ses filles s’évanouit au moment où un jeune homme aux yeux bleus très clairs, à la chevelure très blonde, lui présente ses condoléances. Revenue à elle, la jeune femme déclare que c'est l'assassin de son père. Deux inspecteurs de police se rendent chez le suspect, qui habite un hameau proche de Neuville. L’arrestation est effectuée tard dans la nuit, car le jeune homme blond « s’est attardé avec des amis ». Il est confronté le lendemain avec son accusatrice, mais la piste est fausse. Il est relâché et l'enquête piétine.  

Toutefois, la fiche de signalement des deux hommes masqués tombe sous les yeux de l’adjudant-chef Joseph Garin, de la gendarmerie de Bourg-en-Bresse. Joseph Garin, qui vient du village de Virignin, dans le Bugey, est réputé dans le pays pour son courage et sa témérité. Après la Grande Guerre, faite dans les rangs du 156ème régiment d’infanterie, il entre dans la gendarmerie en 1920. Le 14 avril 1933, il arrête, seul, un repris de justice armé. Le 28 juin 1942, une enquête lui permet l’arrestation de vingt-cinq escrocs à la prime de démobilisation. Le 13 février 1945, il découvre une vaste affaire de vols dans l’armée américaine et en fait arrêter tous les auteurs. Le 9 février 1948, il réussit à identifier le coupable d’un double crime. Mais les titres de gloire dont il est le plus fier, il les a gagnés pendant les noires années de l’occupation. Le 14 juillet 1940, il hisse le drapeau tricolore au mât de la gendarmerie de Bourg. Les Allemands, par deux fois, lui intiment l’ordre de l’enlever. Les deux fois, il refuse. La Gestapo l’arrête et l’oblige à se tenir au garde-à-vous sur le perron du palais de justice. Il restera là, debout, pendant qu’une compagnie de soldats allemands défilera devant lui, lui crachant au visage. Arrêté de nouveau en 1944, il est condamné, le 27 mai, à Besançon, et envoyé au camp de Compiègne d’où il ne sortira que miraculeusement vivant.

Tel est l'homme qui décide ce matin-là de partir à la chasse aux assassins de Georges André. Les inspecteurs de la Sûreté de Bourg-en-Bresse et de la Brigade mobile de Lyon, sous les ordres du commissaire Faudot, se joignent à lui. Leurs recherches dans Bourg ne donnent rien. Trois jours plus tard, un homme demande à parler à l’adjudant-chef Garin : « J’ai lu dans un journal le signalement des deux agresseurs de Neuville. Il se pourrait que vos hommes soient deux frères, Antoine et Charles Czaikowski. Charles travaille chez M. François Pignier, entrepreneur en maçonnerie. »

Garin n’hésite pas. Il flaire la bonne piste. M. Pignier lui annonce qu’il n’a pas vu Charles depuis plusieurs jours. Il apprend ensuite qu’Antoine va prendre quelquefois ses repas chez Mortel, une épicerie-buvette de la place Edgar Quinet. Garin se souvient maintenant d’Antoine Czaikowski : c’est un beau garçon, bâti en athlète, bien connu dans les milieux sportifs. Inscrit à la société L’Alouette des Gaules, il a participé, comme haltérophile, à de nombreux galas. Mais Garin sait aussi qu’il a été condamné, en décembre 1946, à Avignon, à deux ans de prison et dix ans d’interdiction de séjour pour vol et abus de confiance. Antoine (23 ans) habite dans une chambre de bonne, au 24 rue Bourgmayer, une vieille bâtisse aux escaliers de bois. Garin décide de s'y rendre avec le gendarme Matrey. L’adjudant-chef Garin frappe à la porte ; celle-ci s’entrouvre sur l’homme aux yeux bleus ; mais aussitôt ce dernier sort de sa poche un revolver et fait feu à bout portant sur les gendarmes. L’adjudant-chef Garin s’écroule, tandis que le gendarme Matray se jette sur l’agresseur pour tenter de le maîtriser. Il réussit à lui faire lâcher son arme, mais frappé à la tempe, il tombe dans l’escalier au cours d’un furieux corps à corps. Antoine Czaikowski parvient à se dégager et prend la fuite. L’adjudant-chef Garin est mort, Matrey est blessé et transporté à l'hôpital. 

Le meurtrier réussit à disparaître malgré les barrages établis quelques minutes plus tard sur toutes les routes autour de Bourg. Une perquisition effectuée à son domicile permet de retrouver un treillis américain ensanglanté, le foulard qu'il portait lors de l’agression de Neuville-sur-Ain, 800.000 fr., un lot de revolvers volés chez un armurier de Bourg et des objets provenant de cambriolages. 

Basso, le chien policier est aussitôt mis sur la piste d'Antoine Czaikowski. L'animal mène les policiers jusqu'à la gare de triage de Bourg, mais la piste s’interrompt au pont de la Chambière, au-dessus de la voie ferrée. Les enquêteurs pensent que l’homme tente de gagner Avignon, où il a de la famille et où son frère Charles, qui a participé avec lui au cambriolage de Neuville-sur-Ain, a été arrêté la veille. Mais il est blessé, il n'a qu'une chaussure car il a perdu l'autre dans la lutte avec le gendarme Matrey, il ne peut donc aller bien loin. 


Dans la soirée, le chef de gare d'Ambronay signale qu'il a aperçu un homme sauter d'un train de marchandises. C'est ensuite Mme Durouge, garde-barrière entre Ambérieu et Torcieu qui déclare : « Un homme, le front en sang est venu quémander de l'eau. Il a longuement trempé sa tête dans une cuvette. Il est reparti à travers bois. » Puis Mme Tissot de Bettant : « Je sortais de chez moi, lorsque j'ai vu surgir un individu hâve, le visage recouvert de plaques de sang séché et qui paraissait affolé. J’ai eu, pour le moins, aussi peur que lui. L’homme, d’une voix éteinte, m'a demandé où il pourrait trouver un prêtre, car, disait-il, il avait trop de choses sur la conscience. » Il est 23 h 15 lorsque les habitants du hameau de Dortan font savoir aux gendarmes qu’un homme erre dans la nuit, non loin des maisons.

À minuit, Czaikowski pénètre dans la ferme des Jacquier. Les gendarmes sont à ses trousses et lui demandent de se rendre. Mais Antoine Czaikowski saisit Marie-Louise, l’enfant de la ferme et s'en sert de bouclier pour tenter de prendre la fuite. Les gendarmes tirent, le bandit est touché à l'épaule. L'enfant tombe dans la boue, elle n'a pas une égratignure. Antoine tente à nouveau de s'enfuir, il est atteint par trois rafales de mousqueton. Conduit à l'hôpital d'Ambérieu, il avoue, avant de perdre connaissance être l’auteur de l'assassinat de Georges André à Neuville-sur-Ain. Antoine Czaikowski meurt le lendemain matin, à 10 heures, à l'hôpital de Bourg où il avait été transféré pour subir l’amputation d’un bras. 

Au même moment, son frère Charles arrêté la veille en Avignon avoue au commissaire principal Borel être l'auteur du meurtre de M. André. Une reconstitution, effectuée le lendemain à Neuville-sur-Ain confirme en tous points cette déclaration. Antoine, au seuil de la mort, a voulu disculper son frère, mais le sort en a décidé autrement. 


Sources : Ce soir du 26 février 1950, du 10 mars 1950 et du 11 mars 1950. Photos : Qui ? Détective du 20 mars 1950. 

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