Brève histoire du médaillon funéraire + Galerie de portraits


Vitrail photographique à l'église de Grand-Corent (Ain).

La loi impériale du 23 Prairial an XII (12 juin 1804), impose l’obligation d’inhumation pour tous dans un cimetière. Pour honorer un défunt et pour garder un souvenir de ses traits, les familles les plus riches avaient la possibilité de commander à un sculpteur une statue à l'effigie de la personne disparue. Les plus pauvres, eux, n'avaient que leurs yeux pour pleurer. 

En ce temps-là, c'est à la statue qu'on s'adressait pour conserver les traits des hommes. Le portrait était, presque autant que de nos jours, quelque chose de démocratique, à demi nécessaire à l'existence. Le sculpteur devait représenter les morts dans l'attitude qu'ils avaient le plus volontiers prise dans la vie. S'agissait-il d'un enfant, il le montrait avec son jouet favori ou son animal familier, oiseau, chien ou chat. Parfois, au lieu de l'outil professionnel, le sculpteur mettait dans la main du mort un attribut de son sexe ou un emblème de sa dignité : pour un père de famille, le coffret où il garde ses trésors ou ses documents, pour une jeune fille, le miroir de sa toilette, l'éventail qu'elle agite par contenance, la fleur ou le fruit, symboles de ses espérances ou de ses promesses dans la vie. Parfois, le défunt tient à la main un gobelet, un verre, un flacon, comme s'il était prêt à boire dans un banquet. Cela veut dire que ses amis boiront de la même manière qu'il est figuré, qu'ils banquèteront près de lui, devant sa tombe, à ses anniversaires, et que son image, le gobelet à la main, leur fera vis-à-vis et leur donnera la réplique. Il y avait dans ces statues plutôt l'image de la vie que la pensée du trépas.

La photographie apparaît dans les années 1830 mais elle ne tient pas dans la durée, ce qui stimulera les recherches sur la façon de la faire perdurer. On tentera d'abord de fixer les images photographiques sur des émaux ou de la porcelaine grâce à la cuisson. On essaiera ensuite de le faire sur du verre et puis sur du vitrail. C'est ainsi que le vitrail photographique apparaît, autour de 1880. Il consiste à développer sur du verre cuit à plus de 600°C une photographie pour la rendre inaltérable. Henri Racle, professeur de photographie parisien fut l'un des pionniers de cette ingénieuse innovation. Les photographies sur verre de Racle représentent des paysages, des reproductions de musées, des portraits. Le résultat est d'un éclat admirable, et, à cause de la matière translucide, possède une richesse de tons qui fait toute la différence avec les photographies qui ne possèdent pas encore la magie de la couleur. Pour monter un vitrail à partir d'une épreuve photographique transparente, il était nécessaire d'apposer une feuille de verre blanc sur la face de l'image, pour protéger la gélatine, et une feuille de verre dépoli sur l'envers, pour que les objets vus à travers l’image ne viennent pas troubler celle-ci. En résumé, un vitrail photographique se composait de trois verres. Il était donc forcément lourd et d’une certaine épaisseur, ce qui gênait le travail lorsqu’on voulait, par exemple, en encastrer un certain nombre dans des feuillures de plomb pour constituer un vitrail de fenêtre. La maison Guilleminot (fabrication de matériel photographique, 1890's-1920's) a trouvé la solution au problème, en supprimant l’usage du verre dépoli, par la fabrication de nouvelles plaques positives, dites opalines. Ces plaques sont faites à base de lactate d’argent, mais elles diffèrent de leurs aînées en ce que, par une préparation particulière, la couche gélatineuse se présente, même après toutes les opérations de développement, de fixage et de lavage, avec l’aspect d’un verre dépoli parfait. On n’a donc plus, dans le montage, qu’à faire emploi d’un verre blanc pour protéger la couche de gélatine.

De nombreux procédés se multiplient pour tenter d'aboutir au meilleur résultat : sérigraphie, pochoirs, impression sur verre par transfert, etc. C'est le maître-verrier Messin, Laurent-Charles Maréchal (1801-1887), qui deviendra le plus performant dans l'art du vitrail photographique. Il créera de nombreux vitraux pour les églises, notamment à l'effigie de Jeanne D'Arc ou du curé d'Ars. Cette technique du vitrail photographique s'étendra ensuite aux portraits funéraires. Mais là encore, seules les familles aisées pourront se l'offrir. Un exemple en photo à voir ici.

La technique du médaillon photographique sur plaque émaillée, plus modeste, permet à une clientèle moins fortunée d’accéder au portrait funéraire. A partir de 1920, le vitrail photographique disparaît des sépultures, remplacé avec un succès constant par la photographie sur plaque émaillée. Mais c'est à partir des années 40 que le procédé se généralise vraiment grâce aux techniques dorénavant bien maîtrisées. 

Sources : Camille JullianHistoire de la Gaule T. 6, 1920 / Le Panthéon de l'industrie, 1888 / Le Nord photographe, 1899.

Vous constaterez sur les photos suivantes, que selon la technique utilisée, ou peut-être selon la qualité du travail, les médaillons se sont plus ou moins bien conservés.

Jeannine Lacombe, photographiée par le Studio Harcourt, le photographe des stars depuis 1934. Médaillon de 1950. Cimetière de Druillat (Ain).

Ce médaillon a été photographié au cimetière de Druillat sur la tombe de la famille Lacombe, lors de la visite du Printemps des Cimetières, en 2018. J'ai appris ce jour-là que cette sépulture est en fait la tombe familiale de Bernard Lacombe, le célèbre attaquant français le plus prolifique de l’histoire du championnat de France de football, avec 255 buts inscrits entre 1970 et 1987. Sa carrière terminée, il est devenu dirigeant de L'OL. Bernard Lacombe est représenté sur la fresque des Lyonnais, au côté de 24 personnages historiques lyonnais et 6 personnages contemporains tels qu'Antoine de Saint-Exupéry, Louise Labé, Auguste et Louis Lumière, l’Abbé Pierre, Frédéric Dard, Bernard Pivot, Bertrand Tavernier ou encore Paul Bocuse. Cette peinture murale de 800 m2 de surface a été réalisée en 1994-1995 par CitéCréation. Elle est située dans le 1er arrondissement de Lyon, à l'angle du 49 quai Saint-Vincent et du 2 rue de la Martinière.

Louis Multin - Cimetière de Druillat - Médaillon de 1944.

Louis Multin, 20 ans, horticulteur. Fusillé par les allemands à Saint-Rambert-en-Bugey le 7 juillet 1944. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la région de Saint-Rambert-en-Bugey abrite plusieurs groupes de résistants. À l'approche du débarquement, ces groupes sabotent régulièrement la voie ferrée traversant la cluse des Hôpitaux. Le 6 juillet 1944, au cours de l'attaque d'un train blindé, six soldats allemands sont tués et une patrouille allemande est attaquée dans la ville. Les allemands tirent sur tout ce qui bouge. Les combats se prolongent tard dans la nuit. Le 7 juillet 1944, une trentaine de camions, assistés de motocyclistes et d'automitrailleuses, pénètrent la vallée de l'Albarine. La Wehrmacht et la Gestapo, épaulées par la milice, investissent la ville. Après une brève tentative de résistance devant le bâtiment du peignage, les maquisards doivent décrocher devant des centaines de soldats. Des barrages sont établis par les nazis aux entrées de la ville où de nombreuses personnes sont arrêtées. Trente otages, pris au quartier du four-à-chaux, à l'abbaye et à la mairie, sont parqués sous la Grenette (l'ancien marché couvert de Saint-Rambert, mairie actuelle). Si 18 otages sont libérés, 12 d'entre eux sont mitraillés à 21h45 dans la rue du Pavé (actuellement rue des Otages), dont Louis Multin et le maire de la ville, le Dr Michel Temporal.

Marie, Léon, Hélène. Cimetière de Neuville-les-Dames (Ain). Médaillon de 1932.

Frédéric Goldenberg. Fusillé par les allemands le 6 février 1944. Cimetière d'Evosges, Ain.

Né le 22 février 1925 à Anvers (Belgique), exécuté sommairement le 6 février 1944 à Évosges (Ain) ; cultivateur ; résistant des Forces françaises de l’intérieur.
L’identité précise de Frédéric Goldenberg n’est pas connue. Il était célibataire et habitait la région parisienne. Craignant les représailles contre les juifs, il s’enfuit de Paris et gagna d’abord la Savoie puis rejoignit la Résistance au groupe Nicole installé à la ferme de Marchat près d’Evosges, un groupe composé de réfractaires. Il prit le pseudonyme de "Jean Berthier".
Le 5 février 1944 dans le cadre de l’opération "Korporal" (Caporal), les forces allemandes lancèrent une attaque contre les maquis de l’Ain et du Jura, attaquant les camps les uns après les autres.
Trois résistants furent tués. Cinq habitants du village soupçonnés d’aider les maquisards furent pris en otage et fusillés. Le 6 février 1944 au matin Frédéric Goldenberg était en mission de ravitaillement avec Jean Lachambre, lorsqu’une colonne allemande progressant vers la ferme de Marchat les surprit. Ils furent arrêtés, interrogés puis abattus sur place. Restés ensevelis quinze jours sous la neige tombée en abondance, les corps ne seront identifiés que beaucoup plus tard, celui de Frédéric Goldenberg le fut seulement en septembre 1945.
L’acte de décès fut dressé le 27 février 1944 sur la déclaration d’Antoine Gauthier, cultivateur à Evosges, âgé de 23 ans, témoin du décès et d’Emmanuel Guillon, âgé de 50 ans, témoin de la mise en bière et rédigé comme étant celui d’un inconnu. Il y était précisé notamment, qu’il était « vêtu d’une veste grise, d’un chandail gris à carreaux verts, d’une chemise kaki, d’un cache-nez bleu rayé de jaune, d’un pantalon en velours marron soutenu par une ceinture en cuir ; chaussé de chaussettes bleues et de brodequins type armée. Un passe-montagne marron a été trouvé près de sa tête... ».
Il fut identifié par jugement du Tribunal en date du 18 décembre 1945 transcrit sur les registres de la commune d’Évosges le 25 janvier 1946.
Il fut inhumé au cimetière communal, à Évosges (Ain), sous le n° 2.
Il obtint la mention « Mort pour la France » portée sur l’acte et fut homologué aux Forces françaises de l’intérieur (FFI). (Source : Fusillés 40-44 Maitron).

Père et fille - Cimetière de Saint-Rambert-en-Bugey. Une date est lisible : 1918. Impression sur verre ou vitrail photographique ? Des médaillons en parfait état. Très rares de nos jours dans l'Ain. 

Marie - Cimetière de Neuville-les-Dames. Médaillon de 1981. Portrait de jeunesse.

Alice et Hortense - Cimetière de Druillat (Ain).

Simone Hannibal, chanteuse lyrique - Cimetière marin de Sète. Article à lire ici.

Antoine - Cimetière de Druillat (Ain) - Médaillon de 1934.

Eliane et Paul - Cimetière de Tenay (Ain)

Marceline - Photographie post-mortem - Cimetière de Nantua (Ain) - Article à lire ici.

Antoine - Cimetière de Druillat (Ain) - Médaillon de 1952.

Une mauvaise photo qui rappelle vos traits vaut mieux qu'un beau paysage qui ne vous ressemble pas (Pierre Dac). Cimetière de Meyriat (Ain).

Louise - Cimetière de Druillat - Décédée en 1916. Médaillon de 1916 ? Excellent état.

Joseph et Marie (je ne l'invente pas) - Cimetière de Meyriat, Ain.

Louise - Cimetière de Druillat - Médaillon de 1933.

Robert et Yvette se sont aimés toute leur vie. Sur leur tombe, deux médaillons témoignent du chemin parcouru ensemble. Ils sont tous les deux décédés en 2013. Cimetière de Saint-Rambert-en-Bugey (Ain).


Marcel - Cimetière de Druillat.

Auguste, Josette et le chien - Cimetière de Saint-Rambert-en-Bugey (Ain).

Robert - Cimetière de Druillat - Médaillon de 1952.

André - Mort pour la France - Cimetière de Saint-Rambert-en-Bugey.

Jean-Lou - Cimetière de Saint-Jean-le-Vieux (Ain) - Médaillon de 1970.

Cimetière de Saint-Jean-le-Vieux (Ain). 

Félix-Henri - Cimetière de Saint-Jean-le-Vieux - Médaillon de 1937.

René Magdelaine, fusillé par les allemands à l'âge de 19 ans, le 13 juillet 1944 à Chevillard (Ain) - Cimetière de Bourg-en-Bresse.

René Magdelaine, né le 26 mars 1925 à Bourg, Bourg-en-Bresse (Ain),  était le fils de Marcel Zénon, chef d’atelier et de Marie Léontine Perrin, sans profession. Il était célibataire et exerçait le métier de mécanicien à Bourg. Il entra dans la Résistance en 1943 aux Forces unies de la jeunesse patriotique (FUJP), maquis de l’Ain, comme chef de groupe franc à la 5e compagnie, avec le pseudonyme de "Boby". Il fut fait prisonnier au combat le 12 juillet 1944 aux Carrières d’Hauteville-Lompnès (Ain), il sera fusillé le lendemain à Chevillard (Ain). Il est inhumé dans le carré militaire au cimetière communal de Bourg-en-Bresse. Il fut homologué au grade d’adjudant de la Résistance intérieure française (RIF) et obtint le titre de "Déporté et interné résistant" (DIR). Son nom figure sur le monument aux morts à Bourg-en-Bresse.

Marcel - Cimetière de Cerdon, Ain. Médaillon de 1919.

Antoinette. Sans date. Cimetière de Vaux-en-Bugey (Ain).

Auguste. Mort pour la France. Médaillon de 1914. Simandre-sur-Suran (Ain).

Clément. Médaillon de 1958. Cimetière de Vaux-en-Bugey (Ain).

David. Médaillon de 1971. Cimetière de Vaux-en-Bugey (Ain). 

Nicole. Médaillon de 1964. Cimetière de Serrières-sur-Ain (Ain).

P'tit Louis - Cimetière de Cerdon, Ain. Un médaillon assez récent qui s'efface déjà.

Auguste Lyard. Matricule 859. Mort pour la France à Vendresse-Beaulne (Aisne) le 16 avril 1917 à l'âge de 21 ans. Médaillon très abîmé au cimetière d'Ambronay (Ain). 

Janine. Sans date. Cimetière de Bourg-en-Bresse, Ain.

Je n'ai pas pensé à relever le nom de ce charmant monsieur, ni la date du décès. Correction sera faite prochainement. Cimetière de Druillat, Ain.

Germaine. Médaillon de 1981. Cimetière de Rignat (Ain).

Henri. Médaillon de 1982. Cimetière de Rignat (Ain). 

Encore un oubli qu'il faudra réparer car ni prénom ni date pour ce médaillon. Un portrait chargé de tendresse qui m'a fait perdre de vue l'essentiel : lui donner un prénom. Cimetière de Pont-d'Ain, Ain.

Jean et Germaine. Portrait de jeunesse. Médaillon de 1970. Cimetière de Rignieu-le-Désert (Ain).

La jeune inconnue. Nom et dates illisibles (à moins que ça ne soit encore un oubli de ma part !). Cimetière de Sainte-Julie, Ain.

Auguste Guillerminet. Mort pour la France dans la bataille de la Somme, le 15 septembre 1916 à l'âge de 22 ans. Cimetière de Saint-Martin-du-Mont (Ain).

Juliette, victime d'accident d'auto le 28 septembre 1929 à l'âge de 25 ans. Cimetière de Montmerle (commune de Val-Revermont, Ain).

Désiré. Médaillon de 1926. Cimetière de Simandre-sur-Suran (Ain).

Joseph. Médaillon de 1935. Cimetière de Vaux-en-Bugey (Ain).

Marie-Joséphine. Médaillon de 1934. Cimetière de Vaux-en-Bugey (Ain).

Fernand Bertillot. FFI. Mort pour la France. Tué aux carrières d'Hauteville le 12 juillet 1944 à l'âge de 22 ans. Cimetière de Certines (Ain).

En conclusion, j'ai envie de vous dire qu'il ne faut jamais visiter un village sans visiter son cimetière. Les ancêtres qui reposent dans ce lieu nous "racontent" souvent beaucoup plus d'anecdotes que ce que l'on peut lire dans les guides touristiques. Ils sont l'âme du village, ils ont fait son histoire et c'est grâce à leurs noms, leurs épitaphes, leurs portraits funéraires, l'architecture de leurs tombes, que l'on peut ensuite plonger dans les archives (ou la généalogie) afin de reconstituer leurs vécus, et par conséquent, la biographie de la commune. 

Le mot de la fin est donné à Jacques Prévert, tiré du poème "Barbara" (1945) : Quelle connerie la guerre ! 





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