Intolérance religieuse à Tenay (Ain) en 1832


Tenay - L'Albarine, son église.

Se « promener » dans les archives de presse est un loisir terriblement addictif. Plus on lit, plus on découvre, plus on apprend, et plus on a envie de compulser frénétiquement tous ces vieux journaux ! Je ne résiste donc pas à l'envie de créer une nouvelle rubrique sur ce blog pour partager avec mes (trois 😄) lecteurs, mes futures découvertes. Voici la première, retranscrite entièrement ci-dessous pour plus de confort de lecture. Le courrier savoureux d'un lecteur, trouvé dans Le Courrier du 24 novembre 1832. 

« À M. le Rédacteur du Courrier Français.

Tenay, le 19 novembre 1832.

Monsieur,

Plusieurs fois vous avez signalé des actes d'intolérance religieuse, et par la publicité vous avez cherché à en prévenir le retour. Les efforts de la presse, l'influence de notre révolution, semblaient rendre de plus en plus rares les conséquences du fanatisme ; mais aujourd'hui que l'influence du clergé semble renaître ; que les rigueurs par lesquelles il a signalé son pouvoir, sous la restauration, se multiplient, il est du devoir d'un bon citoyen de chercher à l'arrêter dans sa marche ; et c'est avec la conviction des besoins où est aujourd'hui la société de se défendre de nouveau contre l'intolérance religieuse, que je viens vous signaler un événement que tant de circonstances graves font sortir du cercle de ceux que vous avez publiés jusqu'ici.

Une jeune fille est trouvée noyée dans l'Albarine, à quelque distance de Tenay ; rien n'indique que la mort soit la conséquence d'un suicide. Le curé se refuse à cette inhumation. Pénétrés du respect dû à la mort, les habitants se réunirent en grand nombre pour lui rendre les derniers devoirs, et le maire, décoré de ses insignes, se mit à la tête du convoi. L'on approchait de l'église, lorsque le peuple, pénétré d'un sentiment religieux, accablé d'une tristesse à laquelle ajoutait le silence de la cérémonie et le refus de prières qu'il était habitué d'entendre, exprima le désir de répandre de l'eau bénite sur la tombe de celle qu'il accompagnait. L'homme préposé au service de l'église se rendit à son vœu et s'empressa d'aller chercher le vase destiné à contenir l'eau bénite. Le convoi s'était arrêté et l'attendait en silence. Tout-à-coup la fenêtre du presbytère s'ouvre, le prêtre se montre, et, élevant la voix, il demande de quel droit, sur quel ordre, le préposé emporte l'eau bénite, il lui ordonne de revenir immédiatement sur ses pas, et s'écrie avec violence que l'autorité civile n'a rien à voir dans son église. Le maire, témoin de cette scène, crut devoir à sa dignité, à la solennité des funérailles, d'éviter tout conflit entre le prêtre et lui ; il espérait par cette conduite écarter de nouveaux scandales ; son espoir devait être trompé. Le cortège allait continuer sa marche, lorsque, pour suppléer à ce qui avait été si durement refusé, un homme se détache du convoi et revient portant un verre d'eau qu'il avait puisée dans le vase de l'église. Le prêtre, qui le suivait des yeux, s'élance hors du presbytère, le menace du geste et de la voix, le poursuit en exhalant sa colère jusqu'au milieu de l'assistance, qui ne répondit à ces démonstrations, aussi inconvenantes que scandaleuses, que par l'impression du calme et de la douleur.

C'est avec un sentiment pénible, Monsieur le rédacteur, que je me vois forcé de livrer à la publicité cet acte d'intolérance. J'y répugnais à tel point qu'en 1829, je négligeai de signaler le refus que fit le même curé de Tenay, non seulement d'inhumer un homme aliéné, qui s'était suicidé dans un acte de folie, mais encore de l'admettre dans le cimetière. J'étais alors absent ; et si je ne fusse pas arrivé le lendemain, ce malheureux aurait été porté de nuit à la voirie ! L'ordre de faire le creux avait été donné par l'adjoint, qui ignorait que la police des lieux d'inhumation appartînt à l'autorité municipale. Ce refus était cependant d'autant plus propre à exciter mon indignation, qu'à quelques jours de là, on inhuma avec toutes les pompes de l'église le curé d'Argis (commune à un quart de lieue de Tenay), qui s'était donné la mort en se jetant dans une écluse de moulin, après avoir attaché à son cou une pierre, tenue avec les cordons qui servaient à ses vêtements sacerdotaux.

Agréez, etc. Le maire de Tenay, RONCHAUD. »

Emile Ronchaud fut maire de Tenay de 1928 à 1934. C'est lui qui a fondé, en 1825, à Tenay, la première filature française de schappe (procédé qui consistait à faire un fil continu avec un cocon de soie défectueux)


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