Marceline la poupée au sommeil éternel - Cimetière de Nantua (Ain)


Marceline, cimetière de Nantua.

Je savais qu'au XIXe siècle on pratiquait couramment la photographie post-mortem. Mais je n'avais jamais vu de photos en dehors d'Internet. Même pas dans les cimetières que je visite pourtant régulièrement (parce qu'on y trouve des tombes qui incitent à se replonger dans l'histoire). Jusqu'à ce jour de balade dans le magnifique cimetière de Nantua où j'ai découvert la petite Marceline au sommeil éternel. 

La photographie post-mortem consistait à habiller les personnes récemment décédées avec leurs vêtements personnels, et à les mettre en scène avec leurs objets favoris dans un dernier portrait individuel ou de groupe. Elles étaient placées et positionnées pour faire croire qu'elles étaient simplement assoupies ou bien placées de manière à apparaître plus réalistes, les yeux ouverts. Les enfants étaient souvent représentés au repos sur un canapé ou dans un lit d'enfant, parfois avec un jouet. Il n'a pas été rare de photographier de très jeunes enfants avec un membre de la famille, le plus souvent la mère. Certaines images (en particulier les ferrotypes et ambrotypes), étaient parfois teintées pour ajouter par exemple un peu de rose aux joues du défunt. Ça paraît glauque aujourd'hui, mais photographier les défunts n'était pas considéré comme sinistre à cette époque influencée par le romantisme. Les anciennes générations appréhendaient la mort de manière "sentimentale", les amenant même parfois à la considérer comme un privilège. Il était classique, dans les familles importantes, d'immortaliser les défunts sur leur lit de mort (on dispose par exemple de nombreux clichés d'hommes politiques décédés, ou d'auteurs comme Victor Hugo). De plus, à l'époque Victorienne, l’une des promenades du dimanche était d’aller visiter la morgue. Loin d'être une pratique marginale, c'était au contraire un but de promenade très commun. La morgue de Paris était à cette époque l’un des endroits les plus visités de la capitale et cela pour plusieurs raisons. Les corps des personnes non identifiées y étaient exposés en vitrine car cela permettait aux visiteurs d'éventuellement les reconnaître et donc de les identifier. La baisse des exécutions publiques incitait également à se rendre à la morgue pour y trouver un certain goût du frisson et du spectacle car les cadavres exposés étaient souvent victimes de morts violentes. La dernière raison, plus malsaine encore, était que tous les corps étaient entièrement nus. Lorsqu'un cadavre avait beaucoup de succès, il était exposé plus longtemps, voire même embaumé. La fermeture des morgues au public en 1907 a permis de stopper ces pratiques voyeuristes. 

Morgue de Paris.

Au début du XIXe, se faire peindre un portrait n'était pas à la portée de toutes les bourses, mais grâce à l'invention du daguerréotype, par Louis Daguerre, en 1839, les classes moyennes eurent accès au portrait photographique. Cette méthode, moins chère et plus rapide, donna à la population un nouveau moyen de commémorer ses chers disparus. Dès 1842, l’atelier parisien Frascari proposa des portraits à domicile de personnes décédées.

A l'époque, le taux de mortalité infantile était si élevé que le portrait post-mortem était souvent la seule image que la famille possédait de l'enfant. Les photographes cherchaient continuellement à améliorer l'esthétique de l'image et utilisaient diverses astuces pour embellir le défunt et le dépouiller des effets de la mort en utilisant deux styles de mises en scènes : simulant la vie ou simulant le repos (le cas ici pour Marceline). La photo sans simulation (cercueil ouvert), apparaît un peu plus tard avec l'idée de ne plus faire semblant mais de rendre un ultime hommage à la personne disparue. 



La pratique atteignit son pic de popularité vers la fin du XIXe siècle et fut en très fort déclin à partir de l'apparition de la photographie instantanée : l’américain Georges Eastman, fondateur de Kodak, conçoit en 1888 la première « pellicule », offrant 100 prises de vue. Quelques portraits commémoratifs officiels furent encore produits au cours du XXe siècle. 

La photographie post-mortem est encore pratiquée dans certaines régions du monde, comme l'Europe de l'Est, mais cette coutume a perdu de son sens, avec notamment l'évolution de la notion de cadavre et du respect dû à la dépouille. La photo post-mortem est désormais utilisée principalement par la police médico-légale. Mais on en retrouve également trace dans le journalisme : les photographies effectuées à l'ouverture des camps de concentration qui ont révélé dans les journaux du monde entier les massacres perpétrés par les nazis, les clichés pris à Naples dans les grandes guerres entre clans mafieux ou encore les images des cadavres de dictateurs exécutés comme Mussolini ou Saddam Hussein. 

Une vidéo sur Arte : Au Palais Royal, dernier cliché avant l'éternité. A voir jusqu'au 30 octobre 2022. Merci Geo ! 

Sources : Photographies commémoratives post mortem américaines du XIXe siècle : mises en scène et mises en sens du cadavremémoire de Stéphanie Mignacca / Wikipedia / Cabinet de Curiosité (vidéo).

Photographie de parents, posant avec leur fille, morte depuis peu (époque victorienne).


Dispositif pour tenir les corps debout.



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