Triste fin pour le restaurant étoilé "la Mère Bourgeois" à Priay (Ain)


L'enseigne peinte se dévoile avant totale disparition.

Marie-Clémentine Humbert naît à Villette-sur-Ain en 1870. Le 3 novembre 1894, à l'âge de 24 ans, elle épouse André Bourgeois avec lequel elle se lance dans la restauration. 


Après plusieurs années de restauration à Villette-sur-Ain, le couple achète en 1908 l'ancien Hôtel Foray, tenu par L. Emeyriat sur la commune voisine de Priay, au 85 Grand-Rue. L'établissement comprend un restaurant au rez-de-chaussée et quelques chambres à l'étage. C'est ainsi, et c'est ici que cette autodidacte commencera à se faire connaître auprès de la bourgeoisie environnante. 


La première guerre mondiale fragilise l'entreprise, mais elle repart sans difficulté en 1920 et la Mère Bourgeois devient l'une des meilleures tables de France. L'hôtel-restaurant est très fréquenté par la clientèle parisienne qui se rend sur la Côte d'Azur mais également par la bourgeoisie lyonnaise, Priay étant situé à 56 km de la capitale des Gaules. 


Le 4 octobre 1922, la Mère Bourgeois est la première femme couronnée par le club des Cent. Son diplôme exposé dans sa salle de restaurant porte le numéro 1. Le Club des Cent, créé le 4 février 1912 par Louis Forest, Dominique Lamberjack, Camille Cerf, Louis Chavenon et Lucien Louvet est un club relativement fermé de la gastronomie française. Il est aussi connu sous le nom de Compagnons de Cocagne. Le Club reste fidèle à ses principes : « Ce que nous voulons, c’est une liste des seules maisons où l’on mange de très bonnes choses, sur du linge bien blanc et dans de la vaisselle bien propre. » Les réunions ont leur siège chez Maxim’s, mais ils font également des déjeuners à l’extérieur. Le club est né avec le tourisme automobile, réservé, au début du XXe siècle, à un très petit nombre. Il avait été fondé dans le but pratique de partager dans une certaine confidentialité les meilleures adresses. Son guide reste réservé à ses membres. Il ne compte que cent membres (d'où l'origine de son nom), mais aucune femme. (sexisme !) Chacun d'entre eux est proposé par deux parrains et admis par un jury après un examen gastronomique et œnologique. Les membres sont désignés à tour de rôle pour organiser chaque jeudi, à l'attention des autres participants, un repas gastronomique dans un établissement différent ; un tiers des centistes donc se retrouve chaque jeudi, dans un restaurant réputé ou un bistro raffiné pour un déjeuner imaginé par l'un des leurs, baptisé pour l'occasion « brigadier ». Le manque excessif d'assiduité peut être cause d'exclusion, comme cela arriva à l'acteur Christian Clavier. En 2019, il rassemble, entre autres, Pierre Arditi, Claude Bébéar, Philippe Bouvard, Martin Bouygues, Henri de Castries, Xavier Darcos, Michel David-Weill, Jean Ferniot, Jean-René Fourtou, Guillaume Gallienne, Michel Dalberto, Laurent Burelle, Claude Imbert, Paul Lombard, Jean de Luxembourg, Jacques Mailhot, Bruno Mantovani, Albert II de Monaco, Jean-Marie Messier, Robert Peugeot, Bernard Pivot, Jean-Pierre Raffarin, Eric de Rothschild, Louis Schweitzer, Jean Solanet, Erik Orsenna, Laurent Stocker, Nicolas d'Estienne d'Orves, Patrick Werner, Gilles Pélisson, CK Bannel, et quelques chefs, dont Ducasse, Vigato, Pacaud.


En 1927, Marie Bourgeois obtient le premier prix culinaire à Paris.
En juillet 1929, le Diplôme du mérite agricole.
En 1933, c'est la consécration : Michelin décerne trois étoiles à Marie Bourgeois, âgée de 63 ans. Ce sera la première femme étoilée du célèbre guide. Elle les conservera quatre années consécutives, jusqu'à son décès le 2 août 1937 à l'âge de 67 ans.


Louis Barthou (1862-1934), ministre, président du conseil, président de l'assemblée nationale, aime y déjeuner régulièrement entre deux voyages diplomatiques. Siégeant souvent à Genève, il fait fréquemment étape. Sa dédicace sur le livre d'or est éloquente (mais encore une fois sexiste) : « Si la société des nations se réunissait autour des tables du Père Bourgeois, les nations constitueraient la plus unie et la plus belle des sociétés. Mais c'est une caution « Bourgeois » qui n'est pas du goût de tout le monde. Tant pis ! Pour ma part, je viens de faire un déjeuner qu'une seule épithète peut louer : merveilleux » (Louis Barthou, 28 septembre 1922).



Après guerre, les plus grands noms en ont fait leur lieu de prédilection. L'Aga Khan III (1877-1957) et sa femme, la Bégum, venaient régulièrement se délecter du pâté chaud, la grande spécialité de Marie. Le restaurant recevait souvent à sa table Edouard Herriot (1847-1964) ancien ministre, président du conseil et de la chambre des députés, mais surtout célèbre Maire de Lyon et grand habitué des lieux. Le 5 Novembre 1944, c'est en tant que chef du gouvernement provisoire que le Général de Gaulle (1890-1970) vient y déjeuner avec le journaliste et grand résistant de la France libre Yves Farge (1899 -1953). En 1974, le futur président de la république Française François Mitterrand (1916-1996) vient signer à son tour le livre d'Or.


Après avoir créé et tenu pendant 29 ans son « Hôtel-restaurant Bourgeois » de 1908 à 1937, la fille de Marie, qui la seconde déjà depuis 1929 lui succède. Thérèse restera aux fourneaux pour continuer l'aventure de ses parents jusqu'en 1951. L'heure de la retraite ayant sonnée elle transmettra à son tour cette adresse de renom à Georges Berger. De 1977 à 1985 c'est Jacqueline Reydellet qui en reprendra les rênes. De 1985 à 1998 Gilbert Lombard reprendra le flambeau pour finir dans l'escarcelle d'Hervé Rodriguez de 1998 à 2006. L'établissement fermera définitivement ses portes peu de temps après, en 2010.


Parmi les plats célèbres de la mère Bourgeois on retiendra la poularde aux morilles, le turban de sole sauce carmélite, les grenouilles fraîches, l'île flottante aux pralines roses, les petits choux au caramel blond, sans oublier le pâté chaud qui a fait sa réputation et qui a attiré chez elle les plus grands. Les gratins de queues d'écrevisses, les volailles de Bresse et les poissons de la Dombes seront également servis de manière constante. 

Depuis 2010, le restaurant était à nouveau en vente, mais sans entretien, il a commencé à se dégrader sérieusement. La commune de Priay a acheté l’établissement en février dernier dans le but de le démolir pour en faire un... parking. 😓😒 C'est tout un pan du patrimoine culinaire et touristique du département qui s'en va. 


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