Zoom sur le Grand Hôtel Ripotot à Champagnole (Jura)


Je me suis rendue à Champagnole dans le Jura, grâce à Raymond Depardon, ou plutôt grâce à son livre magnifique : La France de Raymond Depardon, dans lequel on retrouve 300 photographies en couleurs et en grand format d'une France un peu oubliée, de lieux désertés par le tourisme, vieux commerces, vieilles façades, où l'homme réside encore toutefois, en tentant de vivre, voire de survivre. Dans ce livre, Raymond Depardon a choisi de ne garder qu'une seule photo de chaque lieu traversé. Pour Champagnole, il a choisi la salle culturelle Le Rex, et c'est pour photographier cette salle que j'ai pris la route du Jura. Mais en arrivant dans la ville, je suis tombée sur cet immense hôtel abandonné qui m'a totalement éblouie. Merci infiniment, M. Depardon de m'avoir permis de découvrir ce fabuleux bâtiment. J'ai bien sûr ensuite trouvé Le Rex : voir sur Instagram.


Le Grand Hôtel fut fondé en 1875 par Florian et Marie Ripotot sous le nom de Grand Hôtel du Commerce. Il est situé sur la Nationale 5 ou "route blanche, la route des ambassadeurs", appelée ainsi après la création à Genève en 1919 de la Société des Nations. Les ambassadeurs qui repartaient de Genève pour se rendre à Paris passaient par Champagnole et faisaient halte à l'hôtel. Lorsque la Société des Nations sera remplacée en 1945 par l’Organisation des Nations Unies (ONU) située à Manhattan, les membres de l'organisation internationale ne passèrent évidemment plus par Champagnole pour se rendre aux Etats-Unis.😊Avec la disparition de la Société des nations à Genève, la création de la voie contournante et de l'autoroute des Titans, la fréquentation via la Nationale 5 a fortement diminué, entraînant la fermeture de nombreux hôtels à Champagnole, dont celui-ci en 2011.


Jusqu'à la seconde guerre mondiale, l'hôtel était réputé pour sa cuisine (présent sur le premier guide Michelin en 1900), sa qualité de réception, sa taille (80 chambres) et sa beauté. A l'arrière, deux immenses terrasses surplombent un grand parc sur lequel se trouve un terrain de tennis, ce qui n'était pas courant à l'époque. La bourgeoisie locale venait s’entraîner là et faire un peu de compétition.

De 1939 à 1945, la ville de Champagnole est occupée par l'armée allemande qui aurait fait de l'hôtel Ripotot son QG, mais impossible de vérifier cette info, cela reste donc au conditionnel. 

Le Grand Hôtel a vu défiler entre ses murs de nombreuses personnalités de la politique, de la diplomatie, des arts et des lettres : des chefs d’état comme le roi d’Égypte Fouad 1er, Moulay El Hassan (futur Hassan II), Édouard Herriot, ainsi que de nombreuses célébrités : Tristan Bernard, François Mauriac, Yvonne Printemps, Pierre Fresnay, Jean-Louis Barrault, Jean Nohain, etc. Son livre d'or est un modèle du genre et il serait très long d'énumérer les noms des chefs d'Etats, ambassadeurs, ou grands musiciens qui y ont apposé leur signature après un repas.

L'hôtel appartient aujourd'hui à Raymond Ripotot (arrière petit-fils de Florian) et sa femme Maria Winiecka-Ripotot qui en était la directrice. Il est en vente depuis 2011 au prix de 570 000 euros. 

En 2014, tout le mobilier fut mis en vente aux enchères : pièces d’argenterie, tables de salle à manger style art déco, collection de bimétaux (qu’on ne trouve plus), baignoires pieds de lion, lits bateaux, reproductions d’affiches d'Alphonse Mucha, vaisselle, lavabos, commodes, armoires, etc. Un déchirement pour la famille Ripotot, une page qui se tourne et sur laquelle il est impossible de revenir.

Quelques critiques trouvées dans les archives en ligne :

"Nous ne pouvons quitter Champagnole sans faire l'éloge de l'Hôtel du Commerce, aménagé avec tout le confort désirable, lumière électrique dans toutes les chambres, bonne cuisine, propreté universelle. Quand donc MM. les hôteliers comprendront-ils que la propreté de leurs locaux est la meilleure des recommandations ?" (Bulletin du Club alpin français de janvier 1896).

"Nous gardons de notre bref séjour un excellent souvenir, dû à la fois, sinon à la ville, du moins à son environnement et surtout à l'hôtel Ripotot où nous sommes descendus. Votre voiture garée, sortez pour admirer la façade de l'hôtel, elle en vaut la peine, elle est superbe ! Pourtant, à l'admiration succède bientôt un peu d'inquiétude. L'effort de l'architecte n'a-t-il pas atteint sa limite, et n'allez-vous pas déchanter en passant derrière le décor ? Rassurez-vous, nous ne sommes pas au théâtre, l'envers vaut l'endroit, et puisque l'endroit donne envie d'entrer, n'attendez pas davantage. Quelle bonne maison ! Et que voilà tourelles et étoile méritées, merci M. Michelin ! C'est l'excellent hôtel de Province, vaste, confortable, traditionnel sans être vieillot, rénové sans tomber dans le facheux "modernisme" et sacré nom d'un chien, ce que l'on y mange bien ! Faites comme le chef, ne manquez pas le coq au vin d'Arbois. Les prix sont sages et l'établissement prolongé d'un immense jardin dont nous ne saurions trop vous vanter l'agrément." (Georges et Jacqueline Béranger - Géographie gourmande de la France : comment faire venir sur votre table les meilleurs produits de nos provinces, 1978).



"Carré d'As (Poème de M. Romain Coolus à la gloire de cinq maîtres-queue : Chevillot de Beaune, Pernollet de Belley, Ripotot de Champagnole, Bergerand de Chablis et Point de Vienne. Poème paru dans le journal Comoedia du 10 décembre 1927).

Chevillot, Pernollet, Ripotot, Bergerand,
Suppôts d'un art très noble et d'un métier très grand,
Je salue avec feu vos vertus cuisinières.
Vous savez les secrets et les fines manières
Par quoi les plats sont purs et les repas princiers.
Vous êtes rôtisseurs et vous êtes sauciers.
Par vos herbes, par vos épices, par vos crèmes, 
Vous transformez les nourritures en poèmes.
Pour celui qui vous hante, Illustre quatuor,
La vie, affreux billon, devient un rêve d'or,
Et les pinards divins dont vous arrosez l'âme 
Rendent l'homme plus fort et plus tendre la femme.
Juin 1925"










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