Préau : Quand un village voit le jour autour de son moulin à papier - La cartonnerie Dubreuil (Ain)

 

La cartonnerie Dubreuil aujourd'hui. Lieu-dit "Chez Liche".

C'est à Cerdon que ce sont implantées les quatre plus importantes papeteries du département. Les résurgences abondantes du Bugey attiraient les fabricants de papier qui y trouvaient des eaux claires propices à la préparation de la pâte et ne manquaient pas de débouchés grâce à la proximité de Lyon et de Genève. Aujourd'hui, il ne reste que la cartonnerie Dubreuil, la première à s'être installée sur les bords de la Moréna, à Préau, en 1427. Claude de La Baume, châtelain de Thoire et Villars, reçoit « trois deniers de cens » de Pierre et Jean Maréchal pour l’abergement d’une place à l’effet d’y dévier l’eau du ruisseau de Préau et d’y construire le premier moulin à papier. C'est dans ce moulin que s'installera le premier maître papetier de la famille Dubreuil : Pierre Dubreuil, papetier de Sardon en Savoie. Ce moulin s'enrichira de deux autres bâtiments vers la fin du XVIIe siècle. Le dernier agrandissement fonctionnera 40 ans avant sa fermeture définitive, autour de 1860. Lorsque Pierre Dubreuil s'installe dans son moulin pour y fabriquer son papier (vers 1500), son entreprise est toute seule au bord de la rivière, en pleine forêt. Ce n'est qu'après que les maisons se sont construites, formant le hameau de Préau. Ces maisons étaient vraisemblablement destinées aux ouvriers de la papeterie.

Arrière de la cartonnerie.

Le papier est fabriqué à partir de chiffons de chanvre, lin et coton. Les ouvriers étaient chargés de les déchirer, de les faire macérer dans l'eau puis de les écraser pendant des heures avec des maillets jusqu'à ce que les chiffons prennent la consistance d'une pâte laiteuse appelée cellulose végétale. Cette pâte était ensuite versée dans des "moules" à papier afin d'être égouttée puis séchée.

Intérieur - Rouleaux de papier abandonnés.

Succéderont à Pierre, depuis les années 1500, pléthore de descendants Dubreuil. La papeterie deviendra ensuite cartonnerie. Le bâtiment qui existe encore aujourd'hui n'a évidemment plus rien à voir avec l'original qui a été entièrement détruit en 1858 suite à des chutes de rocher tombés de la montagne (voir plus bas). Il reste cependant une pierre gravée de l'ancien bâtiment sur la façade de l'actuelle cartonnerie, sur laquelle on semble lire : 1772 - E.D. Les initiales peuvent correspondre à Etienne Dubreuil, né en 1738 et devenu papetier comme son père Jacques, ou bien à celles du tailleur de pierre. 1772 correspond vraisemblablement à la date de la taille. 

Pierre gravée introduite dans le bâtiment récent.

Fait divers : Le dimanche 27 février 1853 en début de soirée, Pierre Dubreuil (pas celui d'origine !), dit "Maco", est chez lui avec trois de ses enfants, tandis que sa femme et les quatre autres sont à la chapelle de Préau (voir plus loin la légende de la chapelle à la Vierge Noire). Tout à coup un énorme bruit se fait entendre et d'énormes blocs de pierres tombées de la montagne écrasent littéralement la maison du papetier. Toute la population accourt et se met aussitôt à fouiller les décombres à la recherche de survivants. Les villageois trouvent d'abord les deux fillettes qui sont seulement contusionnées, puis le garçon qui a été projeté contre le poêle. Il a tout un côté brûlé. Deux heures et demi plus tard, Pierre Dubreuil est retrouvé vivant sous les gravats de son moulin. Ce soir-là, tout à péri : vache, ânesse, chèvre, vin, fûts, blé...  Tout à été broyé, pulvérisé, mais aucune des quatre personnes n'a reçu de blessures mortelles. Un miracle de la Vierge Noire ? 😉

Aujourd'hui Préau est un hameau de Cerdon, mais cela n'a pas toujours été le cas. Pendant un temps, le village était scindé en deux. D’un côté, la chapelle, six maisons et une partie de la cartonnerie appartenaient à la commune de Mérignat. De l’autre, le reste du hameau (composé de 38 habitants à l’année en 2020, 50 en période estivale), appartenait à la commune de Cerdon. La route de la Cartonnerie faisait office de frontière. Enclavé entre deux montagnes, le village bénéficie d’un microclimat. Traversé par la rivière La Moréna, ses deux étroites ruelles pleines de charme sont bordées de maisons d’époque. Ici, pas de constructions neuves et pas non plus de terrains à construire. C'est chouette. 

La Moréna

Monument historique du hameau, la chapelle de la Vierge noire, datée de la fin du XIXe  siècle est le fleuron patrimonial du lieu. Elle tient son nom de la statue, une vierge couleur ébène, qui trône au-dessus de l’autel. La chapelle est en permanence ouverte et donc visitable à tout moment. Elle possède sa légende : Un saule ombrageait la prairie ; mais il gênait les abords d’une habitation rustique. On voulut l’abattre ; au premier coup de hache, le paysan vit du sang couler le long de l’arbre, et entendit des gémissements sortir de l’intérieur. Le tronc vermoulu livra passage à la statue de la Sainte Vierge, tenant dans ses bras l'enfant divin. Celui-ci étendit ses petites mains vers le rustre qui, tout perdu, était tombé à genoux. On édifia une chapelle en ce lieu consacré ; et grâce aux faveurs que l’on rapporte en retour d’abondantes aumônes, grâce surtout à la vertu spéciale attribuée à la Vierge Noire de dissiper tout sentiment de frayeur, chez les enfants, mais aussi chez les grandes personnes, des processions de pèlerins y accourent de très loin, le 8 septembre de chaque année. Une particularité mystérieuse : malgré serrures, verrous et barres de fer, la chapelle ne peut rester fermée ; cela explique pourquoi devant l’entrée on ne voit qu’une simple barrière à claire-voie, ouverte à tous venant. La légende dit que la porte ne doit jamais être fermée à clé pour permettre à la Vierge de sortir et de rentrer à son gré.

Chapelle de la Vierge Noire.


Autre monument historique du hameau : le cellier d'Epierre daté du XIIIe siècle. En l'an 1209, Guillaume, sire de Coligny, permit aux Chartreux de Meyriat d'acheter du vin et du raisin à Cerdon. En 1216, Alix de Coligny, veuve d'Humbert II, sire de Thoire et Villars cède aux Chartreux de Meyriat ses territoires d'Espierre et de Rosières afin qu'ils construisent un cellier à cet endroit et qu'ils y plantent de la vigne. Ils le garderont jusqu'à la Révolution. Le bâtiment principal présente deux tours carrées imbriquées, à trois niveaux. Au premier niveau se trouve une cave voûtée. A l'étage se trouvait un grand couloir qui desservait des pièces aménagées au 16e siècle et au bout duquel se trouve encore la chapelle. En 1560, adjonction d'étage et aménagements. Le plancher suspendu du cellier voûté est très rare. Le 31 décembre 1947, Philippe de Gaulle, fils du Général, épouse dans la chapelle d'Epierre, Henriette de Montalembert, parente des propriétaires d'alors. En octobre 1983, des privés achètent la demeure en vue d'y installer un Centre d'Aide par le Travail. Mais le projet n'aboutit pas et le bâtiment est laissé à l'abandon. Le 21 juin 1992, un incendie le ravage, détruisant la toiture bourguignonne et l'étage dont seules subsistent les structures. Le cellier est ensuite de nombreuses fois vandalisé. Le fruitier avec plafond suspendu, curiosité rarissime, est détruit soit par l'incendie, soit par des personnes sans scrupules. Racheté à nouveau en 2013, le nouveau propriétaire propose des chambres d'hôtes dans la ferme d'époque attenante. Mais en ce qui concerne la restauration du cellier, le rêve a viré au cauchemar en 2018. Les demandes de permis de construire ont toutes été refusées, la construction ayant, entre autres, été jugée non conforme au Plan local d’urbanisme de Cerdon, qui place le site en zone naturelle. Je ne sais pas si les choses se sont arrangées depuis, par contre le cellier est ouvert aux visites lors des Journées du Patrimoine. Pour s'y rendre, prendre le chemin qui mène à la cascade de la Fouge, situé sur la gauche, peu après la cartonnerie Dubreuil. 

Le cellier d'Epierre.

Autre lieu emblématique de Préau : sa cascade. La cascade de la Fouge, d’une hauteur de 60 mètres, attire de nombreux visiteurs. Elle présente l’intérêt de n’être accessible qu’à pied, au terme d’une randonnée facile d’environ deux heures dans un sous-bois féérique. Les plus sportifs ont la possibilité de suivre le circuit des cascades, randonnée de 17 kilomètres, avec un dénivelé de 1 000 mètres, qui les fera passer par la cascade de Malpasset, puis, celle de la Fouge, tout en empruntant des sentiers balisés où la nature est restée intacte.





Petite visite de Préau

En général les gens traversent Préau pour se rendre à la cascade de la Fouge, mais ils s'arrêtent rarement dans le hameau. C'est fort dommage car c'est l'un des rares endroits de l'Ain a avoir gardé son charme d'antan. Ici, vous n'aurez pas l'œil agressé par un lotissement de maisons en carton ou encore par des habitations restaurées à la moche pour un rendu "comme neuf". Si vous aimez l'authentique, peut-être que les photos qui suivent vous donneront envie d'aller faire le tour de ce joli petit coin. 

Le rocher.

Le vieux café-restaurant qui a dû voir défiler de nombreux ouvriers.

L'enseigne.

Cour arrière du café-restaurant.

Un mur épais.

La boîte-aux-lettres d'une maison inhabitée.

Construite en 1770, c'est l'une des plus anciennes maisons du hameau.

Une maison "récente" et la chapelle à l'arrière.

Les deux ruelles.

Douane. Stop ! 

La maison Dubreuil ?

Maison Mical - Son vin pétillant rosé.

Borne 26.

M.P.

Maison typique avec "balcon" de bois pour séchage des noix et autres récoltes.

Le rideau rouge.

Défense de fumer dans la cartonnerie. C'est plus prudent.

La bascule de pesage (et de repassage !) de la cartonnerie.

Le hérisson sonneur.

Couleurs.

Vigne d'automne.

A restaurer.

La cheminée.

Les deux chalets.

Rue de la Fontaine.

Une place à prendre.

Un jardin bien arrosé.

Les lavandières ne sont plus lessivées.

La Vierge Blanche.

Les volets bleus.

De guingois.

Défense d'entrer.

Les tabourets Tam Tam.

L'échoppe.

Confiné.

Les gouttières.

Relique industrielle.

La trappe.

Epuré.

Le mot de la fin.

Photos d'époque






Le cellier d'Epierre.

Autre vue du cellier.

Cave voûtée du cellier (XIIIe) avec ses cuves aujourd'hui disparues.





Commentaires

  1. Magnifique reportage sur ce petit trésor méconnu, personnellement je l'ai découvert il y a quelques années sur les recommandations d'un " jeune" voisin de 96 ans qui me racontait le pèlerinage annuel à la chapelle. Quel beau travail photographique!!

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    1. Je suis bien d'accord avec vous, c'est effectivement un petit trésor ! Il y en a plein d'autres comme ça dans l'Ain. Malheureusement il faudrait plus de temps pour rédiger un article sur tous. C'est vraiment dommage. :(

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