Le mystérieux four à chaux de Neuville-sur-Ain

 

Le four à chaux de Neuville-sur-Ain.

N'allez pas imaginer une histoire croustillante ou une légende à raconter à la veillée. Si ce four est mystérieux, c'est tout simplement parce que les informations le concernant sont succinctes. Sur les guides touristiques on peut lire : "A voir : four ancestral de Neuville-sur-Ain". On sait donc uniquement qu'il est ancien. Je pense qu'on l'aurait deviné sans peine. Mais de quand peut-il dater ? Qui a eu l'idée de le construire ? Dans quel but ? J'ai donc mené ma petite enquête qui m'a donné quelques pistes. Pour tenter de redonner un semblant d'histoire au four à chaux de Neuville, il faut d'abord expliquer dans les grandes lignes ce qu'était cette structure et à quoi elle servait.

Brève histoire des fours à chaux

On trouve des fours à chaux un peu partout en France. Certains sont même classés Monument Historiques comme ceux de Chartres-de-Bretagne, de Vendenesse-lès-Charolles, de Benet ou de Foussais-Payré. Ce sont des structures que l'on a commencé à rencontrer au Moyen-Âge et qui se sont développées au XIXe siècle. 

Les fours à chaux servaient à la calcination de la pierre calcaire. A l'époque, l'homme s'est aperçu que certaines pierres utilisées pour les foyers se désagrégeaient à la chaleur, puis se liaient sous l'action de l'eau et finissaient par durcir progressivement au contact de l'air. La chaux est donc née naturellement du calcaire, sous l'action des trois éléments : le feu, l'air et l'eau. Les premiers fours étaient chauffés au bois. La production était artisanale et limitée. La chaux produite servait principalement à la construction de bâtiments

Le vrai tournant de l'utilisation de la chaux intervient au XIXe siècle. À cette époque, la chaux est utilisée comme engrais agricole. Les fours ne sont plus alimentés par le bois mais par le charbon et parfois même le gaz. On les remplissait par une ouverture située en haut (appelée le « gueulard »). Les chaufourniers alternaient les lits de pierre et de charbon pour le remplir au maximum, et du bois était apporté au pied du bâtiment pour assurer la mise à feu. Le chaufournier devait alors toujours maintenir une température entre 800 °C et 1 000 °C tout en gardant le four rempli au maximum en le réapprovisionnant en pierre calcaire et devait également entretenir le feu. La durée moyenne d'une combustion était d'environ trois jours et trois nuits. Une fois la cuisson faite, la chaux était récupérée grâce à une ouverture basse du four appelée l'« ébraisoir ». La chaux vive était alors éteinte dans une fosse adjacente à l'aide d'une grande quantité d'eau, le plus souvent à l'aide de canalisations provenant d'une rivière voisine. La chaux éteinte était par la suite placée dans des barils avant d'être utilisée en maçonnerie ou en agriculture.

La naissance de l'ère industrielle, avec le développement de la sidérurgie, va entraîner une demande considérable en chaux. Dès lors, ses moyens de production vont sans cesse se perfectionner, ses critères de qualité seront de plus en plus précis de même que ses applications, qui se diversifieront sans cesse. La demande croissante de l'agriculture, à la fois pour améliorer la productivité des terres et surtout pour permettre le défrichage des forêts jusque-là inexploitées, contribue à l'expansion de cette industrie. Puis des polémiques surgissent entre partisans et adversaires de ce genre d'amendement qui pensent que la chaux appauvrit la terre. À partir des années 1880, la grande période du chaulage décline, la révolution de la chaux se termine. Les engrais chimiques prennent le pas. Les fours s'éteignent un à un, jusqu'aux environs de 1913.

Neuville-sur-Ain

Dans l'Ain

Dans le Bulletin des lois de la République Française daté de 1839, on trouve une ordonnance du roi accordant à certains propriétaires Aindinois, la construction d'un four à chaux à proximité de forêts "à la charge de répondre des délits et dommages qu'il pourrait causer, d'y placer un gardien pendant la durée du feu qui ne dépassera pas 8 jours et de prévenir le garde général local du jour où il y mettra le feu." Ce fut le cas pour Pierre-Marie Berthod à Charix, les sieurs Léger père et fils à Bellignat, Benoît Bouvier à Lochieux, Joseph Marestan (médecin) à Brénod, Augustin Prost à la Chagne, et la commune de Géovreissiat.

En 1859, la chaux se fabriquait en grande quantité dans les régions calcaires : sur les bords de Saône, à Thil, Varambon, La Chapelle et Bourg-en-Bresse qui la vendaient ensuite à la Dombes, dont le sol est peu calcaire. Il fallait de 25 à 50 hectolitres de chaux par hectare de terre et environ 100 hectolitres par étang. Donc pour faire quelques économies, les cultivateurs dombistes construisaient des fours à chaux temporaires. Ils ramenaient la pierre calcaire au retour des marchés puis cuisaient la chaux avec le bois du pays. Ils gardaient ce qui leur était nécessaire puis vendaient le surplus aux voisins.

Sur les confins des communes de Virieu-le-Grand, de Saint-Martin-de-Bavel et de Cuzieu, sur le bord de l'ancienne route de Belley à Virieu et au midi du four à chaux, il y a un gros bloc de 250m. c. environ de phyllade satinée d'un noir bleuâtre, veinée de quartz blanc. Ce bloc, un des plus considérables du Bugey, a été exploité comme une véritable carrière pour faire des soles aux fours à chaux voisins. (A. Falsan, Annales des sciences physiques et naturelles, d'agriculture et d'industrie, 1874, p. 758).

Dans le Journal d'agriculture, lettres et arts du département de l'Ain de 1827, on lit page 300 : "Cette année, à la Tranclière et au bas de Saint-Martin, communes voisines de Certines, deux fours à chaux ont été employés sur les domaines du secrétaire de la Société ; et à Neuville-sur-Ain, M. Bottex a répandu un four à chaux sur un petit plateau de terrain blanc, qui se trouve placé, comme une île, au milieu du sol calcaire."

Dans le Journal d'agriculture, lettres et arts du département de l'Ain de 1831, on lit page 361 : "M. Bottex, à Neuville, sur un plateau de terrain blanc, placé sur le premier échelon de la montagne, a fécondé un mauvais champ avec un four à chaux. La ferme expérimentale de Challes a fait des essais comparés de marne, de chaux et de cendres, où la chaux, quoiqu'à petite dose, rivalise avec la marne. Mais c'est surtout dans les communes de la Tranclière et de Certines où M. Paradis a donné les premiers exemples de chaulage, qu'ils ont porté les fruits les plus féconds; ces communes où d'ailleurs l'efficacité de la chaux parlait aux yeux depuis 45 ans, sont dans une position favorable aux chaulages ; elles sont peu éloignées du pied de la montagne, à la portée de la chaux et de la pierre, le bois même n'y est pas rare, aussi chaque jour on voit y croître l'emploi de la chaux. M. Armand continue avec activité à Certines ses fours à chaux annuels, et partout il voit le froment remplacer le seigle ; à la Tranclière, la plupart des domaines emploient maintenant la chaux. M. Hudelet, docteur-médecin, propriétaire depuis deux ans d'un domaine dans ces parages, y a répandu deux fours à chaux. A peu de distance de là, M. de Rivoire a déjà chaulé d'assez grandes étendues ; le maire de Dompierre, M. Maréchal, a aussi donné l'exemple dans sa commune, et M. de Belvey a, depuis plusieurs années, commencé à chauler sa propriété. A quelques lieues de là, M. Greppoz, dont toute la vie est dévouée aux améliorations agricoles de toute espèce, après des premiers essais heureux de chaulage, s'est tout-à-fait décidé à employer la chaux en grand ; il va nous rendre compte lui-même de l'étendue de son entreprise : « D'après vos bons conseils, j'ai fait cette année usage de la chaux ; j'étais absent lorsqu'elle a été répandue, en sorte que mes instructions n'ont pas été exactement suivies ; cependant, quoique le froment ait été semé le 5 novembre, il est devenu tellement vigoureux qu'on sera obligé pour l'empêcher de verser au printemps d'y conduire le troupeau lorsque la terre sera gelée. »"

Neuville-sur-Ain

La famille Bottex

La famille Bottex est une famille bourgeoise de Neuville-sur-Ain. Les Bottex furent nombreux à naître et vivre à Neuville-sur-Ain. (1447 résultats sur Généanet). La famille a compté : des notaires royaux, des maires, des maréchaux, des cultivateurs, un receveur des fermes du Roy, des curés, des négociants, des propriétaires terriens, un perruquier, des cordonniers, un serrurier, un voyageur de commerce, un cafetier, un restaurateur, un médecin...

Citons ceux qui sont restés dans l'histoire :
  • Anthelme Bottex (1677-1724), notaire royal.
  • Mamert Bottex (1716-1776), notaire royal.
  • Etienne Bottex (1754-1807), notaire royal, député et maire de Neuville-sur-Ain.
  • Jean-Baptiste Bottex (1749-1792), député du clergé de Bresse aux Etats Généraux, Bienheureux, égorgé par les septembriseurs le 3 septembre 1792 à la prison de la Force à Paris.
  • Victor Bottex (1815-1875), maire de Neuville-sur-Ain.
  • Alexandre Bottex (1895-1849), médecin en chef de l'Hospice de l'Antiquaille à Lyon, aliéniste.
La maison Chapet (Bottex) à gauche, face à l'église et la mairie.

La maison Chapet (Bottex) aujourd'hui. On ne le voit pas mais elle arbore un balcon soutenu par six colonnes doubles, en pierre taillée monolithique.

Le four à chaux de Neuville

Le résultat des recherches exposé ci-dessus nous laisse donc supposer que le four à chaux de Neuville a pu être construit aux environs de 1827 (XIXe) par un membre de la famille Bottex pour le chaulage de ses cultures. C'était donc un four dont l'utilité était uniquement agricole. La chaux produite servait d'engrais naturel. Mystère résolu donc. Sauf si le four de M. Bottex a été construit ailleurs, par exemple dans un hameau de Neuville-sur-Ain (Châteauvieux, Saint-André, Résignel, etc.) car l'endroit exact n'est pas précisé dans le Journal d'agriculture, lettres et arts du département de l'Ain. N'ayant pas connaissance d'un autre four à chaux à Neuville, il est donc possible d'affirmer (avec des réserves tout de même) que celui-ci appartenait bien à M. Bottex.

En partie démoli et recouvert par les ronces et le lierre, le four a été restauré en 2009 par l’Association Concordia : association loi 1901, créée  en 1950 dans le cadre de la réconciliation de la jeunesse d'après-guerre. Elle  favorise la rencontre entre les personnes des différents  pays, l’échange interculturel  et la transmission des valeurs de paix et de tolérance. Tout ceci au travers de chantiers internationaux participant à un projet d’intérêt général.

La restauration du four par Concordia. Photos de Jean-Alain Millet (Merci pour ce prêt !) :




Le four est situé près de la grotte de la Colombière, sur le sentier touristique reliant Neuville à Poncin.

Sources : La chronique du musée des Berthalais, octobre 2016, musee-des-berthalais.fr, ; Journal d'agriculture, lettres et arts du département de l'Ain, 1827 ; Bulletin des lois de la République Française, 1839.

Neuville-sur-Ain


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