Témoignage : Les Noëls de mon enfance (1931-1941) à Bosseron (Ain)

 

Ce témoignage est issu du Bulletin municipal de Neuville-sur-Ain n° 16, année 2006. 

Noël ! J'en ai déjà compté beaucoup dans ma vie... Mais Noël de mon enfance à Bosseron, sous la férule du bonhomme hiver est resté à jamais au fond de mon cœur. Qui n'a pas le souvenir d'un de ces soirs de décembre, agrémenté de joyeux réveillons, cette fête qui illuminait nos hivers.

Chez mes grands-parents, c'était essentiellement la fête religieuse, avec messe de minuit pour les grands. La neige était souvent abondante, le froid très vif, et les enfants restaient au logis. "Monter" à pied à l'église depuis Bosseron, un soir de Noël, relevait de l'exploit, avec les trottoirs encombrés de neige, la route verglacée et luisante, mais rien n'arrêtait les fervents paroissiens pour entendre chanter, avec foi, le minuit chrétien. Chaque famille était représentée. Lorsque les cloches carillonnaient la fin de la messe, nous guettions par-delà les carreaux embués, les lucioles tremblotantes des gens du quartier qui revenaient de la cérémonie, les uns derrière les autres, leurs lampes à la main. Avec la clarté de la neige, nous distinguions bien leurs silhouettes sombres sous l'allée des Tilleuls.

Au bout de l'Allée des Tilleuls se trouve Bosseron.

La Rue Froide qui monte à l'église.

Alors régnait une ambiance de fête dans toutes les maisons. Ma grand-mère s'affairait autour de l'antique fourneau de fonte à quatre pieds. Elle préparait, entre autre, un gâteau de riz ruisselant de caramel, d'une saveur inégalable. C'était le moment de déguster les derniers raisins de la treille, du chasselas, dont les grappes suspendues pendant deux mois dans une chambre non chauffée, s'était confites à souhait. Les pâtes de coing, faites maison, et les poires "fournaillées" cuites sous la cendre chaude, faisaient nos délices.

Le repas traditionnel, avec la famille, ne se terminait jamais sans la veillée autour du poêle, notre seule source de chaleur. Les parties de loto et les histoires merveilleuses des anciens allaient bon train, témoignage d'un temps révolu et d'une autre conception de la vie...

La légende des animaux à la ferme, à qui la parole est donnée aux douze coups de minuit, le soir de Noël, faisait que je ne quittais pas le chat des yeux afin d'élucider ce mystère. Nous n'avions pas de sapin, mais Noël sans arbre enguirlandé était toujours Noël, avec les oranges savoureuses, les mandarines pliées dans un papier de soie, les figues et les dattes, et les papillotes dans leur habit de fête.

Dans la grande cuisine, une petite lampe éclairait l'emplacement de la table. Le reste de la pièce restait dans la pénombre. Seule, l'étoile du berger scintillait de tous ses feux au-dessus de la crèche. Nous l'installions au pied de l'escalier, avec les santons pétris dans l'argile, le papier "rocher" plus vrai que nature et quelques branches de houx. Mais rien n'égalait la crèche magnifique de notre petite église, réalisée avec soin par les dames Champel et Moynat dans la chapelle de Mademoiselle De Lavaucoupet, à gauche de la nef centrale. Je restais en admiration devant une boîte métallique dans laquelle je glissais une pièce et qui égrenait aussitôt quelques notes de musique.

Les cadeaux ne s'offraient pas pour Noël. Aussi, nous attendions impatiemment la venue du Père Janvier, qui, une semaine après la fête de la Nativité, apportait les étrennes. Les souliers, bien cirés, destinés à recueillir les cadeaux, étaient déposés devant le poêle. Cachés je ne sais où, ils apparaissaient le matin du jour de l'An. Ils étaient le plus souvent utiles, comme un tablier ou un cache-nez, des livres à colorier et les crayons de couleur, des boîtes à couture, mais je me souviens, pour les avoir conservées fort longtemps, des poupées de son, des précieuses poupées de porcelaine, mais aussi des "dînettes" et des coffrets de perles multicolores. Par tradition, ce jour-là, ma grand-mère recevait le célèbre café Piroir dans sa belle boîte jaune et rouge. Et pour réchauffer l'estomac du père Janvier, le vin chaud, fleurant bon la cannelle, mijotait sur le coin du feu. Mais pourrait-on le voir et lui parler ? Je m'endormais inexorablement avant cette intrusion tardive. Pourtant lors de l'une de ces soirées mémorables, peu avant minuit, la canne du vieux bonhomme encapuchonné de noir heurta notre porte. Il était là, en chair et en os, debout dans notre cuisine !

Derrière cette barbe blanche et cotonneuse, ces yeux rieurs, cette voix amie qui se voulait sévère, je n'ai pu reconnaître un de nos voisins qui, pour la plus grande joie des enfants de Bosseron - et Dieu sait si nous étions nombreux en ce temps-là - s'était amusé à ressusciter le Père Janvier.

Le Père Janvier de cette année-là est toujours vivant. S'il lui est donné, un jour, de lire ces quelques lignes, il se reconnaîtra...

Christiane Bérerd

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