Témoignage : L'école de mon enfance à Neuville-sur-Ain
Ce témoignage est issu du Bulletin municipal de Neuville-sur-Ain n° 2, année 1992.
En hommage aux institutrices qui nous ont fait l'école avant la guerre.
Ces femmes admirables avaient une haute idée de leur mission. Elles nous ont appris, en même temps que la table de multiplications, l'imparfait du subjonctif et les leçons de morale, le goût pour les arts et la musique, l'amour de la famille, le respect des anciens. Elles nous ont appris ce qu'était la générosité et la probité.
Lorsque je me souviens de mon école à Neuville-sur-Ain, c'est toujours avec le même émerveillement. Ce bâtiment ancien, encore fort beau, planté sur la colline, tout proche du clocher, m'a accueillie il y a près de 56 ans... dans sa classe enfantine.
J'ai encore en mémoire la couleur vert d'eau des salles de classe, les encriers de faïence incorporés dans nos bureaux et remplis d'encre violette, l'odeur des cahiers neufs, des livres qui l'étaient moins, celle des petites gommes roses, douces sous les doigts, celle de la pâte à modeler, et aussi l'odeur d'amande-amère qui se dégageait d'une colle blanche en petits pots dont nous nous servions pour assembler nos découpages. Quelle joie et quelle fierté le jour de la rentrée, avec nos tabliers neufs, prenant possession de tous ces trésors. Avec quelle application nous allions tailler nos crayons, puis les ranger dans les plumiers de bois laqué, avec les porte-plumes. Avec quel soin nous allions couvrir livres et cahiers de ce papier couleur bleu sombre. Des mamans ingénieuses remplaçaient ce papier par des tissus multicolores.
Nos institutrices étaient pour nous des secondes mamans, attentives à tout, nouant une écharpe, laçant un soulier. Leur bureau se trouvait juché sur une estrade en bois, avec deux ou trois marches que nous montions avec appréhension pour réciter les leçons. Chacune d'entre nous était chargée, à tour de rôle, de fleurir le bureau de la maîtresse, ce qui ne manquait pas d'être fait avec des fleurs de nos jardins. Au tableau noir figurait inévitablement la date du jour et souvent une maxime qui nous était expliquée.
Nos ardoises en pierre se cassaient parfois en deux ; tandis que celles en carton, plus solides, mais rugueuses, nous donnaient la chair de poule ! Point de classes mixtes en ce temps-là, mais des classes souvent chargées dans lesquelles les institutrices enseignaient à plusieurs divisions à la fois : celle du cours moyen et celle des "grandes" du certificat d'études. Mais nous étions craintives, ne contestant jamais leur autorité. Nos leçons de choses et de sciences, ô combien passionnantes, nous les apprenions sur "le tas", dans cette nature qui nous environnait. Tous les châteaux forts des hameaux voisins, les grottes de la préhistoire, les arbres séculaires, les sources et les ruisseaux, nous ont vus défiler, en rang, nos petits carnets à la main. Pour nous, les hannetons n'avaient plus de secret, ni le bourgeon du marronnier, ni le bulbe du bouton d'or.
De nombreux enfants venaient à pied des hameaux de Thol, de Saint-André et de Fromente. En période d'hiver, ils ne rentraient chez eux qu'à la tombée de la nuit. Je les revois encore, enveloppés dans leur grande cape brune, avec leurs sabots ou leurs galoches qui martelaient le sol gelé et celui de la salle de classe. Par temps de neige, les institutrices les faisaient déchausser et plaçaient aussitôt des braises rougeoyantes dans les petits sabots détrempés. Il faut dire que nous étions chauffés avec du charbon, par un poêle rond, en fonte noire : une grille circulaire l'entourait à un mètre environ de distance, pour la protection des élèves.
Je ne peux évoquer notre école rurale sans parler des fêtes de Noël, toujours éblouissantes à la salle des fêtes, avec le sapin, les cadeaux, le piano de la directrice, les enfants costumés et nos parents émerveillés. Pour ce grand jour, nous répétions chants, danses et scénettes une bonne partie de l'année.
Dès le mois de juin et les premières chaleurs de l'été, et jusqu'à la fin de l'année scolaire au 14 juillet, nous désertions nos salles de classe pour nous exercer au tricot, à la couture, et au canevas, assises dans la cour de récréations, à l'ombre des grands arbres. Nous avions un peu le cœur serré à l'idée de se quitter bientôt... Puis il y avait une grande sortie d'une journée, avec les enseignantes, les élèves et nos parents. Tous, enthousiastes, nous prenions d'assaut le petit tacot qui nous emmenait sur les bords du lac de Nantua pour un pique-nique familial.
Nous avions foi dans cet enseignement qui n'était ni statique, ni rétrograde, mais qui a marqué toute une génération, avec le goût du travail bien fait et du devoir accompli. Ce que j'ai appris dans notre école primaire de Neuville, je l'ai appris pour toute la vie.
Christiane Bérerd
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