Quand l'ancienne demeure des Apremont se transforme en demeure du chaos

 

L'ancienne demeure des Apremont à Mérignat, aujourd'hui appelée la maison Millot.
Photo tirée du livre 
Richesses touristiques et archéologiques du canton de Poncin.

Mérignat est placé sur un mont qui domine la petite vallée de Cerdon. Il forme une agglomération d'environ 80 maisons, parmi lesquelles se trouvent quelques maisons bourgeoises et la tour d'un vieux château démantelé au XVe siècle. C'est le seul reste du château de Mérignat bâti par Humbert de Chatard qui, en 1302, acheta des sires de Thoire, le village et fief de Mérignat. 

La tour du château.

En arrivant au village par le chemin neuf on trouve une grande maison du XVIIIe siècle, jadis propriété de notables locaux, les Mathieu. En 1867, elle appartenait à M. Georges Benoit-Mathieu d’Apremont descendant de sieur Georges Mathieu, écuyer, président des trésoriers de France à Dijon en 1789. La famille Mathieu est une des plus anciennes de Mérignat, car on voit dans l’église une petite chapelle fondée et dotée, en 1343, par un sieur Antoine Mathieu, prêtre-doyen de Cerdon, qui déclare dans l’acte de fondation que sa famille est propriétaire à Mérignat depuis plus de 500 ans. Mérignat passa par mariage dans la maison de la Falconière, et par la même voie, en 1488, dans celle de Moyria, et enfin dans celle d'Apremont. La demeure possède les caractéristiques des propriétés nobiliaires de campagne vouées au vignoble : maison de maître tournée vers le levant, cuvage et chais à l'ouest, communs au nord. C'est une très grosse maison en pierre de la région.

Il n'y a pas si longtemps, la maison Millot était encore telle qu'on l'aperçoit sur la première photo, fatiguée mais clean, avec des enfants jouant dans son joli parc. En mai 2019, en me promenant une nouvelle fois dans Mérignat, je me suis rendu compte qu'un tas de déchets en tous genres jonchaient le jardin et le bel escalier extérieur. Etonnement, questionnement. Je me suis imaginé que les derniers locataires avaient tout saccagé pour je ne sais quelle raison. Ce sont des choses qui arrivent parfois, la nature humaine est si complexe !

Je suis retournée à Mérignat plusieurs fois depuis ce fameux mois de mai 2019. J'adore ce village  pittoresque et ses habitants si accueillants, ouverts, prompts à taper la discut. Ils sont viticulteurs, artistes, artisans ou cultivateurs bio. Ils aiment qu'on viennent à leur rencontre. Une habitante m'a dit une fois : "A Mérignat on y vient de son plein gré, on ne fait pas qu'y passer". En effet, le village est situé dans une sorte d'impasse. On ne peut le traverser par hasard qu'à pied, par les sentiers de randonnée. C'est le seul village de l'Ain où le RN obtient zéro voix aux élections ! C'est tellement classe qu'il est impératif de le souligner. Un village où il fait bon vivre en somme ! 

Lors de mon avant-dernière visite j'ai constaté que le jardin de la maison Millot s'était "enrichi" de carcasses de voitures, tracteurs et outils agricoles. La maison semblait vide d'occupants, abandonnée à son triste sort. Je me suis promis de revenir pour voir tout cela d'un peu plus près.

Il y a quelques jours, j'ai profité d'un soleil radieux pour retourner "visiter" cette fameuse maison. Elle semblait toujours aussi vide d'occupants, profondément endormie. Je me suis donc tranquillement aventurée sur son terrain ouvert aux quatre vents et jonché de détritus en tous genres. Ce qui m'a tout d'abord interpellé dans ces amas d'objets c'est qu'ils n'étaient pas jetés au hasard mais assemblés en de multiples "tas" d'une façon bien précise, rappelant un peu cette pratique artistique qu'on appelle l'assemblage. (Mais ici en version un peu psychopathe tout de même.)

En m'approchant du double escalier situé à l'entrée de la maison j'ai cru apercevoir la porte ouverte.  "Chouette, c'est l'occasion de visiter l'intérieur", me suis-je dit. Mais l'escalier était trop encombré de détritus, quasiment impraticable, et une multitude de guêpes bourdonnaient et virevoltaient dans tous les sens. J'ai donc renoncé avec regret à l'expédition urbex. (Et j'ai bien fait apparemment. 😉)

Tant pis. Je me suis contentée de la tournée du jardin. Il y avait déjà de quoi voir ! Je me suis demandé si la maison avait été occupée par un artiste un peu foutraque ou si c'étaient tout simplement les gosses du village qui s'étaient amusés à fabriquer ces "sculptures". J'ai fait quelques photos à la va-vite car je n'avais pas l'esprit complètement serein, (l'atmosphère sûrement), et quand j'ai eu tout vu, je suis repartie par où j'étais venue. 

En sortant de la propriété, je suis tombée sur une habitante du village qui faisait une petite marche. Je l'ai accosté poliment et lui ai demandé si elle savait ce qui s'était passé dans cette maison. Elle m'a répondu d'un air profondément désolé : "Oh oui, je sais...". Puis elle m'a expliqué que le monsieur qui habite là est atteint de la maladie de l'accumulation [syllogomanie] (1), et qu'il passe son temps à récupérer des objets à droite à gauche qu'il entasse partout dans sa maison et qu'il utilise aussi pour fabriquer des "totems", parfois jusqu'à plusieurs kilomètres autour de chez lui. Argh ! lui dis-je. Je pensais que la maison était abandonnée, sinon je ne me serais jamais permise d'entrer ! Elle me répond qu'elle m'a vu entrer dans le parc et qu'elle a eu peur pour moi car le monsieur n'est pas commode du tout ! Elle ajoute que j'ai eu de la chance de ne pas avoir été atteinte d'une balle de .22 Long Rifle. Je ne l'ai pas exprimé, mais j'ai pensé tout fort : "Merci de ne pas m'avoir prévenu du danger !". 😏 Bon, tout s'est bien terminé, je n'ai pas croisé le monsieur, inutile d'en vouloir à cette dame. 

Triste histoire donc pour cette maison et son occupant, car cette pathologie n'a pas de traitement connu. La seule solution est de contacter une assistante sociale ainsi qu'une entreprise de débarras et de nettoyage afin d’accompagner et d'aider la personne à remettre en état sa maison. Triste également pour les voisins qui doivent flipper qu'un incendie embrase tout le quartier, comme cela s'est dernièrement produit dans une ferme aindinoise dont l'occupant était atteint de la même pathologie. Triste aussi pour le village, dont la beauté est un peu ternie par cette décharge privée. 

Vous qui lisez ces lignes, vous êtes dorénavant prévenus. Cet endroit n'est pas un spot urbex ! Pour la visite du jardin il faudra vous contenter des photos qui suivent, même si elles ne sont pas terribles.

(1) La syllogomanie (étymologiquement : goût immodéré pour l’accumulation) est un trouble psychique assez peu connu, où un individu accumule les objets, sans les utiliser, avec une difficulté majeure à s’en débarrasser, même si ceux-ci sont inutiles, encombrants, dangereux et insalubres. Cette accumulation affecte l’espace de vie et la mobilité du sujet et de ses proches, pouvant être source d’incendie, de conditions insalubres, de blessures, mais aussi d’un appauvrissement du fonctionnement social et d’une péjoration des relations familiales. (Revmed.ch

Sources : Wikipedia
Richesses touristiques et archéologiques du canton de Poncin, 2014.
La France par cantons et par communes. Département de l'Ain, 1895.

La maison Millot au premier plan (vue arrière).



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