La Vierge maudite de Lacoux (01)

C'est en cherchant je ne sais plus quelle information sur la commune d'Hauteville, que je suis tombée sur l'article de L. Guy concernant la Vierge de Lacoux. C'est comme cela que j'ai appris qu'elle avait été victime d'un, voire de plusieurs attentats. Cela a évidemment piqué ma curiosité et je me suis donc lancée dans les recherches afin d'en connaître toute l'histoire. Malheureusement, je n'ai réussi qu'à retrouver la même information dans le livre "Richesses touristiques et archéologiques du canton d'Hauteville", ainsi que dans "Lacoux autrefois, études et textes inédits" de Georges et Pierrette Dupont, 2020. (Merci infiniment à Tristan pour le prêt du livre). Les mentions des attentats dans ces deux ouvrages, ainsi que sur le blog de L.Guy, sont tirées de l'Echo paroissial de Cormaranche (rédigé par des curés). Le journal l'Eclair, du 22 mars 1912 relate également l'incident. Il faut savoir que ce journal, fondé en 1888 par Maurice Dechêneau est un quotidien d’information antidreyfusard et antisémite. 😣 Aucune autre mention de ces attentats nulle part. Même pas dans la presse anticléricale de l'époque... Etrange ! Les anticléricaux ne ratant jamais une occasion de casser du curé, il est donc fort surprenant qu'ils aient omis de mentionner ces incidents. Qu'en déduire ? Suppositions malveillantes de curés ? Car finalement ce sont les seuls à accuser les anticléricaux.  Accusations sans preuves, ce n'est pas bien joli.

La Vierge de Lacoux domine le village à 947 mètres d’altitude. La première vierge fut édifiée en 1858 grâce aux dons des habitants (somme totale de 900 francs). À l'époque, la religion était omniprésente. Les curés avaient autant de pouvoir (si ce n'est plus d'ailleurs...) que les maires. Leur intransigeance était coupante. Ils fulminaient au nom du Dieu de douceur et d’amour en malédictions et en anathèmes contre quiconque, de gré ou de force, ne s’enrôlait pas dans leurs légions. Partout, les villageois se sont retrouvés en présence d’Eglises qui se sont toutes affirmées exclusivement détentrices de la vérité, et qui, au nom de cette vérité libératrice ont tenté de réduire les paroissiens à une forme particulière d'esclavage : celle de la pensée et de la conscience. Le Père Hyacinthe Loyson, le célèbre prédicateur de Notre-Dame-de Paris, ne se gênait pas pour abonder en ce sens : "Homme,  tu te croyais délivré par le Christ et placé par sa grâce sous la loi royale de cette liberté qui les renferme toutes : eh bien ! tu t'es trompé ! L’Eglise va t’apprendre qu’il est deux sacrifices nécessaires et méritoires entre tous, le sacrifice de ta propre raison et celui de ta propre conscience. C’est cette servitude, mère de toutes les autres, qui peut seule acquitter ce que tu dois à ton âme et à ton Dieu !" Et, comme tout ce qui est humain, ces préceptes furent outranciers et arbitraires. Légers pour les privilégiés de la fortune, draconiens pour les déshérités : de les éluder, il coûtait quelques pièces d’or aux premiers et la damnation éternelle aux seconds. La religion est l’opium du peuple, comme nous l'a si bien dit Karl Marx dans sa Critique de la philosophie du droit de Hegel en 1844. C'est donc sur fond de lobotomie des consciences, mais dans la liesse générale, que fut bénie la première vierge en fonte de Lacoux, le 3 octobre 1858. L'abbé Berger, curé de Lacoux, le raconte ainsi dans l'Echo paroissial de Cormaranche : "La cérémonie a eu lieu à 5 heures du soir au milieu du grand concours de fidèles des paroisses voisines. Toutes les maisons de Lacoux étaient ornées de guirlandes, d’oriflammes ; plusieurs arcs de triomphe étaient échelonnés le long de la rue. La joie était peinte sur toutes les figures. C'était une véritable fête de famille ! Les jeunes de la paroisse ont voulu tour à tour avoir le privilège de porter la statue pesant 500 kilos. On arriva sur la montagne par un temps magnifique dans le plus grand enthousiasme, et on a placé la Vierge Immaculée sur la tour préparée à cet effet. M. le curé d’Hauteville, l’abbé Egraz, après avoir adressé à la foule une allocution éloquente et chaleureuse, tirée des paroles gravées sur le piédestal « Ecce Mater Tua » a béni solennellement la statue, entouré de MM. les abbés Pillard, curé de Cormaranche, Pascal, curé de Chaley, Pollet, vicaire d'Hauteville, Berger, curé de la paroisse, et des autorités qui ont assisté en corps à la cérémonie. Monseigneur de Langalerie, évêque de Belley a accordé une indulgence de 40 jours à toutes les personnes qui réciteront un Ave Maria en voyant la statue."

Au XIXe siècle et jusqu'au début du XXe siècle, l'attitude réactionnaire du clergé amène les socialistes et les libres-penseurs à s'engager dans une lutte anticléricale. L'anticléricalisme insiste sur la nécessaire séparation du religieux et du profane. Il postule la liberté de conscience individuelle. C'est la volonté d'organiser la société séparément des religions. L'anticléricalisme adhère aux grands principes qui définissent la conception de la laïcité. Il est le moyen, la laïcité est le but. Un exemple : En novembre 1889, les libres-penseurs émettent le vœu de voir disparaître la croix placée au sommet du Panthéon. Ils considèrent que cet emblème religieux ne peut être admis sur un bâtiment civil et dans lequel aucun culte n'est pratiqué. Ce monument est destiné à recevoir les restes des grands hommes, et femmes ! qui ont marqué l'histoire de France, sans qu'il soit tenu compte de leurs croyances religieuses. Ils estiment donc que cette croix est un attentat à la liberté de conscience.  

Les anticléricaux sont-ils donc vraiment les auteurs de l'attentat présumé de 1912 qui a décapité la Vierge de Lacoux ? Ne pouvant malheureusement pas répondre à cette question, faute d'informations trouvées dans les archives de presse, je me vois donc dans l'obligation de reprendre les textes de "Lacoux autrefois, études et textes inédits"

L'abbé Janin écrit dans l'Echo paroissial de Cormaranche : "Le samedi 9 mars 1912, à la tombée de la nuit, on entendit dans la région, une forte détonation semblable à celle d’une cartouche de dynamite, au sommet de la colline qui domine Lacoux, et le lendemain matin, on voyait avec consternation que la statue de la Sainte Vierge n’était plus sur son piédestal. L’émotion et la douleur furent générales et partagées par tous, sans distinction de partis. Fait vraiment extraordinaire, la tête seule de la Vierge est restée intacte, tombant ceinte de sa couronne à côté du piédestal, pendant que le reste du corps était précipité 40 mètres plus bas. Cet attentat survenant à peu d'intervalle de celui perpétré sur la Vierge de Chaley, donne une bien triste idée de la mentalité de certains individus que l'on se refuse à croire originaires de nos régions. Tout de même, si c'est à de tels résultats que doivent aboutir les théories anticléricales répandues depuis quelques années, disons qu'elles n'honorent guère leurs auteurs, et que de tels gestes insultent, mais ne servent jamais une cause, quelque nom qu'on lui donne, en pays civilisé comme le nôtre."  (Vierge de Chaley en fin d'article.)

Article du journal L'Eclair.

Après l'attentat, l'abbé Franquin, curé de Lacoux, commande une nouvelle statue à Paris. Voici le compte-rendu paru dans l'Echo paroissial de Cormaranche en octobre 1912 : "Dans la semaine du 8 au 15 septembre, des ouvriers de Lacoux dressaient sur son socle la nouvelle statue ; celle-ci, très ressemblante à la première, venue d'une maison de Paris, pèse 400 kilos et a coûté 640 francs. Pour la préserver d'un nouvel attentat, on l'a entourée d'une barrière de fer. Le dimanche 15 septembre, fête de Notre Dame des Sept Douleurs, par une belle soirée, quoiqu'un peu froide, eut lieu la bénédiction de cette statue. C'est devant une foule d'environ 5 à 600 personnes venues d'Hauteville, Cormaranche, Chaley, etc. que M. l'abbé Mallaval, archiprêtre d'Hauteville, en un langage élevé, parla des grandeurs et des bienfaits de Marie. Il bénit ensuite la statue et la foule se mit en procession pour descendre à l'église où devait avoir lieu le salut du Saint Sacrement. Le trajet s'effectua au chant d'un cantique de circonstance, composé par M. le curé de Chaley. Daigne maintenant la Vierge de Lacoux illuminer longtemps le plateau de sa vive blancheur et attirer sur nous les faveurs du ciel !"

Il ne croyait pas si bien dire puisqu'en 1914, par une nuit d’orage, la statue fut de nouveau détruite d’une manière mal définie… Coup de foudre ? 😉

Vue sur le village de Lacoux depuis la colline de la vierge. Attention danger. 

Les bons paroissiens durent ensuite attendre 40 ans avant la pose d'une troisième Vierge,  puisque c'est en 1955, sur l’initiative de l’abbé Borel, curé de Cormaranche qu’une nouvelle statue verra le jour. "Messieurs Alphonse Monnet, sculpteur à Champdor, Monsieur Chapuis des Carrières, Gaspard Carrara de Cormaranche et Adolphe Lambert charpentier ont uni leurs forces pour qu’une nouvelle statue offerte par les paroissiens de villages retrouve sa situation ancienne. Elle fut inaugurée le 2 octobre 1955, par Monseigneur Fourey évêque de Belley, les curés Renand d’Hauteville, Bardet de Thézillieu, Genevray de Tenay, Carra de Corcelles, Bellec Aumônier de Mangini ainsi qu’en présence de Monsieur André Dupont maire de Lacoux, Charles Dupont, adjoint, et tout le conseil municipal du village. Depuis cette date, la vierge de Lacoux est en place." 

Résultat des courses : les gentils paroissiens ont mis la main à la poche trois fois pour cette Vierge, et cela, sans même rechigner d'un iota. Le clergé n'est-il pourtant pas riche à crever ? Ceci est un bel exemple d'attentat à la liberté de conscience ! 

Pour conclure, je vous invite à écouter les archives sonores n°47 et 48 de Fred Deux (fondateur, avec sa femme Cécile Reims, du centre d'art contemporain de Lacoux en 1971), dans lesquelles il raconte la découverte du village de Lacoux et de ses proches voisins. Une passionnante plongée dans les méandres maléfiques des préjugés. 

Précision importante : Si vous désirez faire une petite grimpette jusqu'à la vierge pour admirer le magnifique panorama sur le plateau d'Hauteville, de Brénod jusqu'aux gorges de Charabotte, ainsi que le village de Lacoux, blotti au pied de la montagne, allez-y sans vos enfants, ou alors ne leur lâchez pas la main une seconde. La vierge est située en bord de précipice et aucune barrière de protection n'est installée. Selfies à vos risques et périls également ! Fred Deux raconte d'ailleurs dans ses archives sonores que le lieu était prisé des suicidaires... Pour une vierge censée protéger le village et ses habitants, c'est tout de même fort de café ! 😈

La vierge de Chaley.

Comme l'abbé Janin écrit dans l'Echo paroissial de Cormaranche que la vierge de Chaley a également subi un attentat, j'ai donc fait quelques nouvelles recherches. Il est fait mention de ce fait dans La Semaine religieuse du diocèse d'Alby du 7 mars 1914 : "A Chaley, la statue de la Sainte Vierge, qui s'élève à l'entrée du village, fut brisée dans la nuit du 3 au 4 février 1912. Les catholiques de Chaley, offensés dans leurs croyances, ouvrirent de suite une souscription pour remettre une nouvelle statue. La bénédiction solennelle eut lieu le 28 juillet 1912 ; la société de gymnastique de Virieu-le-Grand avait été spécialement invitée pour donner plus d'éclat et de solennité à la fête. Mais certains sectaires de Chaley y veillaient. L'avant-veille de la fête, c'est-à-dire le vendredi 26 juillet, sept conseillers municipaux sur onze prenaient donc une délibération interdisant « les manifestations religieuses sur le territoire de la commune. ». Devant cette provocation, les catholiques n'hésitèrent plus, ils firent la procession, qui fut suivie d'un procès-verbal, dont fut gratifié le curé.

Une autre évocation de cette vierge dans le Bulletin de la Société de géographie de l'Ain de juillet 1882 : "Les Romains à la porte de leurs villas, peignaient un chien énorme et laid : Cave Canem, prenez garde au chien. C'était le gardien de l'établissement. Les gens de Chaley continuant cette tradition, ont placé à l'entrée de leur gracieux village, malheureusement défiguré par sa laide église au coq rouge, une peu aimable statue de la Vierge, une immaculée conception, si je ne me trompe : prenez garde à la sentinelle, lit-on en latin sur le socle. A Chaley, on aurait pu faire ce factionnaire charmant, on ne l'a pas voulu ; regrettons-le et allons déjeuner sur un banc de rocher, au pied de la montagne." 😄

Sources
Richesses touristiques et archéologiques du canton d’Hauteville, 1992.
Lacoux autrefois, études et textes inédits de Georges et Pierrette Dupont, 2020.
LGuyHauteville01
L'Autonomie du 3 novembre 1889.
Le Gallican, 1922.


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