La pouponnière de Champdor (Ain)


La pouponnière d'Edith Bobillon à gauche, années 60.

En visitant le joli petit village de Champdor, la plaque "Pouponnière de Champdor", apposée sur une grosse maison située dans le centre village, a attiré mon regard. Je me suis donc lancée dans les investigations concernant cette pouponnière dont j'ignorais l'existence. Les Cahiers du Dreffia en relatent l'histoire et je vous invite à suivre le lien afin de découvrir la biographie d'Edith Bobillon, la jeune infirmière à l'initiative de cette pouponnière, ouverte en 1948 et fermée en 1972. Pour ma part, je me contenterai d'un résumé d'après les maigres infos trouvées dans un vieux bouquin de médecine. 


Au 19e siècle, la tuberculose est un véritable fléau responsable de 1 décès sur 7 en France. Sur le plateau d’Hauteville-Lompnes, dans le Bugey, le Docteur Jules-François Dumarest est persuadé de la vertu thérapeutique du climat d’altitude. Son fils, le docteur Frédéric Dumarest, se consacrera à la lutte contre la tuberculose et sera à l'initiative de la création d'une des plus grandes stations sanatoriales de France. Le succès fut considérable : les malades arrivaient de toute l'Europe attirés par la renommée de la station et de son fondateur, entraînant ainsi le développement économique de tout le plateau. 

La station sanatoriale d'Hauteville comptait parmi ses malades un certain nombre de femmes enceintes atteintes de tuberculose et dont l'accouchement devait être assuré en cours de traitement. Au voisinage du terme, ou dès les premières douleurs, les patientes étaient dirigées sur la Maternité départementale à Bourg-en-Bresse où elles étaient isolées jusqu'à leur retour à Hauteville. Jusqu'en 1948, le nouveau-né était vacciné dès sa naissance par le BCG per os, mais cette vaccination s'avérant insuffisante, le bébé devait obligatoirement être isolé de sa mère afin d'éviter toute contamination. Les sanas d'Hauteville ne possédant pas de pouponnière, les nourrissons étaient donc confiés à l'Œuvre Grancher (Œuvre de Préservation de l’enfance contre la tuberculose, fondée en 1903 par le médecin visionnaire Jacques-Joseph Grancher.) En ce début du XXe siècle, l’Œuvre représente la première institution reconnue d’utilité publique à accueillir des enfants en placement familial avec une visée sanitaire et pour des durées longues de séjour. 

Edith Bobillon

Mais l'Œuvre Grancher est loin d'Hauteville et les jeunes mères aimeraient savoir leurs enfants plus près d'elles. L'appel est entendu et dans le courant de 1947, la Direction départementale de la Santé est sollicitée par une initiative privée pour la création d'une pouponnière à Champdor, petite commune située à 8 kilomètres d'Hauteville et à 700 mètres d'altitude. Edith Bobillon (1922-2020), infirmière puéricultrice et directrice de cette pouponnière consent à se spécialiser dans la réception de nourrissons nés de parents tuberculeux et particulièrement des mères tuberculeuses en traitement à Hauteville, en vue d'assurer leur vaccination par le BCG-S.

Des instructions sont données au Directeur de la Maternité départementale, afin que les nourrissons nés dans ces conditions soient dirigés, sauf opposition formelle des parents, sur la pouponnière. Après quelques difficultés, Edith réussit à obtenir des caisses de Sécurité sociale qu'elles prennent en charge les frais de séjour, au titre de l'ordonnance du 31 octobre 1945, la pouponnière ayant été préalablement agréée par les Caisses comme pouponnière pour enfants débiles. [Oui, c'est choquant. C'était le terme utilisé par la jeune Sécurité Sociale pour qualifier les nourrissons nés prématurés, souffrant d'infections héréditaires ou de troubles digestifs liés à une mauvaise alimentation. 😒] 

La pouponnière d'Edith, créée dans sa maison familiale au printemps 1948, est très bien organisée et compte 20 berceaux. Le lait est fourni par une étable dont le cheptel est tuberculinisé. La traite en est assurée par un procédé mécanique. Toute visite de sujet bacillifère est strictement interdite. Dès son ouverture, 22 nourrissons sont vaccinés au BCG-S, dont 18 issus de mères tuberculeuses, 2 de mères saines mais de pères tuberculeux et 2 de parents sains.

Les difficultés sont nombreuses, mais Edith peut compter sur le soutien inconditionnel et sans faille de son mari Abel. Entourée de ses nurses, l'infirmière ne rechigne pas à la tâche. Ses journées sont très longues, les enfants faisant l'objet d'une surveillance médicale ininterrompue et quotidienne. Le soir, lorsque la pouponnière retrouve son calme, elle doit encore remplir les fiches de suivi sur la vaccination et écrire ses rapports d’observation. Il faut surveiller les éventuelles allergies au vaccin, le poids du nourrisson, l'appétit, etc. Elle doit également tirer un trait sur les week-end de repos et les vacances. Peu importe, Edith qui est assoiffée de culture compense avec la musique et la lecture. Lors des tétées, elle pose un livre à ses côtés et savoure Hugo, Kessel, Gide ou Giono tout en donnant le biberon. Elle remplit ses fiches de suivi en écoutant du bel canto et de l’opéra.
Jusqu'à sa retraite en 1972, Edith a accueilli dans sa maison familiale 125 nurses et plus de 1300 bébés. Sa contribution à la lutte contre la tuberculose fut reconnue et lui valut l’attribution de la médaille de la Faculté de Médecine.

Durant sa retraite et jusqu'à son décès, survenu le 8 février 2020 à l'âge de 98 ans, Edith profitera des siens, prendra le temps de voyager et continuera à se cultiver. Elle fera des recherches sur son village et écrira des articles dans Les Cahiers du Dreffia (dont un article sur le château de Champdor), concluant ainsi une longue vie bien remplie.

Edith et ses nurses. Photo collection Guy Domain.


Les nurses en 1951. Photo collection Guy Domain.


L'ancienne pouponnière en 2021.

Sources
Bulletin de l'Académie nationale de médecine du 18 octobre 1949.
Les Cahiers du Dreffia.


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