Les tribulations d'un médecin de campagne (Saint-Germain-de-Joux, Ain)

 


En flânant dans le joli petit village de Saint-Germain-de-Joux, aux magnifiques Marmites de Géant, on aperçoit une grosse maison toute blanche dont les piliers du portail d'entrée sont ornés de deux bronzes à l'effigie des anciens propriétaires. C'est l'ancienne clinique des Dr Guillermet, père et fils. 

Une clinique dans un si petit village éveille forcément la curiosité. (En tout cas la mienne.) À l'époque, il n'y avait rien d'extraordinaire à croiser ce genre d'édifice : nombre de bourgades possédaient un hôpital. De nos jours, c'est de la science-fiction ! La plupart des villages sont devenus des déserts médicaux. Les cliniques et hôpitaux d'antan se sont transformés en lieux d'habitation (pour le meilleur), ou ont été rasés pour faire place nette à de "magnifiques" lotissements aux doux noms bucoliques (pour le pire).

Cette belle demeure du XVIIIe siècle, le célèbre écrivain et poète Jean Tardieu, né à Saint-Germain-de-Joux (1903-1995), la fréquentera souvent dans sa jeunesse, car sa mère, Caroline Luigini, belle-sœur d'Auguste Guillermet, s'y installera longtemps pour profiter du bon air et soigner sa santé fragile. 


Petite bio familiale

Originaire de Belleydoux (01), la famille Guillermet s'établit à Saint-Germain-de-Joux avec Louis, notaire et châtelain, rédacteur du cahier de doléances en 1789, syndic en 1790, puis maire de la commune jusqu'à sa mort en 1826. 

Son fils, Auguste (1er), médecin, né en 1796, devient maire de la commune de 1826 jusqu'à son trépas en 1862. Il fut l’un des membres fondateurs de la Société d’Émulation de Nantua.

Antonin, fils d’Auguste 1er est médecin au village comme son père. Il fut également maire de la commune de 1870 à 1895.

Parlons maintenant des deux médecins que l'on aperçoit sur le portail d'entrée de l'ancienne clinique.

Auguste Guillermet (1865-1954). 89 ans.
Auguste (second), fils d’Antonin, ouvre son cabinet de médecine en 1890 et remplace son père à la mairie de 1895 à 1940. Érudit comme son grand-père, il publie plusieurs ouvrages de médecine mais également un livre intitulé La Terre de Nantua du Xe au XIX siècle (1898). Il devient Président de la commission cantonale de statistiques pour la ville de Châtillon-en-Michaille en 1891, puis administrateur de la Caisse d’Epargne de Nantua pendant l’année 1892. Il donne plusieurs conférences publiques sur la chirurgie et la médecine modernes en 1896 et obtient la Légion d’honneur du Ministère de la guerre en 1928. 

L'Information financière, économique et politique, 17 septembre 1954.

La plaque commémorative du portrait de profil du Docteur Auguste Guillermet a été réalisée par Charles Machet, peintre et sculpteur français, né le 28 juillet 1902 à Izieu (Ain) et mort le 28 juin 1980 à Limonest (Rhône). Connu pour la réalisation du mémorial des maquis de l'Ain et de la Résistance à Cerdon (01), il est l’auteur de nombreuses sculptures et notamment de portraits.


Louis Guillermet (1893-1935). 42 ans.

Louis est le fils d’Auguste 2. Il fonde la clinique chirurgicale de Saint-Germain-de-Joux puis un home d’enfants à Saint-Raphaël (Var), où il meurt accidentellement le 12 juillet 1935, au moment où la perfection de sa science médicale et chirurgicale rendait les plus grands services aux populations.

Publicités de 1927 et 1929 issues de l'Eclaireur de l'Ain.

L'affaire des avortements

L'avortement est l'objet d’une répression grandissante aux XIXème et XXème siècles. Il est dénoncé comme un véritable « fléau social », comme une cause de dépopulation (mais les guerres non !) et sera puni à la hauteur d’un crime puis d’un délit. La pratique clandestine des avortements fera des femmes les premières victimes de cette condamnation. En 1810, sa pratique devient contraire aux intérêts de la société et de l’Etat avec l’article 317 du Code Pénal napoléonien. Ce texte fait de l’avortement un crime passible de la Cour d’assises, pouvant être puni de réclusion pour la femme avortée et l’avorteur, ainsi que de travaux forcés pour les officiers de santé ayant participé à des manœuvres abortives. Un peu plus tard, en 1943, sous la politique répressive de Vichy, Marie-Louise Giraud sera exécutée pour avoir pratiqué des avortements.

C'est dans ce contexte que des opérations de police sont menées en janvier 1919 à Oyonnax (01). Elles concernent des affaires d'avortements dans lesquelles sont impliqués le docteur Guillermet de Saint-Germain-de-Joux, Mme veuve Déplanche, sage-femme à Oyonnax et Mme Rose Prost de Bellignat (01), faiseuse d’anges. M. Mauche, le juge d’instruction, fait preuve d’une trépidante activité, arrêtant, convoquant, questionnant, perquisitionnant et menaçant. Le médecin, la sage-femme et Rose sont accusés de pratiquer des avortements sur des femmes de mobilisés.

En juin 1919 l'affaire est envoyée devant les assises de l'Ain. Mauche, surnommé « Crocs aux yeux », a bien fait du zèle. Dans le box : 29 accusés (26 femmes, le médecin, la sage-femme et la faiseuse d'anges). Toutes les accusées sont des ouvrières ou des femmes de condition modeste, poussées par la dureté de la vie à des solutions extrêmes que le code bourgeois condamne sévèrement. Une mère de famille qui a donné sept enfants à la société est poursuivie pour avoir voulu éviter la venue d’une huitième bouche à nourrir. On impose à ces femmes qui exercent le triple métier d'usineuse, de ménagère et de mère, de ne pas dire non à la maternité. Des femmes qui risquent la prison pour n’avoir fait du tort qu’à elles-mêmes. Car ce n'est pas une partie de plaisir de se faire avorter. Ni une grosse fiesta. Ni un acte anodin. On n'avorte pas pour s'amuser, ni par lâcheté, faiblesse, bêtise ou inhumanité. On avorte parce qu'on estime, en toute conscience, qu'on ne peut mener à bien une grossesse et une maternité. On avorte parce que c'est un choix mûrement réfléchi, une liberté à disposer de soi et de son corps, et aucun autre être humain n'a le droit d'imposer son choix contraire : ni conjoint, ni médecin, ni parent, ni ami, pas même la bienséance.

Durant le procès, le Dr Guillermet se défend avec ardeur et soutient qu’il n’a pas outrepassé ses devoirs professionnels. Mme Déplanche, la sage-femme, et Rose, la faiseuse d’anges, ont la partie moins belle. M. Scaron, l'avocat général, demande à la Cour une condamnation exemplaire « pour moraliser ce bourg pourri de la débauche qu’est Oyonnax ». Bourgoin, avocat clérical, ancien candidat réactionnaire dans l’arrondissement de Bourg, parle de « la dépravation profonde autant que générale » de la ville d'Oyonnax. Me Jacquier, avocat de la défense, réplique « qu'il faut une certaine audace à ces messieurs de la bourgeoisie, débauchés et noceurs, pour parler de la dépravation de la cité ouvrière alors qu'ils sont les premiers à prendre la virginité et l’honneur des filles des ouvriers ! »

Le verdict tombe. Le docteur Guillermet est acquitté. Les 26 ouvrières le sont aussi. La sage-femme, Mme Déplanche, est condamnée, comme récidiviste, à cinq ans de prison. Rose Prost, la faiseuse d’anges, est condamnée à trois années de la même peine. Mais à la demande du défenseur, le jury signe un recours en grâce en faveur de Rose. Dans cette histoire, le médecin s'en tire à bon compte, et la pauvre sage-femme paie la note. Est-ce bien équitable ?

Fort heureusement, l'avortement est autorisé depuis la loi Veil, promulguée le 17 janvier 1975. Mais c'est encore un droit à défendre en France et partout dans le monde.

L’Éclaireur de l’Ain, 15 juin 1919.

Après l’acquittement

"Au cours de ce procès, on a beaucoup parlé de spéculum, de forceps, de mandrins. Une vraie histoire de Mandrin, quoi ! 

Entendu, place de la Croix-Rousse : 
- Si on met les sages-femmes en prison, maintenant, où va-t-on mettre les femmes qui ne sont pas sages ?

Dans l’Avenue d’Alsace-Lorraine, en sortant des Assises : 
- Alors, ce juge d'instruction qui s’est ainsi mépris grossièrement sur le cas du docteur, il faut croire qu'il en tient une couche ?...
- Vous devriez dire une fausse couche…

Aux Trois-Colonnes, à Bourg, Gaby et Marinette susurrent malicieusement en buvant un café glacé :
- Tu as entendu ce petit débauché d’Edouard, roucoule Gaby, comme il a arrangé Oyonnax : foyer de dépravation, mœurs dissolues, etc... Qu’en penses-tu Marinette ?
- Moi ? Rien ! je ne fais pas de politique...
Et dans un soupir, le regard perdu dans le vague, Marinette ajoute :
- Tout ce que je sais, c’est qu’y en a point comme lui pour faire bisette !"

Texte tiré de L’Éclaireur de l’Ain du 15 juin 1919.

Les tribulations des Dr Guillermet

Ci-dessous, diverses coupures de presse concernant les Dr Auguste et Louis Guillermet. Où l'on voit que la vie d'un médecin de campagne n'était pas de tout repos, qu'il n'était pas à l'abri d'un accident, et qu'en plus, il était également justicier !  

Notice sur les propriétés médicinales de la feuille de chou et sur son mode d'emploi, par Anselme Blanc, 1883.


Le Journal de l’Ain, 4 décembre 1891.

Le Journal de l'Ain, 12 septembre 1892.


Le Journal de l'Ain, 13 février 1893.


Le Journal de l'Ain, 25 janvier 1893.


Le Journal de l'Ain, 16 octobre 1893.

Le Journal de l'Ain, 14 septembre 1894.

L’Éclaireur de l’Ain, 21 novembre 1897.


L’Éclaireur de l’Ain, 27 octobre 1912.

La France libre, 13 décembre 1924.


L’Éclaireur de l’Ain, 10 avril 1927.


L’Éclaireur de l’Ain, 14 août 1927.


L’Éclaireur de l’Ain, 16 septembre 1928.


L’Éclaireur de l’Ain, 17 juillet 1932.


L’Éclaireur de l’Ain, 18 février 1934.


Le soutien au peuple espagnol

La guerre civile espagnole, souvent considérée comme le prologue de la seconde guerre mondiale, a opposé, de juillet 1936 à avril 1939, le gouvernement républicain espagnol du Frente Popular (Front populaire) élu en 1936 (orienté à gauche et à l'extrême-gauche, composé de communistes, de marxistes et de révolutionnaires anarchistes) à une insurrection militaire et nationaliste dirigée par Francisco Franco (composée de rebelles putschistes orientés à droite et à l'extrême-droite), bénéficiant de l’aide — déterminante — d’Adolf Hitler et de Benito Mussolini. Malgré le soutien de l’URSS, de la Grande-Bretagne, de la France et surtout des Brigades internationales (35 000 volontaires de 50 nations), la défaite des républicains a permis l’établissement de la dictature de Francisco Franco, qui a duré jusqu’à sa mort, en novembre 1975. Le conflit à fait plus d’un million de victimes.


L’Éclaireur de l’Ain, 27 mars 1938.


L’Éclaireur de l’Ain, 3 avril 1938.


Sources :
L’Éclaireur de l’Ain et Le Journal de l'Ain. Wikipédia.
Richesses touristiques et archéologiques du canton de Bellegarde-sur-Valserine, 2000. Estelle Wolozyn, Les sages-femmes et l’avortement entre 1920 et 1975, 2016.






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