Petit patrimoine : Les bornes-fontaines Bayard

 

Vieille enseigne Bayard à Villefranche-sur-Saône (69).

« La rue de Normandie est une de ces vieilles rues, à chaussée fendue, où la ville de Paris n’a pas encore mis de bornes-fontaines, et dont le ruisseau noir roule péniblement les eaux ménagères de toutes les maisons… » (Honoré de Balzac, Le Cousin Pons, 1847).

Bayard est une entreprise lyonnaise spécialisée dans la vente de produits hydrauliques, particulièrement en fonte, destinés à l'adduction d'eau ou l'arrosage. Ses modèles les plus connus sont les bornes-fontaines et les bornes d'incendie.

Fondée en 1881 par Jean-Louis Bayard (fils de François Bayard, dit « Baron », modeste ouvrier serrurier à Chambéry qui inventa une machine à fabriquer des clous), au 27 rue de la Rize, elle est tout d’abord spécialisée dans les robinets de bouillottes et les robinets vinicoles, ainsi que la barre sèche-torchons des noirs fourneaux qui ne s'appellent pas encore « cuisinières ». 

En 1901, Bayard invente la première borne-fontaine basée sur le principe du parallélogramme de la machine à vapeur : le puiseur fait tourner la tige d'un régulateur à boules ; celles-ci, en se soulevant, ouvrent l'orifice que leur poids tient fermé quand elles sont immobiles. Si le puiseur s'arrête, les boules retombent et la fermeture se produit progressivement et sans coup de bélier. Il appelle cette borne-fontaine  “l’anti-gaspilleuse” car comme l'indique ce nom, elle a pour but de s'opposer au gaspillage de l'eau, trop fréquent avec les bornes-fontaines ordinaires. On peut, à volonté, modérer le débit, en tournant très lentement ou l'augmenter en accélérant le mouvement. Pour se procurer de l'eau, il faut donc faire tourner d'une manière permanente la manivelle supérieure, dont la manœuvre est très douce et ne dépasse pas les forces d'un enfant. Aussitôt qu'on cesse de tourner, l'écoulement s'arrête. La fontaine est donc incalable, l'eau ne peut s'écouler hors de la présence et sans l'action continue de celui qui a intérêt à en avoir. L'appareil est rustique, ne comporte aucun ressort, aucune pièce fragile et n'exige aucun entretien. 

Bayard pose, rue de la Rize, à Lyon, une borne ainsi conditionnée qui, pendant quatre années de marche, n'a présenté aucune défaillance de fonctionnement et n'a pas coûté un centime de réparations. Elle desservait pourtant un quartier ouvrier excessivement peuplé. Des bornes du système Bayard sont donc employées à titre d'essai en nombres divers par les municipalités de Lyon, Béziers, Montargis, par le service du génie à Lyon, Perpignan, et par divers industriels parmi lesquels M. Menier, fabricant de chocolat à Noisiel (Seine-et-Marne). Cependant, certaines municipalités, plus routinières ou mal renseignées, prétendent que les bornes à écoulement libre continu sont avantageuses car elles entretiennent la propreté de la rue. Mais en réalité, quand une bouche d'égout n'est pas à proximité immédiate de la borne à eau continue, cette eau dégrade la chaussée ou produit de la boue et du verglas. 

Fillette prenant de l'eau à une borne-fontaine à Paris, en juillet 1921. Photographie de presse, agence Rol.

En 1906, P. Aristide Bergès, l’ancien directeur des Services des Eaux de Lyon, estime que parmi les quelques appareils de distribution d'eau déjà existants, la borne-fontaine Bayard est l'un des plus remarquables. Il lui semble difficile de trouver un appareil plus simple (son prix de vente n'atteint pas 120 francs), plus robuste et mieux approprié à la limitation automatique du débit. En effet, rien ne permet le déréglage du mouvement et le calage des organes : il faut tourner pour avoir de l'eau, il n'y en a plus si l'on cesse de tourner.

Le clapet de la borne-fontaine peut être placé profondément sous terre, ce qui met la borne à l'abri du gel, ou disposé relativement loin du point où le public a accès. De sorte qu'en même temps que l’incalabilité absolue, c'est-à-dire la limitation automatique du débit et la suppression sûre des coups de bélier, on obtient l'incongelabilité des bornes-fontaines.

Publicités de 1914 et 1924.

Malgré tous ces avantages, un courant d'opinion se manifeste en 1906 pour la suppression de toute borne-fontaine. Ce sont des considérations financières qui conduisent à de semblables mesures : une borne publique est une cause de limitation des installations d'eau dans les immeubles. La vente de l'eau s'en ressent, et les vendeurs, l'Administration, ou encore les entrepreneurs concessionnaires avec un solide cahier des charges, se plaignent et s'attaquent à ces petites installations “gênantes”. Évidemment, dès que quelque chose est gratuit et surtout utile aux plus défavorisés, les plus riches montent aux créneaux. C’est encore le cas aujourd’hui. Les temps ont beau changer, ils ne se tournent jamais du côté de l’égalité.

Evidemment, la suppression d'une grande partie des bornes-fontaines (entre autres) ne se fera pas sans conséquences. Le 13 novembre 1930, l’éboulement de la colline de Fourvière à Lyon, entraîne le décès de 16 habitants, 19 pompiers et 4 gardiens de la paix. Cette catastrophe est attribuée en grande partie à la saturation en eaux de la colline. En effet, l’arrivée progressive de l’eau potable à domicile a incité les propriétaires à condamner les anciennes arrivées d’eaux. L’obturation de ces drains a contribué à une mise en charge des eaux souterraines qui ont finalement déstabilisées la colline.


Catastrophe de Lyon-Saint-Jean ou catastrophe de Fourvière : l'éventrement des immeubles entre le Chemin-Neuf et la rue Tramassac (nov. 1930). Cette image provient de la Bibliothèque en ligne Gallica sous l'identifiant ARK btv1b9048331g. Photographie de presse, agence Meurisse.

Bayard invente ensuite, sur le même principe, un robinet d'intérieur, limitant le débit dans les mêmes conditions. Il n'a qu'un inconvénient, celui d'exiger l'action continue de celui qui veut se procurer de l'eau, c'est-à-dire d'immobiliser une de ses mains. Ce robinet, comme la borne-fontaine, supprime absolument les coups de bélier.

En 1910, Bayard ajoute à sa borne-fontaine une fonction incendie. Depuis cette date, l'entreprise s'est fortement et durablement implantée dans le domaine incendie en déposant plusieurs brevets et en faisant évoluer régulièrement ses bornes afin qu'elles s'adaptent aux normes. Il créera ainsi la borne "Emeraude" en 1936, "l'Emeraude B" en 1953, la borne à prises apparentes "Rubis" en 1954, "l'Emeraude C" en 1959, la borne à prises apparentes "Saphir" en 1973, la borne à prises apparentes "Retro" en 1989, "l'Emeraude 2000" en 2000, etc. 

Photo tirée de la brochure "Bayard 140 ans - 1881-2021" disponible sur Bayard.fr.

Aujourd'hui, les premières bornes-fontaines Bayard sont devenues des curiosités des lieux publics et constituent un petit patrimoine à préserver. Elles sont encore répandues à Lyon, dans les cimetières, les stades et les espaces verts. Elles sont également courantes dans toute la vallée de Grenoble mais aussi dans le département de l'Ain. On en trouve quelques-unes à Paris, notamment dans le jardin Frédéric-Dard à Montmartre, mais en réalité il en existe un peu partout en France. 

Sources : Wikipedia
P. Aristide Bergès, Le Génie civil (revue générale des industries françaises et étrangères) du 17 février 1906. 
Revue du génie militaire, 1908.
Claude Frangin, Historique de l'eau à Lyon, 2007.


Quelques bornes-fontaines et incendie Bayard trouvées ici et là

Neuville-sur-Ain (01)

Haut de la borne précédente. Neuville-sur-Ain.

Seconde borne Bayard à Neuville-sur-Ain.

Borne-incendie Bayard de 1954, toujours à Neuville-sur-Ain.

Une borne incendie Bayard Emeraude C (1959). Neuville-sur-Ain.

Cimetière d'Ambérieu-en-Bugey (01)

Bouche d'incendie Bayard sur trottoir, à la Clayette, Saône-et-Loire.

Corrèze en Corrèze. Une Saphir de 1973.

Coup double à Bugeat, Corrèze.

Corcelles (01)

Cimetière de Cusset, Villeurbanne (69)
 
Haut de la borne précédente au cimetière de Cusset.

Jardin public à Villeurbanne.

Coup double à Breignes (01)


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