Génelard : son mur classé Monument Industriel « Art Déco » et sa ligne de démarcation (Saône-et-Loire)



Ce mur a été classé Monument Industriel « Art Déco » par la commission nationale compétente. Mais par qui a-t-il été construit et pourquoi ? 


La Société Fournier-Mouillon, créée en 1868 symbolise ce qu'a été la métallurgie, la construction mécanique et l'esprit d'invention pour Génélard et la région. Le très riche sous-sol de la commune a permis d'extraire du charbon, du fer, de la chaux, des pierres de construction et du sable pour la céramique. Le canal du Charolais, passé en gabarit « Freycinet » (*) au milieu du XIXe siècle, plus l'arrivée du chemin de fer, promettaient un fort développement. 

(*) Le 5 août 1879, est lancé le grand programme de Charles de Freycinet, ministre des Transports : il s’agit d’améliorer les conditions de navigation et d’uniformiser le réseau pour accueillir des péniches de 300 ou 350 t. Les bateaux au « gabarit Freycinet », 38,5 m sur 5,05 m, vont donc se généraliser.


Alfred Fournier, monteur d'une société du Nord entretenant les portes d'écluses du canal, en déplacement à Génelard, commença par construire un atelier. Puis il fonda une petite société « Entreprise Fournier » et s'associa successivement à plusieurs ingénieurs pour développer les sociétés Fournier et Level, Fournier et Cornu, Fournier et Fils, puis, vers 1921, Fournier et Mouillon. Cette dernière entreprise emploie près de 300 personnes vers 1940. Elle devient le spécialiste du Matériel de Mines, des Treuils, des moteurs à air comprimé... et possède plus de 100 brevets, montrant ainsi l'esprit inventif des Génelardais. 

Bombardée par des avions italiens ou allemands le 16 juin 1940, elle ne retrouvera son lustre qu'en 1950 avec des ateliers construits un par un en fonction de l'évolution des produits. La vétusté de l'usine à la fin de la guerre devenait une gêne sur le plan commercial. C'est pourquoi ces messieurs Fournier et Mouillon ont décidé de faire construire ce mur dans le style Art Déco pour donner à leur entreprise l'apparence d'une grosse usine moderne. Un mur cache-misère ! C'est malin ! Il a été conçu par l'architecte Bernard de Digoin, spécialiste de ce style, et construit par une entreprise locale de 1949 à 1951. Il est décoré par de grandes lettres moulées de style art déco avec le nom et la raison sociale de l'entreprise. Les angles sont scandés de colonnes en béton. Derrière, se cachent des entrepôts en brique avec structure en métal, ainsi qu'une cheminée en brique.


Ce mur, vestige de l'énorme développement industriel de la cité, permet de mieux comprendre que la commune était alors un site commercial et industriel très important pour une population d'environ 2000 habitants. On trouvait en effet, au début de ce que l'on a appelé « les 30 Glorieuses », plus de 100 commerces ou entreprises et environ 750 emplois industriels. Il existait de nombreuses usines ou ateliers en plus de Fournier-Mouillon. La société Ponceblanc avec près de 200 personnes dans la construction mécanique, la tuilerie Piessat de 50 ouvriers, 3 fonderies, deux de fonte et une de bronze, plusieurs entreprises de main d'œuvre féminine, comme les Etablissements Lafond faisant des bleus de travail, des carrières et surtout de très nombreux artisans dont certains avaient 7 à 8 ouvriers. 


L'usine a commencé à péricliter après le 1er choc pétrolier de 1974 et a définitivement fermé ses portes en 1977, mais son mur Art Déco est toujours debout. Il monumentalise l'ensemble situé à l'entrée du centre-ville et est devenu le symbole de Génelard. (Même si certains Génelardais le détestent car ils le trouvent très moche.)

Le bâtiment situé en face du mur a été d'une part le siège de la gendarmerie au XIXe siècle et d'autre part celui du Quartier Général de la Wehrmacht pendant l'occupation, de 1940 à 1944. Il possédait un corps d'habitation, une cour, un jardin, une grande écurie et une prison. Le bâtiment a été légèrement modifié depuis, mais il correspond encore assez bien à ce qu'il était à l'époque. À partir de 1884 et jusqu'en 1895, la brigade de gendarmerie à cheval de Génelard est transférée à la section de Montceau-les-Mines suite aux événements graves dont le bassin houiller est le théâtre : les vols et pillages violents de la fameuse « Bande noire », appelée plus tard la « Bande à Bonnot ». Lors du départ du dernier gendarme de Génelard, le bâtiment est vendu à la société Fournier et Cornu. 

L'ancienne gendarmerie, QG de la Wehrmacht.

L'ancienne gendarmerie aujourd'hui.

L'ancienne gendarmerie a été réquisitionnée par les Allemands de juin 1940 à septembre 1944, tandis que la Gestapo occupait la grosse maison située au n°40 de la Grande Rue (aujourd'hui rebaptisée Rue Nationale). 

La maison réquisitionnée par la Gestapo au 40 Grande Rue, touche les ateliers de l'usine. 

Dès juillet 1940, les Allemands coupent la France en deux : d'un côté la France qu'ils occupent, de l'autre la France libre, les deux parties étant séparées par la fameuse ligne de démarcation. Instaurée par la convention d'armistice franco-allemande du 22 juin 1940 et entrée en vigueur trois jours plus tard, la ligne de démarcation, supposée temporaire, partagea en deux treize départements. Au nord de cette ligne, la zone occupée, peuplée et industrialisée. Au sud, la zone non occupée, relativement agricole. De juillet 1940 à mai 1941, la ligne de démarcation fut surveillée côté allemand par des militaires, avant d'être remplacés en mai 1941 par des douaniers. Côté français, la mission de surveillance fut confiée à des éléments de l'armée d'armistice, à des gendarmes, à des policiers et à des douaniers.


Panneaux explicatif (détail) au Centre d'interprétation de la ligne de démarcation de Génelard.

L'instauration de cette ligne eut de nombreuses incidences sur la vie quotidienne des Français : dès son installation, un régime de laissez-passer fut en effet mis en place pour toute personne souhaitant franchir légalement la ligne. Parallèlement se développèrent des passages clandestins (prisonniers de guerre, soldats alliés, réfractaires, étrangers, Juifs…), les passeurs firent leur apparition. La ligne de démarcation accoucha des premiers actes de résistance envers l'occupant.

Cette ligne entrava la communication et la circulation des personnes et des biens : courrier, téléphone et télégrammes furent d'abord interdits, puis à compter de septembre 1940 à nouveau autorisés, avec l'apparition notamment des cartes interzones sur lesquelles des indications pré-imprimées devaient être biffées. L'économie ainsi que les services administratifs et juridiques se retrouvèrent soudain complètement désorganisés par la démarcation. La vie scolaire, les sports et les loisirs, le ravitaillement, n'échappèrent pas eux non plus aux conséquences de cette ligne. Des trafics en tous genres se développèrent. À la suite du débarquement anglo-américain en Afrique du Nord, la zone non occupée fut envahie le 11 novembre 1942, mais la ligne de démarcation fut maintenue matériellement jusqu'au 1er mars 1943, date de son ouverture. Les laissez-passer furent alors supprimés. La fin officielle de la ligne n’est cependant signalée qu’en 1944.


Le canal du Centre qui matérialise la ligne de démarcation et le pont, point de contrôle entre la zone occupée (à gauche) et la zone libre (à partir des maisons à droite).


La commune de Génelard se trouvait initialement sur les 1 200 km du tracé de la ligne de démarcation, qui était matérialisé localement par le canal du Centre. Les forces d’occupation allemandes installèrent un poste de contrôle sur le pont de la route de Charolles (D 985, à côté de l'usine Fournier-Mouillon) afin de surveiller le passage des personnes souhaitant se rendre en zone libre. Les convois funéraires devaient passer le pont pour se rendre au cimetière, ce qui a permis à certains de se glisser parmi le cortège pour rejoindre la zone libre. Même si, par la suite, la ligne fut déplacée de quelques kilomètres, le poste demeura à cet emplacement pendant toute l’occupation. 

Sources : Centre d'interprétation de la ligne de démarcation de Génelard (à visiter si vous passez par là, situé à côté du pont), panneaux explicatifs à l'entrée de l'usine, Patrimoine Bourgogne Franche-Comté

L'usine Fournier-Mouillon avant la construction du mur.



La rentrée des usines en 1912.







Vue aérienne de Génelard avec son mur cachant les vieux ateliers de l'usine.

Centenaire de l’Usine Fournier-Mouillon, les médaillés à l’honneur.

Publicité dans L'Echo des mines et de la métallurgie, 1er février 1926.




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