Villégiatures par José Saincaize (1911)
En cherchant des infos pour un futur article sur les publicités peintes Rasurel, je suis tombée sur ce texte fort sympathique et de circonstance puisqu'il fait 32° aujourd'hui dans l'Ain. 🌞
Baigneuses, Boulogne-sur Mer, Pas-de-Calais, 1908.
« Ça chauffe. Le soleil darde ses rayons brûlants. On se croirait au Sénégal. C’est la canicule.
Dans les ateliers il fait insupportable, les postiers ambulants étouffent dans leurs roulottes, mécaniciens et chauffeurs perdent leur graisse au contact du foyer rougeoyant, verriers, forgerons, serruriers, maréchaux, fondeurs.
Ah ! l’on gagne son pain à la sueur de son front ! Dans les champs c'est la rôtissoire. Trimo Païsan !
Les bourgeois, eux aussi ressentent sur leur épiderme sensible, les effets calorifiques. Des gouttelettes sans aucun effort portent à leur front serein. Les tissus Rasurel et les flanelles, épongent ventre, reins et poitrines. Ils luttent contre la saison estivale de leur mieux. La chaleur est refoulée au moyen de jalousies, persiennes, stores.
Dans les beaux et spacieux appartements, les courants d’air sont établis, les ventilateurs électriques ronronnent, les laquais arrosent la cour et les jardins, les femmes de chambre entretiennent la fraîcheur. On boit à la glace. Imitant le singe, les bons rentiers s’installent dans les branches au moyen d’un hamac. Là, ils digèrent béatement et réfléchissent aux cours de la bourse.
Ce bien être ne suffit pas, il faut villégiaturer. On empile les vêtements dans les malles, valises, chapelières, corbeilles, et on part. Les camions emportent les bagages à la campagne voisine, ou bien c’est le landau qui vous emmène, ou l’auto qui vous emporte. On va à la montagne noire, vers le Lampy, ou Saint-Ferréol, à moins que l’on n’aille en Cerdagne. Peut-être prendra-t-on le sleeping-car vers Aulus, Bagnères, Luchon, Cauterets. Si l'estomac est fatigué par la trop bonne chère on se dirige sur Vichy, sur Vals, sur Evian, ou l’on s’installe à Biarritz, à moins que préférant le voisinage d’huîtres, on fasse halte par sympathie de mollusque à Arcachon.
Pour se reposer de la vie provinciale, on se guinde, sur le trente et un, col haut et souliers vernis, au théâtre, sur la promenade, au Casino. On fait sa poire, on sue l’encre de chine, mais on est en villégiature. Et qu’auraient dit les gens si l’on avait passé l’été sans partir !
Pendant ce temps, le prolo se morfond, se fond dans sa tanière, sans lumière, sans espace et sans air. Après la rude journée à l’atelier, à l'usine, aux champs, ou au bureau on va sur le boulevard, au jardin ou au square, mais tous les bancs sont occupés, puis l'on ne peut guère flâner le soir, car le matin il faut recommencer la besogne. Il fait chaud, il fait soif, et sur les terrasses des fortunés, sifflent des bocks, aspirent des cocktails, sucent des glaces. Contentons-nous de les regarder jouir !
Patientons, nous aussi nous l’aurons notre villégiature, plus tard, un jour, bientôt peut-être. Ce sera dans un grand jardin calme, silencieux, plein de recueillement, avec des fleurs, des pierres sculptées, des gazouillis d’oiseaux à l’ombre des saules, des yeuses, et des sapins, à quelques pieds sous terre, dans le champ de repos. »
José Saincaize, 1911.
Citroën, 1924.
Villégiature des pauvres. Cimetière d'Arcangues (64)
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