L’Ain face au loup : entre légendes, conflits et cohabitation

 

Le loup par Jacques de Sève, 1754.

Comment le loup a marqué l’histoire et la mémoire de l’Ain

Le loup, quel animal fascinant et terrible à la fois ! Dans les mémoires des gens de la région, il laisse souvent un goût amer. Saviez-vous qu’autrefois, il y a bien longtemps, les loups étaient communs aux environs de Bourg-en-Bresse ? Il est dit que lors de rudes hivers, ces beaux animaux n'hésitaient pas à venir rôder dans les faubourgs, jusqu'à la porte des maisons, pour enlever quelques malheureux chiens. 

Au Moyen Âge, le loup est considéré comme une menace pour les troupeaux et les habitants de la région. Des louveteries sont créées pour réguler leur population et protéger les élevages. 

En 1598, la région subit les ravages de l'armée du « bon roi Henri ». Les habitants de Saint-Rémy, cherchant refuge dans les bois pour échapper aux soudards, sont également confrontés aux loups affamés qui ne font qu'une bouchée de certains d'entre eux. 

En l’été 1738, après le traité de Vienne qui met fin aux guerres en Italie, des loups franchissent les Alpes et s’installent dans les bois autour de Neuville-les-Dames. Les Piémontais, craignant une invasion de meutes chez eux, les ont chassés. Les loups italiens, ayant développé un goût vorace pour la chair humaine sur les champs de bataille, s’enfuient vers la Bresse. Désormais privés de charniers, ils s'attaquent aux habitants qui croisent leur chemin. Dans les paroisses de Neuville-les-Dames, Sulignat, Saint-Jean-sur-Veyle, L’Abergement et Clémenciat, vingt-deux enfants perdent ainsi la vie. 

En 1793, pendant la Révolution, les loups profitent du désordre et du désarmement pour multiplier les prédations. 

Au XIXe siècle, les loups sont traqués sans relâche par les autorités et les habitants, qui organisent des battues et offrent des primes pour leur destruction. En 1869, une légende raconte que le dernier loup de l’Ain aurait été tué par un garde-champêtre à Saint-Rémy, après avoir dévoré une jeune fille. En réalité, il faudra attendre 1956 pour que le dernier loup soit abattu au Col de Richemond dans le nord du ValromeyLa chasse intensive conduit à la disparition du loup dans la région.

Au XXe siècle, les loups sont considérés comme éradiqués de l’Ain et de la France, jusqu’à ce qu’ils réapparaissent progressivement à partir des années 1990, en provenance d’Italie. En 2003, la présence du loup est attestée pour la première fois dans l’Ain, à la station des Plans d’Hotonnes, où un éleveur voit son troupeau décimé par des attaques à répétition. En 2009, un loup est écrasé par une voiture à Péron, et en 2012, un jeune loup est photographié à Mijoux.

Au XXIe siècle, les loups sont protégés par la loi en France et en Europe, mais ils suscitent toujours la controverse entre les défenseurs de la nature et les éleveurs. Dans l’Ain, la présence du loup est considérée comme « sous flux de dispersion permanent », ce qui signifie qu’il y est installé et qu’il s’y reproduit. Il y aurait au moins une meute composée de cinq individus adultes dans le département. En 2020, 86 attaques de loups (paraît-il) sur des troupeaux ont été recensées dans l’Ain. D'après  l’ONCFS (Office National de la Chasse et de la Faune sauvage), la population de loups en France est estimée à environ 580 individus en 2021.

Loup pris au piège par Jacques-Philippe Le Bas, 1749.

Une légende raconte à sa manière comment ces quadrupèdes détestés et honnis de la population ont abandonné nos cantons. 

« Il était une fois un pauvre vieux bûcheron et une pauvre vieille bûcheronne qui habitaient au milieu des bois une misérable cabane. Ils n'avaient pour vivre que le produit des ramées que le mari allait tous les jours chercher dans la forêt pendant que la femme cultivait leur courtil ou menait paître leur chèvre. [Un courtil est un petit jardin attenant à une maison de paysan, généralement clos de haies ou de barrières.]

Un soir que le bûcheron regagnait son logis en portant sur ses épaules un lourd fagot, il se trouva face à face avec un loup au détour d’un sentier. Il fut saisi d'une grande peur, car bien qu'il fût accoutumé à en voir fréquemment, jamais il n'en avait rencontré qui eussent la taille de celui-là et surtout son air féroce. Ce loup était fort grand et très maigre ; ses yeux brillaient et il montrait ses dents pointues et blanches. On voyait bien qu'il n'avait pas mangé depuis plusieurs jours.

La première pensée du bûcheron fut de jeter son fagot et de prendre la fuite, mais le loup ne lui en laissa pas le temps, il se précipita sur lui et le terrassa.

« Arrêtez, s'écria alors le pauvre homme. Arrêtez, monseigneur le loup. Y songez-vous ? Manger un vieux comme moi ! Ah ! Ce serait un dur régal et qui ne suffirait pas à apaiser votre faim. De grâce, épargnez-moi. »

Le loup s'était arrêté aux cris poussés par le bûcheron, mais il le maintenait toujours étendu sur le sol, il lui appuyait ses deux grosses pattes sur la poitrine et le regardait avec des yeux pleins de convoitise.

Le bûcheron, voyant que le loup lui avait fait tout de suite plus de peur que de mal, ne désespéra pas de sauver sa vie. « Si vous me tuez, vous en aurez certainement du repentir, monseigneur le loup, car, voyez, je n'ai que la peau sur les os... Ah ! Si vous vouliez attendre quelque peu et m'accompagner à la maison, quel bon repas vous pourriez faire.... »

Le loup avait toujours ses pattes appuyées sur la poitrine du bûcheron et il avait rapproché son museau... mais c'était pour mieux entendre sa victime qui continua : « J'ai deux petits enfants si roses et si gras... » En entendant cela le loup poussa un grognement de joie et se mit à lever le nez en aspirant l'air... On eut dit qu'il flairait déjà la chair fraîche.

« Si vous vouliez seulement me laisser mettre debout, je vous conduirais... » — « Marche ! gronda en son langage le méchant animal, marche vite, car j'ai grand faim. »

Si ce loup avait eu autant d'esprit que de taille, et peut être encore s'il n'avait pas été à jeun depuis si longtemps, il aurait bien deviné que c'était pour le tromper que le vieux bûcheron lui contait cette histoire des deux petits enfants. Jamais les pères, pas plus que les grands-pères, n'ont offert aux loups, quand il y en avait, de venir manger leurs petits enfants. Ce serait trop horrible. Le bûcheron avait donc menti ; il n'avait point d'enfants, ni gras, ni maigres, mais il avait inventé cette ruse pour gagner du temps et dans l'espoir de trouver en chemin une occasion de se sauver. Hélas, le loup marcha derrière lui, pas à pas, jusqu'au seuil de la cabane.

La vieille bûcheronne préparait des légumes pour la soupe ; il y avait un feu bien flambant dans la cheminée, et sur le feu une large marmite pleine d'eau. Quand elle vit rentrer son mari, qui était sorti depuis l'aube, elle éprouva une grande joie, mais sitôt qu'elle eût aperçu le camarade qui l'accompagnait, elle eut si peur qu'elle faillit tomber à la renverse.

« Eh bien, dit le bûcheron, où sont les enfants ? Est-ce qu'ils n'ont pas encore ramené la vache du pâturage ? » En entendant ces paroles, la vieille fut d'abord très surprise, mais elle comprit bien vite que c'était un détour, et alors elle chercha dans son esprit par quel moyen elle aiderait son mari à se débarrasser du loup. Celui-ci qui, outre les enfants, venait encore d'entendre parler d'une vache, se passait la langue sur les babines, et pour pouvoir mieux à son aise songer au bon repas qu’il ferait tout à l'heure, i! s'étendit de tout son long devant le feu.

Le bûcheron aussi s'était approché du foyer et jetait à chaque instant de grosses branches sous la marmite. Enfin l'eau se mit à bouillir, à bouillir, et quand il vit que le couvercle se soulevait en laissant échapper chaque fois, de petits nuages de vapeur : « Catherine, verse !... cria-t-il. » Aussitôt la vieille enleva la marmite et renversa tout ce qu'il y avait dedans d'eau bouillante sur le dos du loup. Ce dernier que la chaleur du feu avait à moitié endormi bondit en poussant des cris de douleur ; il fit ainsi trois fois le tour de la chambre puis, comme la porte était fermée, il enfonça une vitre de la fenêtre et disparut.

Le vieux bûcheron et la vieille bûcheronne rirent beaucoup de la bêtise du loup et de la façon imprévue dont ils s'en étaient délivrés.

« Jarni ! dit le mari, qui tremblait bien encore un peu, et qui se rappelait comme les yeux du loup avaient brillé lorsqu'il avait parlé des deux petits enfants roses et gras. Jarni ! ce bon souper que je lui avais promis il ne s'attendait pas à l'avaler aussi réchauffé que cela... »

— « C'est vrai, répliqua la vieille. Il a sans doute maigrement soupé, mais en revanche il emporte une couverture qui lui tiendra chaud tout l'hiver. »

C'est en faisant de pareilles plaisanteries qu'ils s'endormirent.

À quelque temps de là, le bûcheron faisait des fagots au plus épais de la forêt, quand soudain il entendit un léger bruit et vit s'avancer un loup. Ce loup était fort grand, très maigre, et il avait le dos affreusement pelé. « Je suis perdu cette fois, se dit le bûcheron qui reconnaissait son méchant loup ; il vient pour se venger, je serai mangé tout à l'heure. »

Cette pénible réflexion ne lui avait pourtant pas ôté sa présence d'esprit, car lorsque le loup, qui marchait à grandes enjambées, ne fut plus qu'à dix pas de lui, il courut vers un arbre qui était proche, et comme il était encore agile, quoique vieux, il y monta assez lestement pour se mettre à l'abri des dents de son ennemi. Qui fut tout penaud ? Quand le loup arriva au pied de l'arbre, il se dressa sur ses jambes de derrière tant qu'il put, il s'élança aussi haut qu'un loup peut sauter, mais inutilement, car le bûcheron était grimpé jusqu'au faîte de l'arbre, et de là haut il riait en le regardant faire bien tranquillement.

Lorsque la bête furieuse fût lasse de tourner, de sauter et d'enfoncer ses griffes dans l'arbre, elle s'arrêta, parut se concerter en elle-même et enfin se mit à hurler avec une telle force que certainement on l'entendit à deux lieues à la ronde.

« C'est ça, l'ami, chante à présent. Oh ! La belle musique ! Tu as vraiment une bonne voix. C'est dommage que M. notre Curé ne t'entende pas, pour sûr il t'inviterait à chanter vêpres dimanche à la place de notre marguillier qui est enrhumé... » Pendant un moment le bûcheron goguenarda et ricana sur ce ton, car il espérait que le loup se fatiguerait de monter la garde au bas de son arbre, et qu'il pourrait enfin en descendre. Mais quelle ne fut pas sa frayeur quand le long de tous les sentiers, de tous les fossés, des moindres coulées,  il vit accourir des loups qui marchaient à la file. Il paraît que cette façon de hurler était un appel à tous les loups du pays. 

Combien en arriva-t-il ? Le malheureux n'avait ni le temps et moins encore le désir de les compter. Bientôt il se mit à trembler de tous ses membres en voyant le gros loup s'appuyer contre l'arbre, un second s'élancer sur son dos puis un troisième sur le dos de celui-ci, puis un quatrième sur le dos de ce dernier, et tous grimper ainsi les uns au-dessus des autres. Cela faisait comme une immense pyramide de loups qui grandissait, grandissait à vue d'œil. Une minute encore et le bûcheron allait être atteint et mis en pièces, quand tout à coup une idée lui vint :

«  Catherine, verse ! » cria-t-il de toutes ses forces. 

Les bêtes ont presque toutes une excellente mémoire. Aussi, à ces mots, le vieux méchant loup qui se souvint de la douleur cuisante qu'il avait ressentie en les entendant pour la première fois devant le foyer du bûcheron, bondit et prit la fuite. Comme il faisait la base de la pyramide ce fût alors une dégringolade et une panique affreuse parmi la bande des loups. Ils tombèrent d'abord tous pêle-mêle, puis s'élancèrent sur les traces de leur chef qui dans sa frayeur les conduisit si loin, si loin que jamais depuis ce jour on n'en revit un seul dans le pays. »

Légende trouvée dans les Annales de la Société d'émulation, agriculture, lettres et arts de l'AinP. Barbier, 1869.



Les loups : des alliés pour la biodiversité, des partenaires pour l’humanité

Les loups sont des animaux fascinants, intelligents et sociaux, qui jouent un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre des écosystèmes. Ils régulent les populations de leurs proies, favorisent la biodiversité végétale et animale et contribuent à la santé des sols et des cours d’eau. Les loups sont aussi des symboles de liberté, de sauvagerie et de beauté, qui nourrissent notre imaginaire et notre culture.

Pourtant, les loups sont menacés par la persécution humaine, qui les considère comme des nuisibles, des concurrents ou des trophées de chasse. Malgré leur statut d’espèce protégée en France et en Europe, les loups sont victimes de tirs létaux, de braconnage, de pièges, de poisons, de dérangement ou de destruction de leur habitat. Ces pratiques sont non seulement contraires à l’éthique et au droit, mais aussi inefficaces et contre-productives pour réduire les conflits entre les loups et les activités humaines, notamment l’élevage.

Il existe pourtant des solutions alternatives pour cohabiter avec les loups, basées sur le respect mutuel, la prévention et l’adaptation. Des mesures de protection du bétail, comme l’utilisation de chiens de berger, de clôtures électriques ou de patrouilleurs, ont prouvé leur efficacité pour limiter les attaques de loups. Des aides financières et techniques sont disponibles pour accompagner les éleveurs dans cette transition. Des initiatives pédagogiques et touristiques sont également possibles pour valoriser la présence du loup et sensibiliser le public à sa conservation.

Plaidoyer pour des écosystèmes non désertés par les loups • ASPAS (aspas-nature.org)

Pourquoi la protection des loups fait débat | National Geographic

Loups : combien sont-ils dans l’Ain ? | Bugey Côtière - Journal (bugeycotiere.fr)

Quelle est la situation du loup en France ? - Geo.fr


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