De la frustration à l'émancipation : l'histoire de « Respect », d'Otis Redding à Aretha Franklin

Au-delà des enseignes d'antan : des histoires musicales à explorer


« Respect », qui s’inscrivait à l’origine dans le genre de la ballade, fut écrite par Otis Redding pour le chanteur Speedo Sims du groupe The Singing Demons. Mais Speedo et ses Demons ne parviennent pas à enregistrer une version convenable et acceptent de la rendre à Otis. En 1965, Redding l'enregistre lui-même, lui donnant un tempo plus rapide. Elle sort en single le 15 août 1965 sur le label Volt Records, une filiale de Stax. Elle est ensuite intégrée dans l'album « Otis Blue: Otis Redding Sings Soul » publié en septembre 1965.

La chanson d'Otis exprime les frustrations d'un mari épuisé qui travaille dur toute la journée pour subvenir aux besoins de sa femme. Tout ce qu'il demande en retour, c'est du respect. Il va même jusqu'à l'encourager à le tromper, tant qu'il obtient son respect en rentrant à la maison. Il se lamente : « Le respect est ce dont j'ai besoin, le respect est ce que je veux. Ce que tu veux, tu l'as, ce dont tu as besoin, tu l'as, tout ce que je demande, c'est un peu de respect quand je rentre à la maison ». Le message est celui d'un chef de famille qui s'occupe financièrement de sa femme et qui pense mériter d'être adulé pour cela ; un message que Johnny Hallyday reprendra fidèlement en 1966… 😨

Deux ans plus tard, une Aretha Franklin de 25 ans, s'empare de cet hymne machiste et lui donne une impulsion féminine inégalée, propulsant ainsi la chanson au sommet des hits. La Reine de la Soul fait de ce titre conservateur qui exprime la domination masculine, un cri de révolte féministe et antiraciste dans le contexte américain de l’époque. Mais pour elle, changer simplement le pronom de genre ne suffit pas. Elle conserve les couplets, mais ajoute un refrain dynamique avec des chœurs, assurés par ses sœurs Erma et Carolyn, ainsi que quelques nouvelles expressions, comme le ludique et provocant « sock it to me » ( « montre-moi de quoi tu es capable »), qui peut avoir une connotation sexuelle, bien qu'Aretha Franklin s'en soit défendue. Elle a également épelé le mot « R-E-S-P-E-C-T », non seulement pour le demander, mais aussi pour l'exiger. Sa version affirme que tout l'argent du monde n'a aucune valeur si son homme ne lui montre pas un certain respect. « All I’m asking is for a little respect when I come home » (« tout ce que je demande c’est un peu de respect quand je rentre à la maison ») devient alors « all I’m asking is for a little respect when you get home » (« tout ce que je demande c’est un peu de respect quand tu rentres à la maison »). D’autre part, elle n'a aucune envie de chercher un autre homme, affirmant « Je ne vais pas te tromper pendant ton absence... parce que je ne le veux pas » (« I ain’t gonna do you wrong while you’re gone… cause I don’t wanna »). Tout ce qu'elle veut, c'est qu'on lui montre simplement du R-E-S-P-E-C-T.

C’est ainsi que cette chanson, qui était initialement une simple expression des sentiments d'un mari en quête de reconnaissance, s'est transformée en un refrain pour la liberté et l'égalité des droits, un message qui résonne encore aujourd'hui (même si certains devraient prendre des notes). 

« Respect, c’était un besoin pour toute une nation, pour l’homme et la femme de la rue, le businessman et la mère de famille, le pompier et l’enseignant. Tout le monde exigeait le respect. La chanson a pris une signification monumentale. Elle est devenue l'incarnation du respect que les femmes attendent des hommes et les hommes des femmes, le droit inhérent de tous les êtres humains. C’était également le cri de ralliement du mouvement pour les droits civiques  », écrit Aretha dans ses Mémoires, Aretha : From These Roots, publiées en 1999.

« Respect » a été récompensée par deux Grammy Awards en 1968 et a été admise au Rock and Roll Hall of Fame en 1987, faisant d’Aretha la première femme acceptée dans le cercle très fermé du panthéon américain du rock. En 2004, le magazine Rolling Stone classe la chanson en 5e position dans sa liste des « 500 plus grandes chansons de tous les temps ». Elle est hissée à la première place dans la nouvelle liste publiée par le magazine en 2021, devançant ainsi Ray Charles, Elvis Presley, Sam Cooke, John Lennon ou Marvin Gaye.

Ce classique de la musique américaine, repris par de nombreux mouvements de revendication, apparaît dans une trentaine de films, comme « Platoon », « The Blues Brothers » ou « Forrest Gump ». Il a été maintes fois chanté, notamment par Stevie Wonder. 

« Respect » c’est aussi le nom du film consacré à la Reine de la Soul, sorti en France le 8 septembre 2021. Jennifer Hudson interprète Aretha Franklin dans ce biopic réalisé par Liesl Tommy.


Peu de temps avant de perdre la vie dans un accident d'avion en décembre 1967, Otis Redding interprète « Respect » sur la scène du Festival de Monterey, faisant un clin d'œil à la nouvelle étoile montante de la soul : « Le prochain morceau est une chanson qu’une fille a emportée loin de moi. Une bonne amie cette fille, elle m’a juste pris la chanson. Mais je vais quand même la jouer. »




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