Le Fort-Cellier : Une curiosité méconnue du Bugey

 




De la Forteresse Stratégique au Château d'Opérette (Virignin, 01)


Ah ! La route du défilé de Pierre-Châtel, ce ruban d'asphalte qui serpente entre Yenne et La Balme, offrant aux âmes vagabondes une échappée belle à travers le tableau vivant de la nature. Lorsque les voyageurs parcourent ce chemin, ils se sentent comme les vedettes d'un film à grand spectacle, avec la nature qui joue le rôle de la diva capricieuse. Et juste quand ils pensent avoir tout vu, un coup d'œil vers le ciel révèle une surprise nichée dans le ventre rocheux, veillée par l'ombre grandiose de la Chartreuse de Pierre-Châtel. À 45 mètres au-dessus des eaux dansantes du Rhône, là où l'Ain et la Savoie se donnent rendez-vous, se perche le Fort-Cellier, un petit bijou architectural connu sous des sobriquets aussi charmants que le « Château en carton-pâte », le « Château de la grotte des Romains » ou encore le « Décor d'opérette ». La première vision du fort ressemble à une scène tout droit sortie d’un conte de fées, avec son bâtiment central coiffé de deux tourelles circulaires, comme si un château de cinéma avait décidé de prendre racine ici. La façade est un tableau peint d'une balustrade illusionniste et de fenêtres à petits carreaux, un clin d'œil charmant au XVIIIe siècle.

Posez la question aux autochtones, et vous ouvrirez la boîte de Pandore des légendes locales. Certains diront que ce décor a été bâti pour le film « Mandrin » (Jean-Paul Le Chanois, 1962), tandis que d'autres jureront y avoir vu Jean Marais filer entre les rochers dans « Le Miracle des loups » (André Hunebelle, 1961). Et puis, il y a cette rumeur persistante d'une façade solitaire cachant des rails de déplacement de caméras d'un ancien set de tournage. Mais non, le Fort-Cellier n'est pas une étoile filante du septième art, mais plutôt une vieille âme du XVIe siècle.

L’histoire murmure que ce lieu, jadis un fort stratégique, a été construit sous le regard bienveillant des étoiles de la Renaissance. Même le célèbre Montaigne, lors de son passage, a été charmé par ce « petit fort » niché entre des rochers qui, selon lui, semblaient se serrer les uns contre les autres comme pour protéger ce trésor architectural.

Un contemporain de Montaigne, le chapelain Philippe de Caverel, a fourni des informations supplémentaires en décrivant un « château étrangement bâti et creusé entre les rochers, lequel on nous dit avoir plusieurs secrètes entrées souterraines et être tellement dressé, que les bouches à feu donnent droitement sur les avenues d’icelui sans que l’on s’en aperçoive que bien tard. » Ces descriptions mettent en évidence la fonction stratégique de ce site, propriété des Duport, seigneurs de la Balme, Pierre-Châtel et Champd’Asar, concessionnaires du bac à traille sur le Rhône. Le fort du XVIe siècle est composé de trois niveaux distincts. Le rez-de-chaussée était probablement utilisé comme cave ou espace de stockage, offrant un accès direct aux deux cours. Les deux portes d'entrée sont surmontées d’un écusson timbré aux armes des Duport. Le premier étage, considéré comme l'étage noble, présentait une façade ornée d'une fenêtre à double assise et à l'ouest, une cheminée. Le second étage offrait une vue imprenable sur le défilé. Il permettait d'accéder à un chemin de ronde en bois qui s'étendait dans les deux cours. Plus tard, deux pigeonniers ont été ajoutés au sommet des deux tours qui flanquent le logis. Le fort Duport servait donc probablement à surveiller et défendre le défilé, ainsi que le bac sur le Rhône en contrebas.

Le défilé de Pierre-Châtel a joué un rôle stratégique important en facilitant la communication entre la région de Chambéry et les plaines à l'ouest du Rhône. Son importance s'est renforcée avec l'annexion du Bugey par la France en 1601. Cependant, le petit fort situé dans la grotte n'était plus adapté à ces évolutions. C'est pourquoi, au XVIIe siècle, la France a entrepris la construction d'un nouveau fort sur les falaises surplombant la grotte, à une altitude de 350 mètres, jouxtant et englobant l’ancienne chartreuse, construite en 1386. Depuis ce fort, il était impossible de voir le fond du défilé, mais il offrait la possibilité à l’artillerie de bombarder la route le traversant en aval et en amont. En 1814-1815, faute de pouvoir le prendre, les Autrichiens ont bombardé le fort depuis les hauteurs environnantes. Pour remédier à cette vulnérabilité, un nouveau fort, le Fort-les-Bancs, fut construit plus haut, à une altitude de 510 mètres, entre 1840 et 1850. Cependant, il n'a jamais été utilisé à des fins défensives, surtout après le rattachement de la Savoie à la France en 1860.

La transformation du Fort Duport en décor de cinéma remonte au XVIIIe siècle. En 1744, une fête grandiose fut organisée dans le défilé de Pierre-Châtel pour honorer le rétablissement du roi Louis XV. À cette occasion, de nombreuses cavités furent aménagées et ornées de décors et d’illuminations. Dans l’espoir de gagner les faveurs du roi, le comte de Seyssel fit recouvrir la façade d’un nouvel enduit, dissimulant les meurtrières. Puis il fut revêtu d’un badigeon rosé et d’un décor en trompe-l’œil, créant l’illusion d’une façade du XVIIIe siècle, avec ses balustrades et ses grandes fenêtres à petits carreaux. C’est ainsi qu’il perdit ses caractéristiques militaires et son parapet crénelé, soigneusement remodelé pour ressembler au « château d’opérette » qui fait aujourd'hui le bonheur des photographes.

Dans sa dernière utilisation, il servit humblement de cellier pour les vignes qui couvraient autrefois la pente surplombant le Rhône, lui conférant le surnom affectueux de « Fort-Cellier ». 

Sources
Paul Courbon - Chroniques Souterraines
Aurélie Devillechaise - Virignin – Maison forte de Pierre Châtel
Richesses touristiques et archéologiques des communes rurales du canton de Belley, 1994.




Petit pavillon.

Le Pont de la Balme sur le Rhône, entre l'Ain et la Savoie.




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