"Acquittez les 5 d'Oyonnax" : un graffiti de 1949 encore visible sur un mur de Nantua (Ain)



Décidément, ce mur Nantuatien nous replonge dans l'histoire ! Aux côtés du graffiti demandant la libération d'Henri Martin (voir ici), se trouve celui qui réclame l'acquittement des 5 d'Oyonnax. 
Cette fois-ci, les recherches sur la signification de ce tag ont été plus compliquées, mais son histoire a fini par se dévoiler grâce aux archives de presse. 

Ici, le contexte n'est pas militaire mais social. Il n'est pas question de paix en Indochine mais d'expulsion de locataires. 

Il faut savoir qu'à l'époque, un locataire tombant sous le coup d'une expulsion et ne trouvant pas de nouveau logement, était contraint, tant qu'il n'avait pas vidé les lieux, à verser une astreinte de plusieurs centaines de francs à l'Etat en plus de son loyer. C'est une proposition communiste, adoptée à l'Assemblée Nationale, qui a mit fin à ce scandale.

Le 23 septembre 1949, parce que des centaines de travailleurs oyonnaxiens manifestent contre l'expulsion d'un locataire, cinq d'entre eux sont poursuivis en justice. 

Tout commence lorsque le propriétaire du logement, M. Patel (qui, d'après l'opinion publique est d'un caractère irascible et gagnerait en sympathie s'il était plus effacé), expulse « manu-militari » ses locataires ouvriers, le ménage Mercier. Il veut récupérer le logement loué pour agrandir le sien en prévision d'un futur mariage, alors qu'il dispose déjà de cinq pièces. (Il prévoit sans doute d'avoir beaucoup d'enfants).

La manifestation se déroule dans le calme, aucun incident violent n'est à déplorer. Malgré cette attitude digne, le commissaire de police Micelli juge bon d'inculper cinq personnes parmi les quelques trois ou quatre cents autres. Le motif : rébellion contre agents de la force publique. Pourtant, aucun coup n'est donné. Mais le locataire Mercier est menotté comme un malfaiteur car il exprime son mécontentement face à de telles mesures de force. Les cinq inculpés : Aimé Mercier, le locataire, M. Martini, ancien déporté, Gustave Mignon, conseiller municipal, M. Pidal et sa femme. Leur crime ? Une opposition ferme mais pacifique à l'expulsion, comme plusieurs centaines d'autres personnes. 

Les cinq inculpés sont convoqués devant le Tribunal Correctionnel de Nantua le 25 novembre 1949. La population oyonnaxienne apprend avec stupéfaction les poursuites intentées contre ces cinq personnes. Connaissant les faits, sachant qu’aucun geste regrettable ne fut prodigué, elle s'élève unanimement contre de tels procédés. Pour elle, la condamnation de ces cinq personnes représente la négation absolue de la liberté et la porte ouverte à tous les abus. L'inculpation de rébellion contre les agents de la force publique est donc abusive. Elle décide de réagir en demandant l'acquittement pur et simple des cinq d'Oyonnax afin que la justice « ne soit pas bafouée en condamnant des innocents ». Sans expulsion, il n'y aurait pas eu de manifestation et sans la crise du logement qui était aussi intense à l'époque qu'aujourd'hui, il n'y aurait pas eu d'affaire Mercier. Des listes de pétitions sont envoyées au Tribunal de Nantua, un meeting de protestation est organisé le 21 novembre 1949, des graffitis sont tagués sur les murs d'Oyonnax et de Nantua. Toutes opinions confondues, des centaines de personnes réprouvent le procédé des expulsions sans relogement. 

Le procès du 25 novembre est reporté au 2 décembre par le Tribunal de Nantua car ce jour-là, eut lieu dans toute la France, une grève d'avertissement de 24 heures en réprobation à une politique « néfaste au pays ». L'arrêt total des transports a empêché Maître Blavier, avocat au Barreau de Paris, de se rendre à Nantua. 

Le 2 décembre, le procès s'ouvre enfin. Maître Blavier plaide le problème humain : on ne peut pas jeter à la rue qui que ce soit sans lui assurer à nouveau un logement. Il étreint l'auditoire d'émotion quand il évoque le cas d'une famille parisienne réduite à coucher sous un abri de tonneaux au Quai de Bercy. Il argumente sur la crise du logement et sur l'extrême difficulté à pouvoir se reloger en cas d'expulsion. Le jugement est encore remis à huitaine, les cinq inculpés sont confiants sur le verdict. 

Le 9 décembre le verdict tombe enfin : 1 mois et 8 jours de prison avec sursis et 65 000 francs d'amende. La population est sidérée par une telle sévérité. Le propriétaire Patel quant à lui, trois mois après l'expulsion de ses locataires, n'a toujours pas utilisé l'appartement qu'il leur a repris. 

Les 5 d'Oyonnax font appel auprès de la Cour de Lyon le jeudi 2 février 1950. Le jugement de Nantua est confirmé.

Sources : L’Éclaireur de l'Ain du 5 novembre 1949, du 12 novembre 1949, du 3 décembre 1949, du 17 décembre 1949.


Cet autre graffiti se trouve sur le même mur à Nantua. Il est plus récent puisqu'il date de 1988. Cette année-là, André Lajoinie, né le 26 décembre 1929 à Chasteaux en Corrèze, est candidat PCF à l'élection présidentielle. Il fait face à la candidature dissidente de Pierre Juquin. Il réunit 6,76 % des voix au premier tour.



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