Le temple gallo romain d'Izernore (vestiges) et son mystère (Ain)
Dans le département de l'Ain, au milieu des chaînes de montagnes qui traversent la pittoresque contrée du Bugey, et à quelques kilomètres de Nantua, on découvre avec étonnement, dans le village d’Izernore, les colonnes encore debout d'un temple antique, construit au temps de la domination romaine dans les Gaules. Ces vestiges constituent, selon les connaissances actuelles, le seul centre urbain gallo-romain du Haut-Bugey. Il n'est cependant qu'un élément d'un vaste ensemble présentant toutes les composantes d'un vicus (voies, habitat noble, fermes, commerces, thermes, sanctuaire...) assez étendu et riche de nombreux aménagements. En voyant ces fûts et ces piédestaux qui ont défié les années et les dévastations, on imagine la nation conquérante qui est passée par là. Un chauvin dirait qu’on se croirait presque transporté dans le Forum de Rome, ou devant les restes du temple de la Concorde ! 😉
Malgré les fouilles successives et les nombreux écrits s’y rapportant, le temple d’Izernore n’a pas livré tous ses secrets. Personne ne sait dire, encore aujourd’hui, par qui, pourquoi et au nom de quelle puissance divine il a été édifié. Son origine est donc toujours basée sur des suppositions. Certains attribuent sa construction aux grecs, d’autres aux romains. Les uns le dédient à Mercure, les autres à Mars. Un certain M.D., dans sa 7ème lettre sur le Bugey datée du 24 juin 1813, affirme que ce n’était pas un temple mais un simple autel : “La forme et l'étendue des ruines actuelles, je l'ai déjà dit, ne sont point celles d'un temple. Rien de ce qui environne ces ruines, ne sert à le prouver. Au contraire, j'aperçois dans ce qui existe toutes les traces d'un autel. Les autels se plaçaient sur des éminences, sur le bord des chemins. Ceux des patrons étaient hors de l'enceinte des villes. On y remarquait des inscriptions ou pierres votives nommées ex voto ; des peintures qui représentaient des fruits, des feuillages et même des animaux les ornaient ; des statues colossales souvent les décoraient ; des mosaïques formaient le pavé. Ces pavés étaient inclinés vers les diverses statues, au pied desquelles étaient des trous par où s'échappaient et allaient couler au-dessous le sang des victimes. A tous ces traits, je reconnais parfaitement le caractère des ruines antiques d'Izernore. Elles sont sur une éminence, à l'extrémité d'un lieu, au bord d'un chemin, et une pierre portant inscription en l'honneur de Mercure ne peut pas laisser douter que l'autel ne lui fût consacré. Des débris de peinture sur lesquels on aperçoit un petit animal, des feuillages, des fruits et des fleurs, des fragments de pierres dans lesquels on aperçoit le dessin et la forme d'un casque, annoncent qu'il appartenait à une statue d'une grande proportion. Le pavé en mosaïque, parfaitement conservé, qu'on trouva dans les premières fouilles, enfin cette multiplicité de petits murs qu'on vient de découvrir dans les dernières, ne peuvent être regardés que comme des réservoirs et des écouloirs où tombait et où s'écoulait le sang des victimes. Tant de raisons et autant de motifs pour croire que les ruines d'Izernore étaient plutôt un autel qu'un temple.”
L'opinion générale pense qu'il existait autrefois une ville importante sur l'emplacement où se trouve aujourd'hui le village d'Izernore, simple chef-lieu de canton de l'arrondissement de Nantua. Les nombreux et beaux débris recueillis ne font que l'attester. On y a même battu monnaie selon les ouvrages de Claude Bouteroue et François Le Blanc sur les monnaies de France (1666 et 1690). Izernore fut, en effet, à l'époque mérovingienne, le siège d'un atelier monétaire. Les pièces qui en sont sorties sont très recherchées. Sur les unes on lit : Iserrnobero, Isernobero ; sur d'autres, Isarno, Isarnodoro, Isanobero, etc. Des tiers de sols en or sont signés des monétaires Droctebalus, Airraco, Wintrio, Virvaldus. La destruction de la ville d'Izernore remonterait probablement à cette époque de César, où la ligue gauloise (cinquante ans avant Jésus-Christ) décida la destruction de toutes les villes, gros bourgs, maisons de campagne de cette partie de la Gaule, afin d'affamer l'ennemi. On sait que près de cinquante villes ou bourgs furent livrés aux flammes. D'après M. Guigne, ce serait seulement au VIIIe siècle qu'lzernore aurait été détruite de fond en comble par les hordes sarrasines. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'au commencement du XIe siècle, l'antique vicus ne comptait plus que quelques habitations groupées autour d'une modeste église.
Source photo : Gazette Drouot. |
On a pensé, tout d'abord, que l'étymologie d'Izernore pouvait bien venir d'Isis, dont le culte existait dans quelques parties de la Gaule, d'autant plus que l'on rencontre non loin de là les villages d'Izenave et de Vieu-d'Izenave. Bacon-Tacon était un auteur qui voyait le nom d’Isis dans tous les lieux comprenant la syllabe “is”. Il citait l'Isère, rivière d'Isis ; Génissiat, qui signifie « restes du temple d'Isis » ; Izieu, Iselet, Vérisieux, Peisieu ; le Lingis, aujourd'hui le Lange ou l'Ange, dont le nom, disait-il, “fait conjecturer que cette rivière venait baigner un temple d'Isis” ; enfin, et surtout, Izenave : « Isinave est une dénomination... qui signifie le navire d'Isis, Isiaca navis; ce qui indique que les deux noms de lieux qui portent ce nom d'Isinave ont été originairement appliqués à des chefs-lieux de ce culte, et qu'en chacun d'eux était un temple où se conservait le prétendu vaisseau d'Isis, le même, dans l'opinion des peuples, sur lequel elle avait parcouru les mers dans sa longue fuite devant la colère de Junon ». Il citait aussi naturellement, les noms Isidore, qui signifie « don de la déesse Isis » et Isabelle ou Isabeau. Depuis cette époque, les élèves de Bacon-Tacon ont encore complété ses trouvailles : Izieu, nom d'une commune, et Isieux, ancien nom de lieu au territoire de Sault-Brénaz, anciennement Isiacus, auraient été la « demeure d'Isis ». Pure fantaisie, d’après les érudits : dans Izieu, Isiacus, nous voyons la propriété d'un Gallo-romain du nom d'Isius. Quant à Izernore, Is-ern-or, ce serait, d'après Gravot, « l'endroit consacré à Isis », mais en réalité il signifierait porte de fer. Il se retrouve dans les racines étymologiques de plusieurs langues avec cette indication.
Peinture murale représentant la déesse Isis, dans la tombe d’Horemheb. |
Jacques Maissiat, qui a consacré un volume à l'Itinéraire d'Annibal et trois au Séjour de César dans les Gaules, a déployé de grands efforts d'érudition dans son troisième volume de César pour prouver qu'lzernore fut Alesia où César vainquit Vercingétorix. Il argue principalement d’une inscription, ou plutôt d'un fragment d'inscription, trouvée dans les ruines et à laquelle selon lui on pourrait donner le sens suivant : A Alesia, l'armée romaine, dans l'enthousiasme, et la joie de sa victoire sur le roi des Gaulois, a érigé ce monument en l'honneur de son général. Mais l'avis de M. Maissiat n'a pas prévalu, et les savants se sont accordés pour placer le lieu de la fameuse bataille à Alise-Sainte-Reine en Bourgogne, où une statue a été élevée, sur le mont Auxois, au dernier défenseur des Gaules contre les armées romaines. Alexandre Bérard, sénateur de l’Ain, est toutefois du même avis que Maissiat et l’exprime avec conviction et moults arguments dans “Alésia” un texte paru dans le Bulletin de la Société des naturalistes de l'Ain de 1911, ajoutant également qu’Izernodurum était bien une cité gallo-romaine vouée à Isis et non à Mercure. D’autres bourgs revendiquent également la paternité d'Alésia : Aluse dans le Doubs, Alise en Saône-et-Loire, ou encore Alais dans le Gard. M. Barlès, dans son récit “Une promenade à Izernore” relaté dans le Bulletin de la Société des sciences historiques et naturelles de Semur (Côte-d'Or), daté de 1933, raconte qu’il a essayé de situer le siège probable d’Alésia lors de sa promenade dans le village et que d’après ses constatations, il “ne voit aucune objection” à ce que la bataille ait bien eu lieu à cet endroit.
Plan d'Alésia, Mont Auxois. |
Les fouilles effectuées depuis le XVIIIe siècle ont permis de retrouver un établissement thermal et deux villas situés à la périphérie sud du village, la villa de Perignat et la villa de Bussy. Des îlots d'habitations ont aussi été reconnus au nord le long d'une voie de communication antique qui traverse le plateau du Haut-Bugey du nord au sud. Le vicus romain a été précédé par un village gaulois. Il semble être peu important jusqu'au milieu du 1er siècle après J.-C. Il connaît ensuite une extension prospère jusqu'au IVe siècle à l'époque des invasions barbares. Un incendie important survenu en 68 ou 69 après J.-C. ne semble pas l'avoir affecté.
La plus ancienne mention du temple d'Izernore provient d'un document du VIe siècle qui le signale “en partie détruit”. En 1650, Guichenon nous signale la présence de “trois colonnes de marbre d'une hauteur de 35 pieds” à Izernore. En 1706, Egenod décrit avec un peu plus de précision le temple. De même qu'en 1720, De Vegle indique la présence de trois colonnes placées sur leurs “pieds d'estaux”. Les premières fouilles ont lieu en 1784. Messieurs Prost et Molinard, financés par Thomas Riboud, fondateur de la Société d'Émulation de l'Ain, décrivent la présence au niveau du temple de deux édifices successifs. Le soubassement est celui d’un édifice antérieur à J.-C., composé entre autres d’une cella et d’un péristyle ; les trois piliers appartiennent à un second édifice datant du 1er siècle après J.-C. quand le temple a été agrandi et surélevé. Au niveau des thermes, ils dégagent trois salles et peut-être même un théâtre, mais cela n’a pas été vérifié.
Tiré de : Les Annales politiques et littéraires du 25 novembre 1906. |
En 1813, la Société d'Émulation de l'Ain effectue une nouvelle fouille au niveau du temple afin de dégager le parement extérieur. En 1822, Désiré Monnier reprend les fouilles à l'intérieur du temple afin de vérifier la présence des deux édifices. En 1828, les fouilles sont réalisées par monsieur Auguste De Reydellet et les habitants d'Izernore. Ils trouvent un doigt en bronze appartenant à une statue dans un champ à proximité du temple. Reydellet pense que « c’est celui d'une statue ayant au moins cinq pieds de hauteur, avec cinq médailles en cuivre et une en argent ». Le doigt a été déposé au Musée de Bourg.
Au-dessous des murs qui soutiennent les colonnes, on a découvert une mosaïque incrustée dans une couche de ciment très fin. Riboud dit avoir vu des conduits, des aqueducs, des passages secrets, pour le service du temple et des prêtres. Quelques murs semblaient peints de fresques. Quelques fouilles ont été pratiquées hors de l'enceinte du temple, permettant de découvrir des murs d'un mètre d'épaisseur, revêtus intérieurement d'une couche de ciment dur et poli ; puis plusieurs salles de bain pavées en marbre blanc. Toutes les pièces nécessaires à un confortable établissement de bains, tels que les avaient les anciens, ont été parfaitement déterminées, comme le vaporarium, le sudatorium, la piscina. Des fragments de corniches en pierre et en marbre ont été recueillis dans ces diverses salles. En 1863, Étienne Joseph Carrier dressera à la demande du préfet de l'Ain les plans des monuments.
De 1906 à 1910, de nouvelles fouilles sont réalisées par messieurs Tournéry, Chanel et Cheney (maire d'Izernore). À cette occasion, les villas de Perignat et de Bussy sont explorées et les fouilles fournissent une ample moisson d'objets : vases, marbres, monnaies, peintures murales de l'époque Gallo Romaine, etc. C’est à la suite de ces fouilles que le musée archéologique d’Izernore est créé afin d'y exposer tous les objets découverts.
Entre 1962 et 1972, messieurs Chevalier et Lemaître avec le groupe archéologique du Touring Club de France réalisent des fouilles avec des méthodes modernes sur l'ensemble des sites. D'importantes découvertes comme des céramiques sigillées du sud de la Gaule et une bague en or avec une intaille représentant la scène de l'enlèvement de Palladium sont faites à cette occasion. [Une intaille est une pierre dure et fine gravée en creux pour servir de sceau ou de cachet.] En 2000, 2002 et 2007, l'Inrap effectue des sondages en différents endroits de l'agglomération. Une nouvelle campagne de fouilles au niveau du temple a eu lieu en 2013 et 2014, puis durant l'été 2020 une nouvelle fouille est effectuée Rue des Tablettes. L'opération a révélé un quartier d'habitation antique en activité entre le 1er et le 5e siècle ainsi qu'un ensemble de puits. Un petit clic pour en savoir plus.
Les archéologues et les savants ont publié de nombreuses dissertations sur ces ruines ; c'était à qui trouverait les origines les plus fabuleuses, les plus éloignées. Une inscription votive incomplète : ..rcurio sacrum ...cius Tutellus et sui v. s. l. m., gravée sur une pierre découverte dans la cour du presbytère d’Izernore, a fait penser que le temple était dédié à Mercure. L'abbé Chapuis, se fondant sur les toponymes des lieux environnants, l'a attribué à Mars. L'attribution au dieu Mars repose sur la découverte à la porte du temple d'une bague ornée d'une figuration de cette divinité. Des fragments de pierre retrouvée au XIXe siècle ont également permis la reconstitution d'un casque qui ferait partie d'une représentation guerrière. M. Rouyer, dans un écrit de 1820, assure que le temple était dédié à Mars car il est situé hors la ville. Les temples dédiés à ce dieu étaient en effet toujours situés en dehors des villes pour deux raisons : 1) Le maintien des bonnes mœurs (allusion aux amours de Mars et de Vénus) ; 2) Préserver la ville des attaques des ennemis et la soustraire aux périls de la guerre. Les temples de Mercure étaient toujours à l'intérieur des villes, et sur la place même où se rendait la justice, ou sur celle où se tenaient les foires et les marchés.
Le doigt de la statue, découvert en 1828, longtemps considéré comme étant celui d'une femme fit également attribuer le temple à une divinité féminine. Mais comme il n'est pas possible de déterminer avec certitude le sexe de ce doigt et que les données archéologiques sont trop parcellaires, l'attribution du temple à une divinité reste hypothétique. En somme, bien des doutes existent sur la véritable origine du temple d'Izernore.
Le temple sera classé monument historique en 1840. Aujourd’hui il est entouré d’une grille pour assurer sa protection mais celles-ci sont ouvertes lors des Journées du Patrimoine. L'accès au temple est situé sur la droite après le centre du village (fléchage). Chemin des Colonnes. Coordonnées GPS : 46 N 13' 24" 05 E 33' 31" Altitude 477 m.
Info : Ne vous rendez pas à Izernore en espérant y faire une promenade bucolique et hors du temps. Le village a énormément changé depuis quelques années. Il est en voie de bétonisation totale et son charme d’antan n’est plus. Côté sud, une zone industrielle s’étend sur plusieurs kilomètres, rendant l’arrivée au village très peu engageante. Le centre a été rasé de ses vieux bâtiments sur lesquels ont été reconstruits des édifices en béton sans charme et sans âme. Quelques maisons anciennes subsistent toutefois dans le village, ainsi qu’un joli lavoir couvert et sa fontaine (La pierre mouillée), datés de 1850. Allez-y pour le temple, pour le musée d’archéologie, pour l’église du XVe, le lavoir, et pour sa borne Michelin ! (Si toutefois elle n’a pas été enlevée lors de la reconstruction du centre...). Préférez ensuite les alentours qui offrent de beaux panoramas et de chouettes balades.
Photos de septembre 2019
La borne Michelin. |
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