Quand l'épiscopat luttait contre l'école laïque en condamnant des manuels scolaires : Guerre scolaire (1907-1914 et plus)

 



Des autodafés de l’Inquisition aux ouvrages brûlés par les nazis, la pulsion de destruction a durablement obsédé les pouvoirs oppresseurs qui, en anéantissant les livres et souvent, leurs auteurs, pensaient éradiquer à jamais leurs idées. La force de l’écrit est d’avoir rendu tragiquement dérisoire cette noire volonté” (
Roger Chartier, Le livre en révolutions, 1997).

La guerre scolaire des années 1900-1910 est un ensemble de débats politiques et de conflits sociaux portant sur la place de la religion dans l'enseignement en France. Elle découle de la situation politique créée par la loi de séparation des Églises et de l'État, adoptée le 9 décembre 1905 à l’initiative du député républicain-socialiste Aristide Briand, et éclate véritablement en 1907, lors de l'affaire Morizot, qui concerne un instituteur accusé d'avoir tenu des propos antireligieux. Le gouvernement, sous la pression de la Ligue de l'enseignement, dépose alors un projet de loi pour soustraire les instituteurs aux tribunaux civils et mettre à l'amende les familles qui refusent de faire suivre à leurs enfants les cours de morale laïque. La riposte de la hiérarchie catholique est immédiate : dans sa déclaration de septembre 1908, l'épiscopat français s'oppose à la nouvelle législation et réaffirme le droit de regard des familles sur l'éducation dispensée à l'école publique. Fréquenter l’école publique quand on peut s’en dispenser, c’est donc désobéir à l'Eglise et manquer à sa foi. Au cours des mois qui suivent, les cardinaux français — sous la direction de l'intransigeant cardinal Merry del Val — travaillent ensuite à redéfinir la doctrine scolaire de l’Église de France, aboutissant en septembre 1909 au rejet de la neutralité scolaire, à la préférence donnée à l'école libre et à la condamnation d'une quinzaine de manuels scolaires. La crise se poursuit pendant plusieurs années, les radicaux bataillant jusqu'en 1914 pour faire voter leurs projets de « défense laïque ». L'Union sacrée qui préside au début de la Première Guerre mondiale vient alors mettre fin aux hostilités scolaires. Mais celles-ci reprendront après la guerre. Dans l’Express du Midi du 16 août 1923, Maurice Talmeyr compare les instituteurs à des fous qui préparent des ignorants et des paresseux, et les institutrices à des filles perdues qui préparent des prostituées. Un groupe d’instituteurs porte plainte. Le Tribunal de Toulouse condamne Talmeyr et le journal à 500 francs d’amende.

Le cardinal Merry del Val, secrétaire d'État du pape Pie X et acteur majeur de la guerre scolaire du côté de la hiérarchie catholique. Source : Wikipedia.


Dès la promulgation de la loi, des catholiques du Nord se réunissent à Lille et rédigent une longue déclaration, violemment hostile aux « écoles sans Dieu » : 

« (...) Nous, pères de famille, responsables de l'âme de nos fils et de nos filles, nous déclarons avec l'Evangile qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes.

« Nous déclarons que nous considérons la présente loi comme nulle et non avenue ; et que, si nous sommes prêts à obéir à toute loi légitime, jamais nous ne nous soumettrons à une loi qui veut tuer l'âme de nos enfants. 

« Nous déclarons que nous regardons comme notre premier devoir d'éloigner nos enfants de toute école qui, s'inspirant de cette loi d'impiété, ferait, par le caractère constaté de son enseignement et de sa direction, courir un péril certain à l'âme de la jeunesse. (...) 

« Nous déclarons enfin que nous nous engageons à user de tout notre pouvoir pour détourner de ces écoles toute personne et toute famille sur laquelle nous avons une influence légitime. Ainsi puissions-nous, avec le secours de Dieu, par l'unanimité de nos efforts, réveiller les consciences, contraindre la loi des hommes à reculer devant la loi de Dieu, sauver les générations présentes et à venir, et préserver le pays des plus effroyables malheurs. »


Une classe non laïque.


Plusieurs évêques suivent le mouvement et rédigent une
Déclaration qui est publiée dans la presse catholique le 12 septembre et lue dans toutes les églises de France le dimanche 20 septembre 1908. Mgr Merry del Val juge la Déclaration trop « bonne » et demande aux évêques de prendre des mesures concrètes. Il demande notamment l'examen des manuels scolaires par l'épiscopat et la publication d'une lettre collective pour dénoncer ceux de ces manuels qui attaqueraient les doctrines de la religion catholique. Sous la direction de Merry del Val, les cardinaux réécrivent la lettre collective. La version finale est titrée Lettre pastorale des cardinaux, archevêques et évêques de France sur les droits et les devoirs des parents relativement à l'école.
Elle est ensuite signée par tous les évêques, archevêques et cardinaux de France. Datée du 14 septembre 1909, publiée dans La Croix le 28 septembre et lue en chaire le dimanche 3 octobre, elle réaffirme le droit des familles à diriger l'éducation de leur progéniture et récuse tout aussi bien les droits de l'enfant que la prétention de l’État au monopole de l'enseignement. Elle attaque sans nuances le principe de neutralité de l'école publique, qu'elle qualifie de « déplorable erreur », voire de « dessein perfide » et de « principe faux en lui-même et désastreux dans ses conséquences. »

En 1909, Monseigneur l'évêque de Saint-Flour, en accord total avec la lettre collective, prend la résolution de condamner des manuels scolaires. Il pense qu’il y a dans certaines écoles des livres classiques qui ne devraient pas s’y trouver, des livres qui peuvent fausser l’esprit des jeunes enfants, ou du moins contrebalancer les principes qu’ils ont reçus de leurs parents. Ce sont “les livres de classe dans lesquels apparaît davantage l’esprit de mensonge et de dénigrement envers l’Eglise catholique, ses doctrines et son histoire, car nous voulons démontrer aux parents que l’école laïque n’est qu’un moule où l’on jette un fils de chrétien pour qu’il s’en échappe un renégat”. Il estime donc avoir le droit de s’élever contre de tels livres en appelant sur eux l’attention des pères de famille. Des conférences sont organisées dans les villages et jusque dans les moindres hameaux pour éclairer les populations. Mgr Labeuche (Belley, Ain) les encourage et les recommande : « Lorsque des manuels condamnés seront en usage dans les écoles de la paroisse, MM. les curés devront éclairer les parents sur le caractère de ces manuels, en organisant des conférences, avec pièces à l’appui, mais en dehors des églises. »

Saint-Omer, Pas-de-Calais.

Instructions pratiques du cardinal-archevêque de Reims (Parues dans La Croix du 19 janvier 1910).

I - Toutes les écoles neutres ne sont pas également dangereuses ; les unes ne sont que négativement mauvaises, les autres le sont positivement. On appelle négativement mauvaises, les écoles où la religion n’a aucune place, mais où l’enseignement, l’attitude des maîtres, les procédés d’éducation n’ont rien d’expressément contraire à la foi ou aux mœurs. On appelle positivement mauvaises celles dans lesquelles, à raison des livres, de l’esprit des maîtres ou des condisciples, des procédés d’éducation, ou pour quelque cause que ce soit, la foi ou les mœurs des enfants sont exposées au péril de perversion. Dans les écoles strictement neutres, le péril est seulement éloigné ; dans les écoles positivement mauvaises, il est prochain. Ces principes et distinctions posés, en règle générale, il n’est pas permis aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école neutre, même quand elle n’est pas positivement mauvaise. Cependant, la fréquentation de l’école strictement neutre peut être tolérée, pour des raisons graves, et sous certaines conditions : si les parents n’ont point d’école chrétienne à leur portée, si l’école chrétienne qui est à leur portée n’est pas en état de donner à leurs enfants l’instruction et l’éducation qui conviennent à leur rang, s’ils ne peuvent y envoyer leurs enfants sans les exposer ou s’exposer eux mêmes à quelque grave inconvénient ou dommage. La condition, c’est que les parents assurent à leurs enfants, par eux-mêmes ou par d’autres, l’enseignement religieux et l’éducation chrétienne qui ne leur sont pas donnés à l'école. On devrait donc refuser l’absolution :

1) Aux parents qui enverraient leurs enfants à l’école neutre, même non positivement mauvaise, sans aucune raison sérieuse, et par préférence systématique et approbation de la neutralité scolaire, ou par mépris pour l’autorité de l’Eglise ;

2) Aux parents qui, ayant des raisons théologiquement valables pour envoyer leurs enfants à l’école neutre non positivement mauvaise, négligeraient d’assurer par ailleurs leur instruction et leur éducation religieuses ;

3) Aux parents qui, ayant à leur portée une école libre chrétienne, s’obstineraient à envoyer, sans raison théologiquement valable, leurs enfants à l’école neutre, même non positivement mauvaise, quand, à raison de leur situation, leur manière d’agir est un scandale pour les autres, en les induisant à déserter l’école chrétienne et à leur préférer l’école neutre.


II - Il n’est pas permis aux parents d’envoyer leurs enfants à l’école positivement mauvaise, comme l’est celle où l’on fait usage des manuels condamnés, à moins qu’ils n’aient pour le faire des raisons très graves, et qu’ils ne prennent des moyens efficaces pour rendre, de prochain, éloigné le péril de perversion que courent dans ces sortes d’écoles, la foi et les mœurs des enfants. Les raisons très graves sont celles que nous avons énumérées plus haut : absence d’école chrétienne à la portée des enfants ;  insuffisance de cette école ; nécessité de fréquenter l’école publique pour pouvoir entrer dans certaines carrières ; grave dommage à craindre pour les enfants ou pour les parents.

Les conditions sont :

1) Que les parents procurent par eux mêmes ou par d’autres, à leurs enfants, l’instruction religieuse et l’éducation chrétienne.

2) Qu’ils rendent le péril de perversion éloigné, en prémunissant les enfants contre l’enseignement qui leur est donné à l’école et en le corrigeant. Si, de fait, on ne parvient pas à rendre éloigné le péril de perversion, il ne peut pas être permis d’envoyer ou de laisser les enfants à l'école positivement mauvaise.

On refuserait donc l’absolution :

1) Aux parents qui mettraient leurs enfants dans des écoles positivement mauvaises, sans avoir, pour le faire, des raisons théologiquement valables ;

2) Aux parents qui, ayant mis pour des raisons légitimes leurs enfants à l’école positivement mauvaise, négligeraient de prendre les précautions nécessaires pour rendre éloigné le péril de perversion, ou les y maintiendraient, après avertissement, alors même qu’ils n’auraient pu réussir à rendre ce péril éloigné ;

3) Aux parents qui placent leurs enfants dans une école positivement mauvaise, où le péril de perversion serait tel qu’il ne pourrait devenir éloigné.

Toutes ces règles sont appuyées sur l’Instruction de la Propagande aux évêques des Etats-Unis.” 


Pas trouvé d'autodafé de livres dans le domaine public donc ce sera un autodafé de bourgeois. C'est bien mieux.


Ceux qui suivent


Ci-dessous, des exemples trouvés dans la presse cléricale qui ne manquait jamais une occasion de les lister dans ses pages. Trop nombreux, j'ai fini par abandonner. La liste est déjà si longue... Où l’on voit bien que l’endoctrinement des parents et des enfants par l’ordre de la calotte n’était pas une chimère sortie tout droit de l’esprit d’un écrivain de science-fiction. Où l’on voit également que ce sont les pères de famille qui s’insurgent, qui décident, les femmes n’ayant, encore une fois, que le droit de fermer leur gueule. 

  • A Saint-Dié (Vosges), une association de chefs de famille est créée pour lutter contre les professeurs du collège, les instituteurs et les institutrices, qui, presque tous, se servent des livres condamnés.
  • A Sanchay (Vosges), des pères de famille retirent leurs enfants de l’école mixte pour protester contre le maintien de livres interdits par l’autorité ecclésiastique. 
  • A Saulxures-lès-Bulgnéville (Vosges), une quinzaine d’enfants (garçons et filles) refusent de se servir du manuel de Guiot et Mane et de celui de Calvet. Il en est de même à Aouze, à Rainville, à Vicherey. 
  • A Saint-Ouen-lès-Parey (Vosges), les premières communiantes vont elles-mêmes remettre à M. le curé, les manuels condamnés.
  • A Stenay (Vosges), un enfant de onze ans refuse de se servir d'un manuel condamné. Interrogé sur les raisons de ce refus, l'enfant répond : « Ma conscience ne me le permet pas. » — Qu'est-ce que ta conscience ? lui demande-t-on. — C’est quelque chose qui me dit que je ne dois pas lire les livres défendus.
  • A Parisot (Tarn), des enfants constatent qu’ils ont entre leurs mains des livres défendus et les abandonnent malgré les recommandations de l’institutrice. Le maire est obligé d’intervenir dans les classes pour menacer de la prison parents et élèves si ceux-ci font grève. Le clergé en rit et ne cède pas aux menaces. 
  • Certains instituteurs tarnais sont toutefois en accord avec l’épiscopat et vont d’eux-mêmes demander au curé si tel ou tel ouvrage est condamné. Dans l’affirmative, ils les remplacent sans faire de bruit. Dans d’autres communes, c’est le curé lui-même qui vient trouver l’instituteur pour lui retirer des manuels. Certains reconnaissent le bien fondé des arguments du curé. 
  • Dans l’Ain, à la suite d’une enquête sur l’usage des livres condamnés dans les écoles publiques du département, le Comité central des associations des pères de famille, fondé sous l’impulsion de Monseigneur Labeuche du diocèse de Belley, décide d’adopter dans toutes les paroisses, une tactique uniforme pour obtenir le retrait des livres. Dans certaines paroisses, les associations de pères de famille obtiennent que les livres condamnés ne soient pas compris dans les fournitures scolaires payées par la commune. Elles décident d’étendre cette action à toutes les communes aindinoises. L’offensive engagée donne quelques résultats. Dans le canton de Meximieux, deux écoles changent le livre d’histoire. 
  • A Saint-Etienne-sur-Chalaronne (Ain), trois fillettes sont expulsées 3 jours de l’école communale pour avoir brûlé l’histoire de Calvet. Tous les parents catholiques déclarent alors qu’ils garderont leurs enfants pendant les leçons d’histoire et qu’ils leur enseigneront eux-même l’histoire avec des manuels fournis par le curé. 
  • A cerdon (Ain), 12 enfants sont exclus 3 jours pour refus du manuel. Le curé prend les choses en main et fait la classe aux petits garçons. Les parents catholiques font la classe aux petites filles. 
  • A saint-Jean-de-Niost (Ain), 5 enfants de l’école des garçons sont exclus 3 jours pour refus du manuel. Les parents provoquent une réunion de tous les pères de famille qui se solidarisent et somment l’instituteur de retirer le livre condamné. Sur son refus la grève générale est déclarée. Le maire intervient et promet que le manuel sera changé. En attendant, les parents font l’école aux garçons. 
  • A Sémones (Isère), les élèves refusent à l’unanimité de se servir du manuel d’histoire mis entre leurs mains. Deux sont exclus pour ce fait. Les parents reprochent à l’instituteur d’attaquer les croyances religieuses dans son enseignement oral. 
  • En Bretagne, dans les deux communes de Saint-Urbain et de Kernilis (Finistère), les manuels condamnés sont brûlés par les parents. 
  • A Rully (Oise), une fillette de 13 ans, sur l’ordre de ses parents,  refuse d’étudier sa leçon d’histoire tirée d’un manuel condamné. 
  • A Iguerande (Saône-et-Loire), dix familles refusent de prendre le manuel condamné d’histoire de France de Brossolette. Les jours de classe d’histoire, ils n’envoient pas leurs enfants à l’école. 
  • En janvier 1910, Monseigneur Eyssautier, évêque de La Rochelle, prononce une allocution lors d’une conférence sur l’éducation chrétienne : “Les évêques de France, par leur lettre collective du 14 septembre, ont saisi la conscience des catholiques et l’opinion des honnêtes gens de la conscience scolaire. C’était le devoir et le droit de leur charge, ils doivent en effet veiller sur l’âme de l’enfant, attaquée, sans défense, par des lâches ; l’enfance constitue l’avenir et l’espoir de la société chrétienne. Les évêques ne redoutent ni la législation, ni les menaces, ni les pénalités, rien ne les empêchera de mener leur mission jusqu’au bout.” 
  • En 1910 toujours, à Gramond (Aveyron), MM. Louis Serin et Pierre Faux, deux militants catholiques de Rodez donnent une conférence sur les mensonges et la violation de la neutralité scolaire. A l’issue de celle-ci, M. Estivals, le maire, épingle à la boutonnière de 21 enfants qui ont refusé d’utiliser les manuels condamnés, la médaille des petits exclus
  • A La Neuville (Doubs), cinq fillettes déclarent que leurs parents ont brûlé deux manuels d'histoire condamnés par les évêques.
  • A Radden-Chapendu (Doubs), 90 familles, après avoir adressé à l’inspecteur une mise en demeure de supprimer les manuels défendus, mise en demeure qui resta sans réponse, ont brûlé ces manuels sur la place publique. 
  • A Réaumont (Isère) deux élèves de l'école de filles sont exclues pour trois jours de l’école pour avoir refusé de se servir de manuels condamnés par les évêques. Les parents écrivent à l'instituteur et à l’institutrice qu’ils ne toléreraient pas entre les mains de leurs enfants les manuels de Guiot et Mane et de Gauthier et Deschamps.
  • A Saint-Hilaire-la-Côte (Isère) dix pères de famille ont défendu à leurs enfants d'apprendre leurs leçons dans les manuels en usage à l'école, parce que condamnés. Quelques-uns des enfants sont exclus.
  • La Murette (Isère) : De vifs incidents scolaires ont lieu dans cette commune. L'institutrice refuse de changer les manuels d'histoire, des parents brûlent ces manuels, la plupart des autres retirent leurs enfants qui font la grève scolaire.
  • A Montfalcon (Isère) : M. Jules Dorey, membre des pères de familles catholiques, qualifie publiquement de porcherie l’école communale mixte du village. Le tribunal de Saint-Marcellin, saisi d'une plainte de l'instituteur, condamne M. Jules Dorey à 50 francs d'amende avec sursis, et 25 francs de dommages-intérêts. L’instituteur est vivement attaqué par une partie de la population.
  • A Molain (Jura), l'instituteur écrit au tableau une leçon du manuel Gauthier et Deschamps, les enfants refusent de la copier. Les parents déchirent les pages du livre condamné.
  • A Montmirey-la-Ville (Jura), les pères de familles demandent à l’inspecteur d’académie le retrait des manuels de Calvet, en usage dans les écoles, qui constituent, disent-ils, “un enseignement antireligieux et sectaire empreint du plus profond scepticisme et contraire à leurs croyances et à leurs sentiments patriotiques.” 
  • A Marigna (Jura), tous les enfants ont brûlé leur livre d’histoire. 
  • A Vescles (Jura), la vie est rendue impossible à l'instituteur accusé de tenir “des propos impies et dégoûtants”.
  • A Le Bignon (Jura), on brûle sur la place le manuel de Calvet. L’instituteur est mis en quarantaine.
  • A Arinthod (Jura), les classes de filles sont désertées parce que le manuel de Calvet y est en usage. Soixante-dix pères de familles protestent contre l’ordre donné par l'inspecteur à l’institutrice de lire chaque jour aux élèves un passage de cette histoire.
  • A Clucy (Jura), les parents remplacent de leur propre autorité l’histoire condamnée de Gauthier et Deschamps par un autre manuel.
  • A Cernans (Jura), la moitié des élèves a quitté la classe pour ne plus apprendre l'histoire de Gauthier et Deschamps condamnée par les évêques.
  • A Vandières (Meurthe-et-Moselle), 25 familles font un autodafé du manuel d’histoire de Guiot et Mane, condamné par les évêques.
  • A Réthincourt (Meurthe-et-Moselle), tous les parents, sauf trois, brûlent le manuel de Guiot et Mane.
  • A Orme-sur-Marne (Marne), 12 élèves refusent d’écrire un devoir sur la Réforme et le règne de Charles IX, d'après le manuel de Rogie et Despiques. Ils quittent l’école et les parents déclarent qu'ils n'y rentreront que quand ce manuel aura disparu.
  • A Bouilly (Marne), le conseil municipal délibère qu’il votera le principe de la gratuité scolaire si l’inspecteur supprime les manuels condamnés par les évêques. L’inspecteur primaire, saisi, refuse de prendre un tel engagement.
  • A La Colombe (Manche), les parents brûlent l’histoire de Devinat, en usage à l'école. Pendant que l’instituteur veut dicter aux enfants des passages de ce manuel, ceux-ci refusent d'écrire ou écrivent des prières.
  • A Sourdeval (Manche), les enfants, en dépit des punitions, refusent de se servir du manuel de Guiot et Mane.
  • A Arrante (Basses-Pyrénées), la municipalité informe l’instituteur que, dorénavant, les livres condamnés ne seront pas compris dans les fournitures scolaires payées par la commune.
  • A Amorotz (Basses-Pyrénées), la municipalité, qui paie les fournitures scolaires, a pris l’initiative de remplacer les livres condamnés.
  • A Hours (Basses-Pyrénées), l’instituteur harangue la foule au sortir de la messe, et se plaint que tous les enfants, sauf un, lui refusent obéissance. Les parents répondent en demandant l’interdiction des livres condamnés.
  • A Treize-Septiers (Vendée), les parents brûlent les Lectures Classiques de Primaire, condamnées par l’épiscopat. L’instituteur déclare qu'aucun des enfants ne rentrera à l’école sans son livre. Les enfants font grève.
  • A Sommedieue (Meuse), des élèves se bouchent les oreilles quand l'institutrice fait son cours. D'autres tirent leur chapelet et prient à voix haute pour la conversion de l'institutrice.
  • A Dompierre-du-Chemin (Ille-et-Vilaine), les enfants entendent lecture de la lettre des évêques par le curé. Ce dernier vérifie leurs livres ensuite, et sont brûlés dans la cour de récréation de l’école, tous les manuels condamnés en usage.
Le poing levé, Espagne, 1936.

Ceux qui luttent Depuis que les évêques de France ont lancé, par leur lettre collective, un cri de guerre contre l’école laïque, un combat rude et acharné se livre partout en France entre le clergé fanatisé et le corps des instituteurs laïques. Rien ne manque à l'Église pour ce suprême combat. Elle a les caisses épiscopales, les subventions privées, l’appui des hobereaux, des riches familles bourgeoises, d’innombrables personnalités influentes dans les campagnes. L’instituteur, lui, reste seul en face de ce déchaînement de haines et ne peut trop souvent compter que sur lui-même. Les inspecteurs primaires et d’Académie sont saisis de trop de cas pour intervenir autrement que par des circulaires générales. Les maires, les conseils municipaux, les conseillers d'arrondissement ou généraux sont à peu près impuissants quand ils ne sont pas indifférents ou hostiles. Et l’instituteur affronte souvent seul ces attaques tout en devant soutenir des luttes qui se continuent avec une violence croissante
(émeutes, vitres d’écoles brisées, instituteurs tabassés…). En 1913, M. Bonnet, un habitant de Couffouleux (Aveyron) tente d’assassiner au fusil de chasse le ménage Donat, les instituteurs du village, parce qu’ils utilisent le manuel d’histoire de Guiot et Mane. Excédé d’avoir manqué son acte, il envoie une lettre aux époux Donat signée “Josette Donat”, leur petite fille décédée. Dans cette lettre, Josette s’adresse à son père. Elle lui dit qu’elle est au ciel avec Jésus, très heureuse, et qu’elle ne comprend pas son attitude avec ce “livre maudit”. Elle menace : “Je t’avertis, si tu continues, tu n’es pas au bout de tes malheurs.” Puis elle termine par “Je prie le bon Dieu de vous ramener tous les deux dans le droit chemin.” L’affaire se termine devant la Cour d’Assises, mais l’enquête tardive et le doute profitent à l’inculpé, qui est acquitté. Cela oblige le couple Donat à quitter l’enseignement dans l’Aveyron.

Quelques mobilisations trouvées dans la presse :
  • La Fédération des Amicales des Instituteurs et Institutrices de France décide de s’élever contre ces pratiques et intente un procès contre l’épiscopat. Le conseil municipal de Moulins vote à l’unanimité une somme de 100 francs pour aider la Fédération.
  • L’inspecteur d’Académie de l’Ain envoie aux instituteurs une circulaire leur ordonnant de ne jamais obtempérer aux démarches qui pourraient être tentées auprès d’eux. Il prescrit qu’aucun changement de livre ne soit opéré sous une pression quelconque, et à moins d’ordre formel de sa part.
  • Le 13 décembre 1910, dans l’Ain, les présidents des associations cantonales se réunissent à Bourg, pour se concerter sur les mesures à prendre pour assurer l'efficacité de leur action dans la lutte scolaire, ouverte presque partout après la lettre des évêques. Au nom des 5 000 pères de famille associés de l’Ain, la délégation demande à l’inspecteur d’Académie, M. Harter, de réviser la liste des manuels ; elle appelle son attention sur les passages les plus saillants des livres hostiles à la neutralité et joint une liste des treize manuels incriminés, avec la reproduction textuelle des passages violant la neutralité religieuse ou blessant les sentiments patriotiques. L’inspecteur répond le 6 janvier qu’il a le regret de ne pouvoir se conformer au désir des signataires de la pétition, les instituteurs et les institutrices titulaires ayant seuls le droit de prendre l'initiative de l’adoption de la radiation d’un ouvrage scolaire : “Aucun texte n’autorise l’intervention des pères de famille dans le choix des manuels scolaires.
  • A Remouillé (Loire-Atlantique), l’instituteur cache les manuels condamnés que les parents d’élèves lui réclament afin de les brûler. Il est menacé de poursuites pour vol.
  • A Champdôtre (Côte-d’Or), l’institutrice maintient l’enseignement d’un manuel condamné par l’épiscopat. Les parents d’élèves adressent une plainte contre elle à l’inspecteur d’Académie.
  • A Montfaucon (Isère), la préfecture et l’inspecteur d'Académie refusent d’obéir à des sollicitations inspirées par les associations de pères de familles catholiques.
  • En 1911, l’abbé Baget de Labassère (Hautes-Pyrénées) est envoyé devant le tribunal correctionnel d’Argelès pour avoir invité, à l’église, les parents et les enfants à jeter au feu les manuels condamnés par les évêques, en particulier les manuels de morale de Bayet, l’histoire de Gauthier et Deschamps, et avoir violé par le fait l’article 35 de la loi du 9 décembre 1905. Sa défense : “On vous demande de me juger sur des actes de mon ministère sacerdotal ; la question qui vous est soumise est donc une question religieuse. Les évêques de France ont jugé que certains manuels scolaires sont irréligieux ; pour ce motif, ils les ont condamnés et ont défendu aux parents et aux enfants catholiques de les lire et de les garder sous peine de commettre une faute grave et de se rendre indignes des sacrements. Notre devoir, à nous prêtres, est de transmettre et d'expliquer aux fidèles les enseignements de nos chefs, de suivre dans l’administration des sacrements les règles qu’ils nous ont tracées. Le Pape nous a rappelé ce devoir tout récemment dans sa réponse à Mgr l’archevêque de Besançon à propos des manuels scolaires : « Il y a pour les prêtres ayant charge d’âmes, obligation grave d’enseigner aux enfants le plus tôt possible, et par des avis répétés, qu'il est défendu de lire et de garder certains livres, et que l’usage de ces livres expose leur foi à un grand danger. ». Inutile de vous dire qu'aucune loi, aucune menace, aucune peine ne nous détournera de remplir ce devoir ; le prêtre qui, par peur ou par d’autres considérations humaines, n’accomplirait pas ce que le Pape déclare être une obligation de sa charge, serait indigne de sa mission. Donc oui, j’ai déclaré en chaire que la foi est notre plus précieux trésor, et j’ai demandé aux parents et aux enfants de fermer leurs maisons aux journaux et aux livres impies et de se hâter de les jeter au feu s’ils y sont déjà entrés. Oui, au feu, les mauvais journaux, au feu les mauvais livres !
  • Ménil-Rambervillers (Vosges) : Ayant de sa propre autorité retiré un manuel condamné par les évêques des mains des enfants, l’ayant ensuite brûlé, et ayant enjoint à l’institutrice d'en prendre un autre non autorisé par l'autorité académique, le maire de Ménil-Rambervillers est suspendu par le préfet.

Liste des manuels condamnés par l’épiscopat


Tous ceux qu'intéresse le péril scolaire devront prendre bonne note de cette liste, que nous tiendrons à jour.” (L’Univers, 28 janvier 1910).


Calvet : Histoire de France, préparatoire, élémentaire, moyen, supérieur.

Gauthier et Deschamps : Histoire de France par l'image, préparatoire, élémentaire, moyen, supérieur. 

Guiot et Mane : Histoire de France, idem.

Rogie et Despiques : Petites lectures sur l’histoire de la civilisation française moyen, supérieur.

Devinat : Histoire de France, élémentaire, moyen. 

Brossolette : Histoire de France, élémentaire, moyen. 

Aulard et Debridour : Histoire de France, élémentaire, moyen, supérieur.

Aulard : Eléments d'instruction civique, moyen.

Albert Bayet : Leçons de morale, moyen.

Jules Payot : Cours de morale. La morale à l'école primaire.

M. Primaire : Manuel d'éducation morale civique et sociale, Manuel de lectures classiques, élémentaire, moyen.

H. Charton et G. Delage : Morale et instruction civique (condamné par ordonnance de Mgr Rumeau, évêque d'Angers).

Catois : Manuel de morale (condamné par Mgr Grellier, évêque de Laval).

Georges Morizet : Histoire du Moyen Age (condamné par ordonnance de Mgr Duparc, évêque de Quimper).

Charles Poirson : Manuel élémentaire de morale (condamné par ordonnance de Mgr Villard, évêque d'Autun).



Les propos condamnés par l’épiscopat 


Les catholiques ont tenté de brûler tous les livres scolaires dans lesquels certains propos les dérangeaient. Parallèlement à ces autodafés, ils recopiaient les propos dits “mensongers” dans la presse et même dans des livres, afin de les dénoncer. Je les en remercie : les écrits restent. Voici ci-dessous ces phrases qui ont causé tant de drames.


De Guiot et Mane : Conte à propos des moines copistes du Moyen-Age : « Pour exciter leur zèle, on leur disait qu’il existait un certain démon nommé Titivillus. Celui-ci, malin et fripon, cherchait à distraire les pauvres religieux : n’était-il pas chargé par Satan de recueillir dans un sac les mots oubliés ? Lors du jugement dernier, ces malheureux mots étaient comptés comme autant de péchés mortels. »

A propos de la guerre de Trente Ans : « ... l’empereur veut dominer en Allemagne, et imposer la religion catholique dans cette contrée, à moitié protestante depuis Luther. La lutte commence en Bohême ; elle durera trente ans (1618-1648). Les Bohémiens protestants ne veulent pas être catholiques. Quelles scènes d’horreurs ! Les villes sont pillées et incendiées. » 

« Luther et Calvin veulent tous deux réformer l’Eglise et protester contre l’autorité du Pape qu’ils ne reconnaissent pas comme chef suprême de la chrétienté. »

« La loi du sacrilège, trop sévère, punit de mort les profanations commises dans les églises. »

« La situation de la France est déplorable. Le peuple meurt de faim ! Les paysans amaigris se nourrissent de châtaignes… En France, l'homme de la campagne peine du matin au soir. Que lui reste-t-il quand il a payé les lourds impôts du roi, du seigneur, du curé ? Rien. Non ! Un pareil état de choses ne saurait durer ! Le moment arrive où le faible se révolte contre des maîtres avides de plaisirs et égoïstes. Une révolution est nécessaire. » 

« Une grande révolution va éclater. Pourquoi ? Vous le savez maintenant, mes enfants. Que demandera le peuple ? Les deux biens les plus précieux : la liberté et l'égalité. »

« Le 1er septembre, Napoléon III, vaincu à Sedan, est fait prisonnier avec 80,000 Français. Quel lamentable spectacle ! Escortée par les cavaliers prussiens, une superbe calèche emporte le lâche empereur. Que lui importe la ruine de la France ! Personnellement il est satisfait. Le vainqueur lui donne pour résidence un magnifique château. »


De Devinat : « L’Eglise au Moyen Âge : Les serfs trouvent un asile assuré au pied des autels. L'Église conserve, dans les monastères, l’amour de l’étude, au milieu de l’ignorance générale. L’Eglise toute-puissante, est alors la bienfaitrice des peuples. »

« Les hommes de cette époque aimaient les aventures. Certains voulaient s’enrichir par le commerce des épices, d’autres désiraient propager la religion du Christ. » 

Saynète à propos de la popularité de Louis XV qui allait déclinant : « Premier tableau : des gens qui rondent autour d’un feu de joie et célèbrent la guérison de Louis XV en 1744. Premières actions de grâces : le peuple remercia Dieu d’avoir sauvé son roi bien-aimé. 6 000 messes furent commandées à l’église Notre-Dame.

Second tableau : Louis XV descend de carrosse et échappe au canif de Damiens (en 1757). Les actions de grâces sont moins abondantes : il ne fut plus commandé que 600 messes à Notre-Dame.

Troisième tableau : Louis XV faisant sa cuisine. En 1774, il tombe malade de la petite vérole. On prie à peine pour sa guérison : on ne commanda que 3 messes à Notre-Dame ».

« Le moine Luther était scandalisé des pratiques du clergé d’alors ; à Rome, il avait trouvé « les messes des prêtres trop courtes et leurs repas trop longs. » Il osa le dire. Et il le dit si haut que toute l’Allemagne l’entendit. Le Pape lança contre lui une bulle de condamnation. Luther la brûla en public et se révolta contre l’Eglise catholique. « Chacun, disait-il, peut et doit étudier lui-même la religion dans la Bible et les Evangiles. Personne n’est obligé d’obéir au Pape, etc. C'est l’ensemble de ses idées qu’on appelle la Réforme. »

« Dans les églises, les prêtres insultaient les anciens officiers de l’Empire. »

« L’Etat a repris sa complète neutralité religieuse et s’est séparé des Églises. »

« Pour que l'homme fût digne de la liberté, il fallait le rendre meilleur, c'est-à-dire, faire son éducation. Dans un beau livre : l’Emile, Rousseau expose comment il entend l'éducation d’un homme destiné à vivre dans sa République. L’Emile est tout rempli d'idées nouvelles. Il demande que l’enfant soit nourri par sa mère et non par une nourrice étrangère, qu'on le laisse croître libre et heureux, puis qu'on développe son intelligence et sa volonté. »


De Gauthier et Deschamps : « Charles X, conservant tous les vieux et injustes préjugés de l’époque féodale, il se laissa conduire par le clergé. »

« Napoléon exigea que l’Eglise obéit à l’Etat, ce qu’il obtint par le Concordat. »

« Par le Concordat, il place le clergé sous l’autorité laïque. »

« La noblesse ne réside plus que dans la sagesse et le talent de l’individu et non dans les parchemins. »

« Le clergé est soumis aux lois de la République, et les Églises, ne relevant que de leurs fidèles, ne sont plus les Églises de l’Etat. » 


De Aulard et Debridour : « La terreur que leur causaient les grandes forces de la nature qu'ils ne comprenaient pas et contre lesquelles ils ne pouvaient lutter, leur donna l'idée d'une ou de plusieurs divinités auxquelles ils élevèrent de grossiers monuments de pierre dont plusieurs sont encore debout. Les religions, les cultes naquirent. »

« On rétablit les processions dans les rues, on força les habitants à pavoiser leur maison sur leur passage, on frappa ceux des passants qui ne se découvraient pas devant le Saint Sacrement. » 

« L'Eglise usa d'une arme terrible à cette époque : l'excommunication. Au son des cloches, devant l'autel, l'évêque maudissait celui qui s'était révolté contre l’Eglise « Qu'il aille en enfer, s'écriait-il, avec Judas le traître ! » Et chacun s'éloignait avec horreur de l'homme maudit. Il vivait seul, sans parents, sans serviteurs et, après sa mort, son corps sans sépulture était la proie des loups et des vautours. »

« Pie IX qui ne perdait aucune occasion de créer de nouveaux embarras à Napoléon, condamna solennellement par son fameux Syllabus (décembre 1864) tous les principes chers à la France moderne sur lesquels reposait ou était censé reposer le gouvernement impérial : souveraineté nationale, suffrage universel, liberté de penser, etc. ! »

« Les deux premiers ordres formés de moins de 300,000 personnes avaient tous les droits, tous les privilèges. Ils se refusaient à payer presque tous les impôts. Au clergé, le paysan payait la dîme ou le dixième de son revenu, mais souvent ce dixième se trouvait en fait porté au quart ou au tiers du revenu net. Le clergé et les nobles possédaient, sans avoir à payer d'impôts, les trois quarts du territoire. »

« Les Anglais n'osant la condamner eux-mêmes, la livrèrent à l'Inquisition qui la jugea à Rouen. Les mauvais Français qui composaient ce tribunal, ne rougirent pas d'envoyer à la mort cette héroïne. »

« Diderot et d’Alembert et une société d'écrivains remarquables publièrent, au milieu du siècle, l'Encyclopédie, vaste compilation où, en résumant l'état actuel des connaissances, ils combattirent le fanatisme religieux. »


De Calvet : « Le ministère Villèle punit de mort, comme un crime de droit commun, le sacrilège et la profanation des objets sacrés. » 

«... Napoléon voulut même régenter les consciences. En 1801, il avait résolu de rétablir la religion catholique... Ce n’était pas par piété, mais par intérêt : « Vous verrez, disait-il, quel parti je saurai tirer des prêtres, et d’abord du Pape. » Il comptait que l’Eglise mettrait au service de l’Etat la grande influence qu’elle avait toujours eue sur les populations. Les prêtres seraient ce qu’un historien appelle « une gendarmerie en soutane », qui imposerait les volontés du maître avec la gendarmerie proprement dite. Le Pape, heureux de voir le catholicisme rétabli, se prêta aux volontés du Consul. » 

« Les évêques devenaient de simples fonctionnaires. Pendant les premières années, le clergé catholique servit fidèlement. Il alla même jusqu’à enseigner, par ordre, que l’empereur devait être adoré. Refuser de se soumettre à Napoléon devenait un sacrilège puni par la religion, non moins que par l’autorité civile. »

« Aujourd'hui, l’Eglise est séparée de l’Etat, qui ne subventionne plus aucun culte. »

« Jeanne d’Arc était une paysanne douce et pieuse, qui prit pour un ordre de Dieu les appels de son cœur. »


Izernore, Ain.


De Brossolette : « Le Premier Consul ne prit pas de gants avec le légat du Pape, il injuria les représentants du Saint-Siège, il les obligea à signer un texte autre que celui qui avait d’abord été convenu. »

« Une autre loi (l’auteur cite d'abord la loi de 1901, qui « nous a accordé largement la liberté d’association »), celle sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, assure à tous les Français la liberté de conscience. » (1905)

« Les ouvrages que publia Rousseau, entre autres le Contrat social, firent grand bruit. Rousseau proclamait l'abolition des privilèges, l'égalité des citoyens. C'est l'idée de la souveraineté nationale qui plus tard devait conduire la France à la République et au suffrage universel. »

« Voltaire protège (à Ferney) la colonie de 1,200 personnes qu’il a établie autour de son château. Il s'applique à faire le bonheur des paysans qui vivent autour de lui. Il reçoit les malheureux, victimes de l'injustice, qui viennent réclamer son appui. »

« Si Napoléon 1er est arrivé au pouvoir, c'est que parmi les Français, il s'en trouvait, les plus riches surtout, qui désiraient un maître. Ils demandaient un chef à qui tout le monde n'aurait qu'à obéir. »


De Payot : « Ce qui manque à l'école laïque, c'est un enseignement moral indépendant, non pas seulement de tout dogme, mais de l'état d'esprit qui résulte de longues traditions confessionnelles. L’enseignement moral doit être laïcisé. »

« La morale enseignée dans ce Manuel est laïque et positive, c'est-à-dire indépendante de toute confession religieuse et de tout système métaphysique de l'inconnaissable. Nous avons supprimé les chapitres relatifs à l'existence de Dieu. Ces chapitres, qui pouvaient blesser certaines convictions, ont été remplacés par d'autres dans lesquels nous énumérons les principales religions et nous indiquons les différences entre les vérités scientifiques que l'ignorance seule peut refuser d'admettre et les croyances religieuses et métaphysiques que chacun de nous a le droit d'accepter, de rejeter ou de modifier à son gré. » « L'homme de Nietzche plein d'enthousiasme à la vue du progrès prodigieux réalisé par la race humaine depuis son passé animal, l'homme est la plus heureuse, la plus inattendue et la plus passionnante des réussites de cette puissance inconnaissable que les uns appellent Dieu, d'autres le hasard, d'autres la nature. »

« Libre à chacun d'y croire et d'imaginer une survie telle qu'il l'espère, mais nul au nom de cette espérance ne peut plus imposer ni ses terreurs ni ses croyances. » 

« La croyance que Dieu punira les méchants, a endormi la conscience sociale et contribué à rendre pusillanimes les gens de bien qui laissent libre carrière aux injustes, aux fauteurs de vices : qu'importe, puisque la punition exemplaire viendra. »

« Avec l'instruction accessible à tous, une fille de pauvres paysans, dans sa chaumière perdue en pleine campagne, peut vivre dans l'intimité des plus généreux et des plus nobles penseurs de l’humanité. »

« On croyait autrefois que les hommes existaient depuis six mille ans seulement. Aujourd'hui, nous savons que des hommes vivaient, il y a peut-être deux cent mille ans. Si l’on représente cent ans par une hauteur d'un mètre, si pour chaque siècle, on dresse une nouvelle hauteur d'un mètre, l'antiquité de l'homme sera représentée par deux mille mètres de haut. Nous voyons quelle durée énorme nous sépare des premiers hommes. Combien de milliards d'enfants sont nés, ont grandi et sont morts. L’imagination demeure confondue quand elle se représente cette prodigieuse succession d'enfants et d'hommes sur la terre. »

« La peur des revenants est la forme naïve d'une vérité profonde : il est exact que les ancêtres morts revivent, mais ce n'est pas au dehors, c'est au plus profond de nous-mêmes. Nous avons dans nos instincts cette fâcheuse hérédité de violence, de cruauté, de paresse, qui forme en nous ce qu'on appelle la bête humaine. Revenants, les haines, l'orgueil, nos injustices, nos abus de pouvoir... Oui, revenants, car ce sont nos ancêtres irascibles, explosifs, sans volonté directrice, qui font la loi sur nous-mêmes, hérédité humiliante et inquiétante qui constitue véritablement notre tache originelle. Notre libération de ce legs ancestral est lente : mais nous affranchir de l'esclavage de ces poussées grossières et tumultueuses, c'est notre dignité. »

« Lorsque la société condamne à mort, elle n'est plus en état de légitime défense, puisque le criminel est en prison. »

« On a fouillé dans le passé, on a reconstitué les civilisations religieuses disparues et créé la science des religions comparées. On sait que les religions ont une origine commune dans la peur des forces hostiles et dans une interprétation naïve de la mort. »

« Les Évangiles eux-mêmes contiennent des conceptions morales qui choquent la conscience moderne ! Ils n'ont pas une parole de blâme contre l'esclavage, contre la guerre et ils contiennent des menaces cruelles contre les dissidents et des croyances immorales à un enfer éternel, etc. »

« Prétendre qu’en ce qui concerne le caractère religieux et moral de l’enseignement à donner à ses enfants, le droit du père de famille est absolu, intangible, est une doctrine effroyable, car il n’y a qu’un droit absolu et intangible, c’est le droit qu’a la pensée naissante de connaître toute la vérité et d’être élevée de façon à devenir capable de choisir sa destinée. Notre idéal n’est pas celui des naturels des îles Fidji : le devoir est de faire de l'enfant un homme libre, c’est-à-dire qui ne reconnaîtra, en dehors de l’autorité des lois, que celle de la raison. »


D’Albert Bayet : « Nous ne savons pas scientifiquement s'il y a un Dieu ou si, au contraire, il n'y en a pas. Tout cela, nous ne le savons pas, et nous ne le saurons jamais scientifiquement, quoi que nous fassions. Les sciences ne peuvent nous l’apprendre. Toutes ces choses que l'homme ne connaît pas et ne peut pas connaître scientifiquement s'appellent les choses inconnaissables ou en un seul mot : l'inconnaissable. »

« Nous savons scientifiquement que les hommes meurent parce que nous les voyons mourir, mais nous ne savons pas scientifiquement ce qu'ils deviennent après leur mort. Nous ne savons pas scientifiquement si après la mort il y a une autre vie. »

« La vertu qui consiste à aimer et à aider les hommes, s'appelle la solidarité. »

« La liberté de conscience est un droit absolu. »

« Beaucoup de gens croient par exemple que Napoléon 1er est un grand homme. C'est une erreur. Napoléon fut un des plus habiles hommes de guerre qu'on ait jamais vus. Mais il se servit de son habileté pour ravager l'Europe et il a ruiné la France. Napoléon n'est pas un grand homme. »

« Les instituteurs laïques sont respectables parce qu'ils sont des citoyens généreux et dévoués. En effet, ils travaillent beaucoup et prennent beaucoup de peine pour instruire les enfants. Dans une République, il n'y a pas de profession plus belle et plus noble que celle de l'instituteur. »


De M. Primaire : « Le vrai culte que les croyants doivent à leur Dieu ne consiste pas en prières (souvent égoïstes) dites du bout des lèvres, ni en pratiques religieuses toutes machinales... Quelle que soit la forme sous laquelle ils l'adorent, quel que soit le culte qu'ils lui rendent, là est la religion supérieure à toutes les autres : être homme de bien. L'homme le plus profondément religieux, c'est celui, quel qu'il soit : catholique, protestant, juif, mahométan, bouddhiste, libre penseur, athée, etc., qui appelle de toutes ses forces le règne de la justice et de la fraternité parmi les hommes et qui fait tout son possible pour en hâter la venue. Si Dieu existe, les grandes pensées, les nobles sentiments et les nobles actions ne peuvent que lui être agréables, de quelque âme qu'elles viennent. Et s'il n'existe pas, le devoir ne cesse pas pour l'homme d'être toujours le même... »


De Rogie et Despiques : « Un pape ambitieux, Boniface VIII, voulait s'affirmer le maître du monde et s'opposait à ce que l'on prélevât des impôts sur le clergé de France. Philippe, malgré sa grande piété, ne l'écouta pas et entra en lutte violente avec le chef de l'Eglise. Il ne recula devant aucun moyen ; un de ses légistes : Guillaume de Nogaret, alla même insulter grossièrement le Pape, qui mourut peu après de chagrin de cette humiliation. »

« Parmi les privilégiés, le clergé riche et puissant était un corps indépendant dans l'État. Les paysans travaillaient toute l'année pour le roi, pour leur seigneur, pour le clergé, pour tous ces favorisés dont les privilèges n'étaient que l'exploitation de leur misère. » 

« Les croisades firent des milliers de victimes et accumulèrent les ruines dans tout l'Orient. »

« C’était une juridiction purement ecclésiastique qu'instituèrent les papes et qui eut pour but de rechercher et de punir les hérétiques, c'est-à-dire, ceux dont la croyance s'écartait de la doctrine prescrite par le Saint-Siège. Il suffisait souvent, pour être accusé d'hérésie et arrêté, d'être l'objet d'une dénonciation anonyme. L'accusé était mis au secret, n'était pas confronté avec ses accusateurs et n'avait pas de défenseur. Pour l'obliger à avouer son hérésie on le mettait à la torture. S'il avouait, on le condamnait, soit à la détention perpétuelle, soit à des amendes ruineuses, soit à des pénitences dures et humiliantes, même à la mort ; s'il se rétractait, il était déclaré relaps et toujours exécuté (c'est-à-dire brûlé). L'Inquisition détruisit toute pensée libre dans le Midi de la France, où elle fit, au XIIIe siècle d'innombrables victimes. »

« Voltaire lutta avec acharnement contre l'intolérance de l'Église qui avait usé de la force pour imposer ses dogmes. »

« Le parti de l'Eglise multipliait les congrégations, les écoles, s'emparait de la jeunesse, réclamait la liberté de l'enseignement et présentait la religion à la bourgeoisie comme un moyen de contenir les aspirations populaires. »



Si vous avez lu cet article jusqu'ici, pensez-vous que les instits méritaient d'être tabassés, les écoles cassées, que ces livres devaient être brûlés ? Je cherche encore les “affabulations” décriées par les évêques dans tous ces extraits qu’ils ont cherché à faire disparaître. Tant de violence pour si peu de choses démontre qu'il ne faut avoir "d'intolérance que vis-à-vis de l'intolérance" (Hippolyte Taine).

Heureusement, Louis XV chope la petite vérole, La Croix, horrifié, commente : “Imaginez les commentaires joyeux qui peuvent s’en suivre”. C’est sûr, il aurait été malvenu de pouvoir se marrer un petit coup dans cette ambiance délétère. 😉


[Je reconnais toutefois que dans ces vieux manuels scolaires on lit des choses qui font bondir : les hommes préhistoriques sont bas du front, les indiens ne sont que sanguinaires, les peuplades africaines sont toutes constituées de barbares... Ces textes (qui ne font pas partie de ceux dénoncés par l'épiscopat) feront peut-être l'objet d'un prochain article car ce sont plutôt ceux-ci qui auraient mérité d'être fustigés.]


Le mot de la fin est donné à Jean Jaurès, lors de son discours du 21 novembre 1893 sur l'émancipation sociale des travailleurs : « Vous avez voté des lois d’instruction, vous avez voulu que l’instruction fût laïque et vous avez bien fait. Ce que vous avez proclamé c’est que la seule raison suffisait à tous les hommes pour la conduite de la vie. Vous avez définitivement arraché le peuple à la tutelle de l’Eglise et de ses dogmes. Vous avez interrompu la vieille chanson qui berçait la misère humaine et la misère humaine s’est réveillée avec des cris ; elle s’est dressée devant vous. Vous avez arrêté ce rayonnement religieux et vous avez concentré dans les revendications sociales tout le feu de la pensée, toute l’ardeur du désir. C’est vous qui avez élevé la température révolutionnaire du prolétariat. »


Sources : La Croix du 23 novembre 1909, du 4 décembre 1909, du 19 janvier 1910, du 30 août 1911 ; L’Univers du 28 janvier 1910 ; La Petite République du 4 janvier 1910 ; Wikipedia ;

Poison scolaire, ou les Manuels condamnés par l'épiscopat par Hégésippe Verax, 1910.

Je vous invite à lire cet article qui est le témoignage d'une ancienne petite écolière d'avant-guerre, dans une école laïque. 

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