Exclusif - A la découverte du château du mystérieux baron de Pierre de Simandre-sur-Suran (Ain)

 

La pierre levée à l'entrée du hameau de Thioles (Simandre), tout près de la Terre des Potences.

J'ai découvert le baron de Pierre en rédigeant l'article sur le menhir de Pierrefiche à Simandre. Ce mystérieux personnage, sur lequel on ne sait quasiment rien, mais que la tradition juge sanguinaire, m'a donné envie de faire quelques recherches et de partir sur ses traces. En effet, grâce aux très utiles indications que nous donne le géologue Frédéric Tardy en 1892, il est aujourd'hui encore possible de retrouver les vestiges du château du baron. Une chance que l'endroit où ils sont situés n'ait pas été remplacé par un entrepôt ou un lotissement ! 

Avant de vous narrer mes découvertes je tiens à préciser que cet article semble être une première sur la toile. En effet, je découvre que personne encore, ni sur un blog, ni sur le site de la commune de Simandre, ni dans le journal régional n'a parlé des vestiges du château. Si toutefois cela devait se produire suite à la lecture de cet article, je vous prie de bien vouloir le citer en source. Merci. 

Ce que l'on sait du baron de Pierre

Le fief du baron n'a jamais été nommé par Samuel Guichenon, le célèbre avocat, historien et généalogiste qui a rédigé en 1650, 4 tomes très complets sur l'Histoire de la Bresse et du Bugey. Guichenon est LA référence sur laquelle tous les historiens de Bresse et Bugey se basent avant de publier leurs travaux.

Dom Ambroise-Marie Bulliat (1) de l'ordre des Chartreux, estime que le fief du baron de Pierre ne remonte pas au-delà du XVe siècle, époque à laquelle les princes de Savoie, maîtres de nos provinces, les divisèrent en comtés, marquisats et baronnies. Il cite une pièce d'archives de Simandre, preuve de l'existence de ce fief : « En l'an 1771, par acte cité devant Blanchon, notaire, les chartreux de Sélignac cèdent un terrain sur lequel ils avaient une rente appelée : « Rente du baron de Pierre ». Cette rente avait déjà été reconnue, en 1440 au terrain Hugonin, par les descendants Villars, et en 1687, devant Me Duraffour, par François Jacquier, dit Lomont, de Simandre ».

(1) Dom Bulliat est l'auteur (entre autres) de Chartreuse et seigneurie du Val-St-Martin de Sélignac (1884), de Chartreuse de Seillon (1890) et de La chartreuse Sainte Marie de Portes (réédité en 2001).

La Chartreuse de Sélignac. 

Jules Baux, dans son Histoire de la Réunion à la France des Provinces de Bresse, Bugey et Gex (1852), mentionne un sieur « baron de Pierre » : « En l'année 1596, pour la préservation de ses États de Bresse, Charles Emmanuel voulut mettre Bourg à l'abri d'une surprise. Dans cette vue, il dépêcha le baron de Pierre pour arrêter, de concert avec le marquis de Treffort, avec le commandant de la citadelle et les syndics de Bourg, les mesures de défense et de conservation exigées par les circonstances ». [La citadelle de Bourg était un vaste ouvrage fortifié, en forme de pentagone étoilé, qui s'étendait du Mail aux environs de la Charité, et du boulevard du Champ-de-Mars au-delà de la ligne du chemin de fer. Elle sera démolie à partir de 1611 pour permettre d'agrandir la ville.] 

Plan de la citadelle de Bourg, 1876. Source : Wikipedia.

Le fief du baron de Pierre devait comporter, parmi ses privilèges, celui de rendre la justice (expéditive apparemment). Tout près de son château se trouvait un lieu appelé La Terre des Potences. Sur cette terre se trouvaient deux pierres levées que la tradition représente comme ayant été les fourches patibulaires (1) du baron. Sur ces pierres, reposait encore, à la fin du XVIIIe siècle, une barre en bois qui aurait servi aux exécutions. C'est vers le milieu du même siècle qu'ont été retrouvés à cet endroit un certain nombre de squelettes de suppliciés qui avaient tous une jambe repliée sur l'autre. Les dernières pierres du gibet ont été enlevées entre 1830 et 1840, et le lieu où elles se trouvaient a pris le nom de Sur les Laves.

Pourquoi les suppliciés retrouvés avaient-ils tous une jambe repliée sur l'autre ? Personne ne se pose la question ni ne l'explique dans les textes relatant la découverte de ces squelettes. Il m'a donc fallu chercher plus avant et la réponse se trouve peut-être dans le Traité des instruments de martyre et des divers modes de supplice employés par les païens contre les chrétiens (édition originale italienne de 1591, traduit par un inconnu en 1904). Ce livre, plutôt éprouvant à lire, traite en détail des modes de tortures sans nombre et des instruments de supplice. (Si seulement l'homme avait eu moins d'imagination...). Nous apprenons donc dans ce recueil, que certains suppliciés étaient suspendus par un seul pied, ou mieux, par un pied élevé au niveau de la tête, un feu lent étant allumé au-dessous, de façon à les suffoquer par la fumée. En d’autres occasions, ils étaient suspendus par un pied, la jambe étant repliée au genou, et une bande de fer fixée autour de cette jointure. Puis un poids de fer était attaché à l’autre pied, de telle sorte que les malheureuses victimes se trouvaient écartelées misérablement. D'après les deux exemples ci-dessous, tirés du livre précédemment cité, on peut supposer que notre fameux baron de Pierre utilisait le supplice de la suspension par un seul pied qui laissait ensuite un cadavre avec une jambe repliée sur l'autre. 

Figure C : Martyr suspendu par un pied ; l’une des jambes est pliée au genou et est maintenue au moyen d’un cercle en fer, l’autre étant chargée d’une lourde masse de fer.

Figure B : Martyr pendu par un seul pied, un feu lent étant allumé au-dessous de lui afin de le suffoquer ; la victime était en même temps frappée avec des bâtons.

(1) Les fourches patibulaires étaient un gibet constitué de deux colonnes de pierres ou plus sur lesquelles reposait une traverse de bois horizontale. Placées en hauteur et bien en vue du principal chemin public, elles signalaient le siège d'une haute justice et le nombre de colonnes de pierre indiquait le titre de son titulaire. Les condamnés à mort étaient pendus à la traverse de bois et leurs corps étaient laissés sur le gibet pour être exposés à la vue des passants et dévorés par les corneilles (corbeaux, selon plusieurs chansons). L'origine du terme (du latin patibulum : « croix », « potence », « perche ») remonte aux temps des Romains qui, après avoir dépouillé le condamné à mort de tous ses habits, lui faisaient passer la tête dans une fourche, et son corps attaché au même morceau de bois était battu à coup de verges jusqu'à ce que le condamné mourût de ses souffrances. Les fourches patibulaires sont apparues au début du XIIe siècle. Elles étaient en général placées sur une hauteur, hors des villes, bourgs et villages, et ordinairement près d'un grand chemin et dans un lieu bien exposé à la vue des voyageurs afin d'inspirer au peuple l'horreur du crime. nMalgré le caractère macabre de ces constructions et la mauvaise odeur qui s’en dégageait, le voisinage des fourches patibulaires était souvent garni de cabarets, car les pendaisons étaient un spectacle très couru au Moyen Âge. Le nombre des piliers de justice des fourches patibulaires variait suivant la qualité des seigneurs qui les construisaient : seul le roi pouvait en avoir autant qu’il voulait, les ducs en avaient huit, les comtes six, les barons quatre, les châtelains trois et les simples gentilshommes hauts justiciers, deux. Tout haut justicier devait posséder des fourches patibulaires qui manifestaient son pouvoir de justice.

Les piliers de justice (fourches patibulaires) du château de Kerjean (Finistère). Source : Wikipedia.


Les colonnes de justice de Kergroadez en Plourin (Finistère). Source : Wikipedia.

Le château

En 1939, il ne restait du château du Baron de Pierre que quelques rangs de grosses pierres enfouies sous les feuilles, les broussailles et la mousse. Quelques fouilles superficielles ont permis de déterminer l'allure générale du château. Il avait la forme d'un rectangle, mesurant intérieurement vingt-quatre mètres sur seize, et orienté, suivant sa plus grande longueur, dans la direction Nord-Est, Sud-Ouest. On distinguait encore assez vaguement, la trace de tours rondes, aux quatre angles qui permettaient une surveillance facile de la région. 

Une autre question se pose ici. Pourquoi ce château a-t-il disparu alors que d'autres plus anciens sont encore debout ? Cette fois-ci c'est le mystère total car je n'ai rien trouvé du tout. Il ne reste qu'à inventer une histoire qui dirait que le baron et son château représentaient un si mauvais souvenir pour la population, qu'à la mort du diabolique personnage, elle a démantelé sa forteresse pour l'effacer du paysage. 

Quoi qu'il en soit, puisqu'il restait encore quelques pierres apparentes en 1939, j'ai supposé qu'elles étaient peut-être toujours visibles aujourd'hui. J'ai relu les indications de Tardy et je suis partie à la chasse au trésor ! Petite chasse en réalité, car je n'ai pas eu beaucoup de difficultés à trouver les restes du château. Le lieu a peu changé depuis 1892 et c'est d'ailleurs assez incroyable quand on voit le nombre de maisons, de lotissements et d'entrepôts qui ont été construits depuis à Simandre. J'avoue que je pensais revenir perdante de cette quête. En même temps, je m'imaginais la tête de celui ou celle à qui j'aurais pu dire que je comptais suivre des indications datées de 129 ans ! (J'ai finalement joué la carte de l'abstention, c'était plus prudent.) 😙 J'en profite pour dire une nouvelle fois combien il n'est pas vain de lire des vieux livres, et cette fois-ci, j'en apporte la preuve ! 

Comment se rendre au château

Au grand carrefour de Simandre-sur-Suran (hôtel-restaurant Tissot), prenez la D98 en direction de Jasseron / Drom et de la forêt de La Rousse (ancienne route de Bourg). Suivez la route. Passez devant le local des sapeurs-pompiers, puis la grande entreprise de plastique, tous deux situés sur votre droite. Prenez la première route à droite après l'entreprise (chemin de la Rousse), elle longe la lisière de la forêt. Avancez sur cette route jusqu'aux chemins forestiers encadrés par des pierres (peut-être celles du château !). Arrêtez-vous, vous êtes presque arrivé ! Depuis la route vous avez vue sur l'entreprise de plastique. Sur votre gauche se trouvent les chemins forestiers.

L'entreprise de plastique. Les chemins sont sur la gauche.

Ce chemin s'enfonce dans la forêt. Ne le prenez pas (ou alors au retour pour continuer votre promenade). Le bon chemin est sur la droite, indiqué par une grosse pierre. 

La grosse pierre. Prendre le chemin sur la droite (qu'on ne voit pas sur cette photo), qui longe la lisière de la forêt.

Avancez sur le chemin jusqu'à une source située sur votre gauche, au pied d'une butte qui est l'un des points les plus élevés de l'orée du bois. L. Marin disait de cette source qu'elle était fraîche et limpide et  qu'on la nommait, dans le pays, la fontaine des oiseaux, la source du sanglier, ou le cabaret de Béranger. Bon, ce jour-là pour moi, elle était fraîche mais pas limpide. 

La source.

La source trouvée, vous êtes arrivé ! Grimpez sur la butte et vous verrez quelques pierres moussues disséminées. Ce sont les seuls vestiges apparents du château du baron de Pierre. Quête terminée ! 💪😎 Merci Tardy ! 

Je suppose que beaucoup de gens se promènent dans cette forêt et qu'ils ont tous vu ces pierres. Mais savent-ils ce qu'elles représentent ? S'imaginent-ils qu'elles sont les derniers vestiges d'un château dont le propriétaire était un odieux personnage ? Ils le sauront dorénavant, s'ils tombent un jour sur cet article. 😉 

Pierres disposées en arrondi. Petite tour ? Puits ?

La baignoire ? 😉





Pour conclure cet article, une petite info sur les autres curiosités de la commune de Simandre (la première étant le menhir). La seconde se trouvait dans la forêt de la Rousse : les chênes mariés. Ce sont deux arbres qui se soudent à une certaine hauteur pour n'en former plus qu'un. Malheureusement ces arbres ont été détruits par une maladie au début des années 1900.

Photo d'un chêne marié par M. A. Hudellet, 1891.

La troisième est la petite rivière de la Rande qui prend sa source au nord de Dhuys dans un petit bois. Le Gour de la Rande est un grand entonnoir, d'une dizaine de mètres de profondeur, dans le fond duquel se trouvent des pierres. Généralement, il y a un peu d'eau au fond du gour, parfois même il est à sec ; mais lorsqu'il pleut avec persistance, l'entonnoir se remplit en peu de temps par la partie inférieure, puis déborde en donnant naissance à la rivière de la Rande qui continue à couler parfois pendant assez longtemps, en débordant sur les prairies qui forment sa vallée. Elle passe le long de la forêt de la Rousse, à l'est de la terre des Lunes et du château du Baron de Pierre, et après un cours de six kilomètres environ, elle tombe dans le Suran. Vous trouverez le Gour de la Rande sur Google Maps avec une photo. 

SourcesTraité des instruments de martyre et des divers modes de supplice employés par les païens contre les chrétiens (édition originale italienne de 1591, traduit par un inconnu en 1904).
Jules Baux, Histoire de la Réunion à la France des Provinces de Bresse, Bugey et Gex, 1852.
Dom Ambroise-Marie Bulliat,
Chartreuse et Seigneurie du Val-Saint-Martin de Sélignac, 1884. 
Tardy, dans le Bulletin de la Société de géographie de l'Ain, 1892. L. Marin, Annales de la Société d'émulation, agriculture, lettres et arts de l'Ain, 1939.



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