Descendance : Le pont de Neuville-sur-Ain est un peu le mien !

 


La petite histoire personnelle

J'ai appris il y a peu de temps, une information étonnante concernant ma famille paternelle. Mon père m'apprend que sa mère, ma grand-mère donc, Yolande Aubry, descend de Claude Charles Aubry de La Boucharderie.

Claude Charles Aubry de La Boucharderie via Wikipedia.

Ce jour-là, il m'appelle et me dit : "Tu iras voir la page Wikipédia du général  Claude Charles Aubry de La Boucharderie. C'est un ancêtre de ta grand-mère. Il y a du beau monde dans la famille !" Puis il raconte : "Papa, Maman et moi avons vécu à Lens de 1939 à 1942. Un jour, Papa est revenu très tôt de son travail, la mine déconfite. Arrivé à la Poste de Lens où il travaillait, il avait découvert que le bâtiment avait complètement disparu, remplacé par un immense trou rempli de gravats. Ses collègues du service de nuit avaient tous été tués. Durant ces années pénibles à Lens, je voyais quasiment tous les jours mes grand-parents maternels qui avaient une maison, rue de la Gare, à 500 m de chez nous. Enfant, je m'intéressais beaucoup à ce que je voyais. Un des murs du salon était décoré par un grand panneau multicolore. J'ai demandé à mon grand-père ce que c'était et il m'a répondu que c'étaient les décorations reçues par un de ses ancêtres qui était général d'Empire sous Napoléon, avec en particulier une légion d'honneur qui lui avait été remise par Napoléon lui-même pour faits de bravoure lors de la retraite de Russie au pont de la Bérézina. Dans le même temps, Napoléon l’avait nommé Comte Aubry de la Bouchardière. Cette nomination fit que les Aubry vécurent durant le XIX ° siècle dans une certaine opulence. L’un d’eux eut une existence assez romanesque : prêtre défroqué, il devint le secrétaire particulier de la Princesse Bibesco de Roumanie et son immense culture lui fit rencontrer Marcel Proust, dont il devint un familier. Passionné dès mon plus jeune âge par la lecture, je me rappelle avoir eu entre mes mains des échanges épistolaires entre lui et Marcel Proust et passé des heures à les déchiffrer."

Je n'ai jamais été fan des militaires (pas plus que de Napoléon d'ailleurs), mais puisque c'est la famille..., je me suis donc rendue sur la fameuse page Wikipédia. Alors effectivement, ce monsieur dont je n'avais absolument jamais entendu parler a de sacrées références ! Si l'on aime le patriotisme, les faits d'armes et les particules, on ne peut que se dire que c'est vraiment super trop cool d'avoir un ancêtre tel que lui. Mais personnellement, tout cela m'a laissé de marbre. Ce n'est pas son parcours militaire qui m'a stupéfié en lisant sa bio, mais le fait qu'il était le fils de Nicolas Aubry, un homme qui s'est illustré par quelques ouvrages d'art, tels le pont de Neuville-sur-Ain, ainsi que le château Moyret, toujours à Neuville-sur-Ain. 

Claude Charles Aubry de La Boucharderie sur l'Arc de Triomphe. CP photo : Cyprien P.

Quand je parlais d'information étonnante en début d'article, je faisais donc allusion à Nicolas Aubry (qui n'a même pas l'honneur d'avoir une page Wikipédia). C'est tout de même plus classe de descendre d'un gars qui a construit de belles choses que d'un autre qui a tué un tas d'autres gars sur les champs de bataille. Chacun son truc ! 

Incroyable découverte, car voici maintenant 30 ans que je foule les pavés de Neuville-sur-Ain, que j'ai une vue directe sur le pont Aubry depuis la maison, que je le contemple chaque jour en m'émerveillant et en réalisant combien j'ai de la chance d'avoir une vue pareille. Je l'ai photographié des dizaines de fois, sous tous les angles ; je me suis renseignée sur son histoire, sa construction, son créateur... De plus, la rue Nicolas Aubry se situe à l'extrémité du pont, côté rive droite de l'Ain, et chaque fois que je lis son nom sur la plaque, je pense à ma grand-mère. Je me dis que c'est drôlement chouette que ce cher Nicolas me renvoie le souvenir de son visage doux et souriant. Et pour cause ! Incroyable donc de vivre justement dans ce village, par pur hasard en réalité, car je n'ai ni famille, ni attaches dans l'Ain. Mais maintenant si ! Se trouver des ancêtres bressans, alors qu'on se croit moitié ch'ti, moitié d'Italie, c'est un petit peu troublant. Je me sens, du coup, un peu plus "légitime" ici, moins "lyonnaise", comme me l'ont parfois fait remarquer certains autochtones. Mais de moins en moins avec le temps, car les nouveaux lotissements, les nouvelles maisons en pagaïe que les gens font construire, grignotant un peu plus chaque jour nos petits coins de nature (grrrr), ont vu déferler une vague de nouveaux venus pas forcément du coin (et pas forcément enclins à dire bonjour d'ailleurs...)

Rue Nicolas Aubry à Neuville-sur-Ain et Rue de la Bouchardière à Charnoz-sur-Ain.

Yolande Aubry

Yolande Marcelle Aubry est née le 5 janvier 1922 à Bully-les-Mines dans le Pas de Calais, décédée en 1994 à Valenciennes. Elle fut l'épouse de René Ernest L., né en 1914 à Cuincy (Nord) , décédé en 1984 à Douai. Elle était la fille de Edmond Lucien Georges Aubry et de Noémie Marcelle Richard, née en 1900, décédée en 1946 des suites d'un fibrome. Ma grand-mère a toujours été une femme discrète. Femme au foyer, comme l'étaient de nombreuses femmes à l'époque, elle a élevé deux garçons, tenu sa maison et soutenu son mari. Très belle femme, elle a cependant eu droit à son petit coup de projecteur, puisqu'on la retrouve en photo dans la presse du Nord, lors de la première Foire Commerciale de Lens, qui a eu lieu en 1937. Elle était Reine de la Foire, elle avait 15 ans.  


Son père, Lucien Aubry, était cadre aux Houillères Nationales à Lens. A ce titre, il a permis à des dizaines de personnes, lors de la seconde guerre mondiale, d'accéder pendant les bombardements aux caves des archives qui se trouvaient 3 ou 4 étages sous terre. Sa mère, Noémie Richard, épouse Aubry, était une couturière modiste réputée à Lens. Elle avait une clientèle huppée dans toute la région. C'est d'ailleurs ce qui lui a sauvé la vie lorsqu'elle fut arrêtée par les Allemands pour faits de résistance. Elle était très impliquée dans le sauvetage des aviateurs Anglais ou Américains abattus par la DCA Allemande, qu'elle se chargeait de cacher, nourrir, déguiser en civil, avant de les envoyer en ... Espagne, puis le Portugal, d'où ils pouvaient repartir par sous-marins jusqu'à Londres. Lors de son arrestation, dénoncée certainement par quelqu'un "qui lui voulait du bien", une de ses clientes de la haute bourgeoisie qui avait des accointances avec les allemands (...) s'est porté garante de son intégrité et elle fut relâchée sans subir de violences (en fait je n'en sais rien mais je le lui souhaite). Mon père raconte : "Nous allions très souvent chez elle passer l'après-midi et Maman en profitait pour essayer les derniers chapeaux ou robes qu'elle avait confectionnés. Un après-midi, en arrivant chez elle, nous eûmes la surprise de voir sa porte entrouverte. Maman la pousse, et derrière, la Gestapo nous attendait. Une dizaine de soldats allemands fouillait toute la maison de la cave au grenier, avant d'emmener Nounou (Noémie Richard) pour interrogatoire. Mais ils ne purent rien trouver et Nounou fut relâchée 3 jours après grâce à l'aide d'une de ses clientes qui a plaidé sa cause."

De gauche à droite : 2 dames inconnues, Noémie Richard, Lucien Aubry et son chapeau, Yolande Aubry, mon papa, Jean-Claude L. dans les bras de son papa, René L.

Ma grand-mère, Yolande Aubry, et mon papa chez Nounou.

Noémie Richard aka Nounou.

Nicolas Aubry 

On sait beaucoup moins de choses sur lui que sur son fils. Les faits d'armes sont apparemment plus importants pour la postérité que la construction de ponts, ouvrages qui représentent pourtant une ouverture sur le monde...
Nicolas Aubry, né en 1727 à Bourg-en-Bresse, était inspecteur général des Ponts et Chaussées des provinces de Bresse et Bugey, puis inspecteur-général dans la même partie et membre de la Société royale d'Émulation de Bourg, sa patrie. Il était propriétaire du château de Messimy à Charnoz (Ain). Il a eu deux enfants avec sa femme Marie-Josèphe Gauthier : une fille, Antoinette-Joséphine à qui le château de Messimy dit du Loyat à Charnoz-sur-Ain fut légué, qui a épousé le lieutenant-colonel du Génie Vincent Duparc de Peigné, et un fils, le général Claude Charles Aubry de La Boucharderie qui laissa un fils : François-Joseph, baron Aubry. Nicolas Aubry s'est distingué comme savant et comme auteur d'ouvrages d'art qui rendent son nom cher au département : tel le beau pont qu'il a fait construire à Neuville, sur la rivière d'Ain. On a de lui un ouvrage imprimé à Lyon, en 1789, ayant pour titre : Questions académiques. Il renferme deux mémoires qui ont remporté des prix. Le premier en 1796 par l'Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse, sur la construction d'un pont de bois de 450 pieds d'ouverture, d'un seul jet ; le second par la Société d'Émulation de Bourg, sur les moyens de garantir les prairies de la Reyssouze de toute inondation, sans nuire au travail des moulins établis sur cette rivière. Nicolas Aubry est mort à Fontainebleau en 1799 (72 ans).

Le pont de Neuville-sur-Ain

Au milieu du XVIIe siècle, les communications entre la Bresse et le Bugey étaient difficiles. Depuis 150 ans, les rois de France cherchaient à établir une route conduisant de Lyon à Genève par Meximieux et Nantua, afin d’éviter de passer par le duché de Savoie, en raison des conflits entre la maison de Savoie et la maison de France. Le pont de Neuville-sur-Ain a été conçu par Nicolas Aubry. (Je sais, je l'ai déjà dit, c'est pour que vous ne perdiez pas le fil !) Il fut construit à partir de 1770 et achevé en 1774. Aubry se chargea de bout en bout de la réalisation du pont et des travaux annexes, y compris le détournement provisoire de la rivière et les très considérables travaux de terrassement. Ce pont à deux arches, ouvert à la circulation en 1777, est un magnifique ouvrage d'art pour lequel le souci esthétique se manifeste aussi bien dans les courbures des voûtes, le dessin des claveaux, les becs en proue de navire de la pile centrale, que dans l'aménagement des abords du pont : sur la rive droite, il y avait 2 fontaines (l'une subsiste encore en face du restaurant Au Faisan doré, pour l'autre me dire où elle est si elle existe encore), mais aussi deux petites terrasses auxquelles on accédait par des escaliers, aujourd'hui en piteux état et fermées d'accès. Les pierres des cintres et des piles sont taillées à bossages ; celles des tympans sont vermiculées, ce qui donne à ce monument un aspect hors du commun. Le pont figure à l'inventaire des monuments protégés depuis le 30/08/1946. 

Émiland-Marie Gauthey disait dans son Traité de la construction des ponts en 1832 : « Le pont de Neuville-sur-Ain  a été bâti en 1774, sur les projets de M. Aubry. Il est composé de deux arches en anse de panier, de 29m,2 d'ouverture, et il est construit et décoré avec soin. Ce pont est remarquable par la grande vitesse que les eaux prennent sous les voûtes. Il est fondé sur un rocher que l'on a même creusé, pour l'établir solidement ; on a eu beaucoup de peine à construire la levée qui y aboutit ; elle a été emportée plusieurs fois, et l'on n'a pu la terminer entièrement qu'en travaillant avec la plus grande célérité, et en saisissant le moment où les crues étaient le moins fortes. La chute qui s'y forme en rend le passage extrêmement dangereux pour les trains de bois qui descendent la rivière, et qui courent risque de se briser sur les saillies des rochers. » (Voir l'article sur les radeliers).

Dans ses Lettres à M.V., parues dans le Journal d’agriculture et des arts de 1812, cet anonyme écrit : "Je partis de Varambon pour aller visiter le pont de Neuville-sur-Ain. Ce monument fait honneur à l'ingénieur qui l'a construit. J'en ai peu vus d'aussi élégants et de plus solides en même temps. Il est composé de deux arches, d'une très belle largeur, d'une élévation bien proportionnée, et d'une hardiesse remarquable. Les parapets forment balustres du côté de la rivière, et sur le chemin présentent un parapet qui ne laisse apercevoir ni la rivière ni sa rapidité dans cet endroit. Du côté de Neuville, deux escaliers à deux rampes, placés à droite et à gauche du pont, facilitent la descente jusqu'au bord de l'eau, et donnent une grâce infinie à cet ouvrage."

Le château Moyret


Il a été construit par Nicolas Aubry. La famille Moyret en devient propriétaire en 1791. Plusieurs modifications ont été apportées au bâtiment : en 1850, construction du pavillon nord, et, en 1885, construction de la tour sud. Les platanes et la châtaigneraie du parc ont plus d’un siècle. L’exploitation agricole qui en dépendait était importante et la culture de la vigne y tenait une grande place jusqu’en 1890 (phylloxéra). La grange de Barbezan, au sommet du parc (sud-ouest), propriété Moyret depuis 1820, abrite un magnifique cuvier. [Cuve en bois dans laquelle on verse les paniers de raisins lors de la vendange.]

Le château de Messimy dit du Loyat



B. Ledon écrit en 1906 dans le Bulletin de la Société Gorini : "Le château de Loyat est une jolie maison de campagne, située à quelques minutes au midi du village, sur la route de Saint-Jean-de-Niost. Elle appartient maintenant à la famille Messimy qui l'a véritablement transformée. L'habitation, une simple maison rectangulaire il y a quelques années, a été agrandie d'une aile de bâtiment qui en rompt la monotonie et à permis l'établissement d'une superbe véranda. Le vaste enclos a été planté de sapins et offre partout avec ses pelouses, ses allées sinueuses, ses bouquets d'arbres, le plus gracieux aspect. Il se prolonge jusqu'au delà de la route, sur les pentes abruptes des bords de l'Ain couvertes d'un épais fourré de verdure. Un superbe moulin à vent va chercher l'eau à 35 mètres de profondeur pour la répandre partout avec la fraîcheur et la fertilité. Cette demeure n'est pas seulement intéressante par son confort actuel ; elle l'est aussi par le souvenir de ceux qui l'ont habitée. Au moment de la Révolution, le propriétaire était M. Aubry de la Bouchardière. M. Aubry de la Bouchardière avait une fille, Joséphine, qui épousa François-René-Vincent Duparc de Peigné. Ce dernier était lieutenant-colonel de génie et chevalier de l'ordre royal et militaire de St Louis, ainsi que de la Légion d'honneur. Après sa mort, arrivée en 1833, sa veuve vendit la propriété de Charnoz à Jean-Baptiste-François de Montherot, beau-frère de Lamartine. Celui-ci eut un fils, Jean-Charles, qui devint ambassadeur à Carlsrhue (Gd Duché de Bade) et une fille, Jeanne-Louise-Marie, mariée à Gabriel Passerat de la Chapelle. C'est d'eux que vient la famille de la Chapelle qui habite le château de la Rouge près de Meximieux. M. Ernest de la Chapelle vendit la propriété de Loyat à la famille Messimy. Au temps où le château était habité par M. de Montherot il a dû être plusieurs fois visité par le grand poète des Méditations. Celui-ci devait aimer à venir y contempler les beaux spectacles de la nature dont il était si avide, et à s'y reposer dans la société de sa sœur et de son beau-frère, poète lui aussi, à ses heures."

Au début du 20ème siècle le château de Loyat est rebaptisé Messimy, du nom d'Adolphe Messimy qui en a hérité et qui fut député, sénateur de l’Ain, et maire de Charnoz durant 2 décennies. C’est l'époque de sa splendeur avec une roseraie exceptionnelle et un bassin d'agrément digne d’un manoir anglais ; l'eau était amenée par une éolienne depuis un puits voisin. Plus tard, la famille Messimy n’occupant plus le château, celui-ci servit pendant plusieurs années de colonie de vacances, d'abord pour les enfants des employés des Câbles de Lyon puis de Renault R.V.I. En 1986 il devint la mairie de Charnoz-sur-Ain. Aujourd'hui, le parc se transforme en un lotissement géant rempli de maisons en carton et même d'un immeuble ! Un terrain de foot se situe à quelques mètres, une école est collée à l'arrière à environ 5 mètres et le reste est en plein bétonnage. Adieu essences rares et jolies roses ! Le château se loue pour des réceptions ou mariages. Sur la pub on peut lire : "Le château Messimy est situé dans un écrin de verdure." Les futurs mariés risquent de faire pas mal la gueule lorsqu'ils découvriront le bel écrin de ce château !

Sources :
Mon papa ! 
M. Depéry, Biographie des hommes célèbres du Département de l'Ain, Vol 1, 1833.
Chaix d'Est-Ange, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIXe siècle, 1903-1929. 
Richesses touristiques et archéologiques du canton de Pont-d’Ain, 1989.
B. Ledon, Curé de Charnoz, Bulletin de la Société Gorini, 1906.
Wikipedia.

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