Louise Pioda, une burgienne courageuse sous l'occupation

 

Louise Pioda

« La notion de « Résistance civile » tend d'abord à désigner la quotidienneté d'un état d'esprit de résistance, au sein d'une société occupée ou dominée par une puissance étrangère. En général, c'est ce qu'on appelle la « résistance des anonymes », par définition non spectaculaire, faite de milliers de petits actes oppositionnels. »
- Extrait du Dictionnaire historique de la Résistance, sous la direction de F. Marcot, collections Bouquins, édition Robert Laffont, 2006.

Dans l'Ain, terre aux mille visages, les femmes, de toutes générations et de toutes conditions, se sont élevées dans l'ombre de la Résistance. Avec un dévouement inébranlable, elles ont soutenu les hommes de leur vie - époux, frères, fils - engagés dans cette lutte acharnée. Leur rôle ne s'est pas limité au soutien moral ; elles sont devenues les piliers de cette résistance, cachant les armes, offrant refuge et soins aux combattants épuisés. Elles sont incarnées par des âmes aussi courageuses que Marie-Thérèse Gambier, Henriette Cribeillet, Lucie Durand, Célestine Billaudy, Thérèse Sommier. D'autres femmes, telles que Marcelle Appleton, Louise Pioda, Jeanne Moirod, Colette Lacroix, Georgette Grosfiley, Michette Rosenthal, Anne-Marie et Jeanne Dargaud ou Thérèse Morrier, ont joué un rôle crucial en tant qu'agents de liaison, artères vitales de cette résistance clandestine. Elise Bret, Marie Guercet et Yvonne Guercet, les femmes de l’Hôtel Bret à Echallon (article sur ce blog), furent les premières personnes de la région à prendre la responsabilité d'héberger les réfractaires de la déportation en Allemagne. Elles ont également transformé leur hôtel en centre d’accueil pour maquisards. Paulette Mercier, veuve endeuillée par la brutale disparition de son époux lors de la tragique rafle de Nantua, s'est muée en ange gardien des maquisards, soignant leurs blessures avec une détermination silencieuse. Dans le même temps, Pierrette Brochay et Madeleine Perrot, ont assuré le rôle d'assistantes sociales clandestines au sein des Mouvements Unis de la Résistance, soutenant les familles de résistants et maquisards frappées par la répression impitoyable de l'ennemi nazi. 

Mais l’histoire, souvent écrite par des mains masculines, a trop souvent relégué ces femmes au second plan, oubliant que dans le cœur de chaque combat, bat le même courage, indépendamment du genre.

Il me paraissait nécessaire de poser ces mots en préambule pour rendre justice à ces femmes vaillantes. Un jour, peut-être, le temps et les archives me permettront de tisser, pour chacune d'elles, un récit à la hauteur de leur bravoure. Mais pour l'heure, c'est vers Louise Pioda que se dirige ma plume, éclairant son parcours d'une lumière méritée.

En avril 2023, la Ville de Bourg-en-Bresse, en collaboration avec la Ligue des Droits de l'Homme, a rendu hommage à deux femmes de la Résistance : Louise Pioda et Hélène Bash. Leurs prénoms ont été ajoutés sur les plaques de rues de leur frère et mari, Paul Pioda et Victor Bash, rappelant ainsi à tous.tes que derrière chaque grand homme, il y a une femme. Il faut savoir qu’à  Bourg, ce n'est qu'en 1929 que les rues commencent à se parer de noms de femmes, avec Marguerite de Bourbon et Marguerite d’Autriche. Mais jusqu'aux premiers souffles du XXIe siècle, à peine une quinzaine de dames ont été gratifiées de cet honneur. Une bien modeste reconnaissance dans l'immense fresque de l'Histoire.

Carte de combattant volontaire de la résistance.
Archives départementales de l’Ain, 1548 W 1.

Louise fait son entrée au monde le 21 juin 1904, sous le ciel changeant de Bourg-en-Bresse et la tutelle de ses arbres centenaires. Fille de vitrier, on lui inculque dès son plus jeune âge les vertus de la lumière et de la transparence. Plus tard, elle opte pour une vie de commerçante, simple et sans prétention, une existence rythmée par le chatoiement des étals et les échanges familiers avec les habitant.e.s de sa ville natale.

Mais un jour, le cours tranquille de son existence prend un tournant inattendu. L'ombre de la guerre s’étend sur la France. Commence alors une époque tourmentée, où l'humain se révèle dans toute sa complexité, capable du pire comme du meilleur. Louise n'est pas de ces héroïnes flamboyantes que l'on croise dans les romans d'aventure. Elle est plutôt de celles dont la bravoure se tisse dans l'ombre, loin des regards. Dès 1940, elle entre tout naturellement en résistance. Mais c'est au printemps 1941 que sa vie prend un tournant décisif, lorsqu'avec son frère Paul, ils établissent un contact avec Yvon Morandat, peu après son parachutage en provenance de Londres. Ensemble, ils fondent le groupe « Libération », en compagnie d'Emmanuel d’Astier.

Louise (tout comme son frère) est prise d'une aversion profonde pour le régime de Vichy, et c'est avec détermination qu'elle transforme son domicile en refuge pour les résistants, leur offrant aide et soutien. Son rôle ne se limite pas à cela : elle se consacre également à la fabrication de fausses pièces d'identité (passeports pour la survie) et à la dissimulation de matériel militaire. Au sein de la section de propagande, elle distribue tracts et journaux, renforçant la communication entre les membres actifs de la Résistance. Quand les autres pensent à plier bagage, Louise monte au front. Pas avec des fusils et des grenades, mais avec ce qu'elle a : du courage et un sacré tempérament. On est loin du tricot et des parties de Monopoly ! 

Une anecdote célèbre raconte que le gouvernement britannique a utilisé des éditions spéciales de Monopoly pour aider les prisonniers de guerre alliés détenus par les nazis à s'évader. Ces éditions contenaient des cartes codées, de l'argent de différents pays, et d'autres outils d'évasion cachés dans les boîtes de jeu. Les prisonniers de guerre alliés étaient autorisés par la Convention de Genève à recevoir des colis de la Croix-Rouge et d'autres groupes humanitaires, ce qui a facilité la distribution de ces jeux spéciaux​.

Le premier coup dur frappant le groupe « Libération » survient en 1941, avec l'arrestation de Marcelle Appleton et Raymond Sordet, compagnons de résistance de Louise et Paul Pioda depuis fin 1940. Si la discipline du silence parfaitement observée par les personnes arrêtées ne permet pas à Vichy d’inculper Louise et Paul à ce moment-là, ils n’en sont pas moins inscrits sur une liste de suspects dressée par la Préfecture et Vichy. À partir de ce moment, Marcelle, Raymond, Louise et Paul subissent des pressions constantes. Lorsque la zone libre est envahie, le préfet Thoumas rassure Paul en lui affirmant qu'il n'a plus rien à craindre de la police française, promettant une solidarité face à l'occupant allemand. Mais lors de l'évasion d'un officier aviateur canadien, des ordres de perquisition sont émis et la police de Vichy commence à traquer les résistants, les désignant aux forces allemandes.

Le 18 juin 1943 marque un jour sombre : Paul est arrêté par la milice. Il ne s'agit d’abord que d’un internement administratif. Mais suite à la défaillance d'un camarade, il est inculpé pour activités terroristes, condamné et emprisonné à Eysses (Lot-et-Garonne). Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce centre de détention devient le lieu de rassemblement le plus important de prisonniers politiques condamnés par le régime de Vichy pour « menées communistes, terroristes, anarchistes ou subversives. » En octobre 1943, la prison « accueille » la grande majorité des détenus politiques issus de 24 établissements pénitentiaires, principalement situés dans la zone Sud. Les mois qui suivent voient l'arrivée de prisonniers en provenance de la zone Nord, au point qu'au 18 février 1944, l'établissement compte 1430 détenus, et devient, à 90%, une prison de résistants. Le 19 février 1944, une bataille est déclenchée à l'occasion de la visite de l'inspecteur général des prisons : 1 200 résistants de 23 nationalités se rendent maîtres des lieux dans l'espoir de gagner les maquis du Lot-et-Garonne. Ils font prisonnier le directeur de la centrale, un milicien, ami de Joseph Darnand, secrétaire général au Maintien de l’ordre de Vichy, ainsi que 70 gardiens et membres du personnel. Paul Pioda préfère négocier une capitulation pour éviter un bain de sang. Après plus de treize heures de lutte, les prisonniers se rendent, ayant obtenu l'assurance du directeur de la centrale qu'il ne serait pas exercé de représailles. Darnand, cependant, ne partage pas cette vision et opte pour l'exécution. 12 « mutins » sont condamnés à mort et fusillés en représailles de l'insurrection. Paul est jeté au cachot, privé de vivres, puis finalement remis aux Allemands avec 1 121 autres prisonniers. Après un passage en Isère, il est déporté à Dachau puis à Flossenbürg, où il est exécuté le 31 octobre 1944. En son honneur, une plaque commémorative est installée rue Victor Basch à Bourg-en-Bresse.

Malgré cette épreuve déchirante, Louise endure, continue. Elle organise, renseigne, réconforte, prépare, transmet, sans jamais flancher, et cela malgré la menace constante. Sous la direction d'Yvon Morandat, partenaire de Jean Moulin en zone sud, elle joue un rôle clé dans l'organisation des opérations de résistance, de la coordination des groupes à la préparation des parachutages, en passant par des actes de sabotage : elle tisse des liens solides entre Lyon, l'Ain et les maquis. Mais le 5 juin 1944, la milice l'arrête. Elle endure quinze jours d'emprisonnement dans les caves de l'Hôtel de l'Europe. Relâchée, puis arrêtée de nouveau par cette même milice, elle n'échappe que miraculeusement à une perquisition allemande. Ce jour-là, sont entreposés dans sa cave, des uniformes allemands, des grenades, des mitraillettes, des explosifs, des faux papiers... Les Allemands, incapables de déjouer le mécanisme de la porte de la cave qui s'ouvrait de l'intérieur, ont battu en retraite sans trop insister : un tour du destin aussi cocasse qu'inespéré.

L'appel - Gravure d'Henri Gayot, résistant déporté au camp de concentration de Natzweiler-Struthof.

Après la guerre, Louise s'engage en politique, devenant l'une des trois conseillères municipales de Bourg de 1945 à 1947 sur la liste d'Amédée Mercier. Elle se marie le 30 juillet 1946 avec Marcel Dard, un homme façonné par les mêmes tourments. Elle prend également la présidence du Comité départemental de liaison des Combattants de la Paix et de la Liberté. Elle continue de porter la voix des sans-voix, de celleux qui, comme elle, ont connu la noirceur de la guerre et aspirent à la lumière de la paix. En septembre 1949, dans l'Eclaireur de l'Ain, elle exprime son rejet de la guerre, motivé par ses souffrances personnelles et la conviction que seule l'union peut prévenir de futurs conflits : « Pourquoi je vote pour la Paix ? Tout simplement parce que je suis contre la guerre. Mon mari est ancien prisonnier. Mon frère Paul est mort en déportation dans les bagnes hitlériens. Comment oublierai-je cela ? Parce que la guerre qui ne profite qu’à un petit nombre d’individus amène trop de malheurs, trop de souffrances et de ruines aux pays et aux peuples qui la subissent. Parce que je pense contribuer ainsi au rassemblement des partisans de la Paix dont l'union sera assez puissante pour empêcher la guerre. Parce que, de la même façon que l'union de tous les résistants est parvenue à triompher de l’occupant, l'union de toutes les forces de paix rendra la guerre impossible. Parce que j'estime de mon devoir d'ancienne résistante de continuer maintenant le même combat en luttant pour sauver la Paix, par l’union du peuple, de tous les peuples. Pourquoi je vote pour la Paix ? Parce que la guerre est inhumaine et qu'il faut que l’on ne revoit plus jamais ça ! ».

Louise en 1945

Louise Pioda est honorée pour son courage et son engagement : elle reçoit la Médaille de la Résistance en 1947, la Croix de Guerre en 1948, et plus tard, la prestigieuse Légion d'honneur. Des reconnaissances qui ne peuvent toutefois pas effacer les cicatrices, les nuits blanches, les peurs, les pertes... 

Décédée en 1995 à l'âge de 89 ans​​, elle demeure une figure de résilience, une femme dont la force tranquille et la détermination discrète rappellent celles et ceux qui, face à l'adversité, choisissent l'amour, la vie, la liberté. Alors, en vous baladant dans les rues de Bourg-en-Bresse, tendez l'oreille, vous pourrez peut-être entendre l'écho des pas décidés de Louise, une résistante qui ne résistait pas à l'envie de faire un pied de nez à l'oppression. Un petit bout de femme qui, avec ruse et courage, a écrit sa propre légende dans un monde sombrant dans le chaos.

Pour en savoir plus : Petit documentaire réalisé par la ville de Bourg.
La Résistance dans l'Ain et le Haut-Jura (DVD-Rom PC & Mac).
Témoignage de Louise Pioda recueilli par Marcelle Appleton (Archives Nationales)


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