Les publicités murales peintes et les affiches Saint-Raphaël Quinquina

 

Ambérieu-en-Bugey (Ain).

Le Saint-Raphaël est un apéritif à base de mélange de mistelle et de plantes aromatiques. Deux variétés existent, le Saint-Raphaël Rouge et le Saint-Raphaël Ambré-Doré. Il est élaboré à partir de mistelle rouge ou blanche dans laquelle macèrent des écorces de quinquina, d'orange amère, des gousses de vanille, des amandes de fève de cacao et différentes plantes aromatiques. Après réfrigération et filtration, le Saint-Raphaël est embouteillé dans une bouteille à la forme typique, au col resserré à sa base et au fond plat. C’est en 1920 que cette forme dite de bouteille à col arrondie a fait son apparition. En 1962, sa forme évoluera afin que le col soit encore plus marqué et devienne définitivement la signature du Saint-Raphaël.

Une version de l'histoire attribuerait l'invention de l'apéritif à Mathieu Soupe, pharmacien à Paris, 15 rue de la lingerie (Pharmacie Au bon samaritain), dans le 1er. Fake ! On lit dans les Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire de 1921, que la marque « Saint-Raphaël Quinquina » fut déposée en 1890 à Lyonpar Pétrus Juppet (prénommé Pierre dans certains journaux), un travailleur aux convictions robustes et aux idées larges. Le siège de sa société était située au 36, rue de la Gare. Il vendait en gros des vins fins d'Espagne qu'il stockait dans de vastes entrepôts situés à la Duchère. Le développement de son affaire, tant en France qu'à l'étranger, où il possédait des succursales et des agences, a fait de son établissement une des plus importantes entreprises française (qu'il rebaptisera Saint-Raphaël Quinquina en 1897 et qu'il délocalisera sur Paris, au 18 rue Parmentier pour l'usine et au 8 rue du Parc Royal pour le siège). L'usine déménage ensuite à Ivry, une autre est construite à Sète (34). 

L’histoire commence en 1830, lorsque Adhémar Juppet (père de Pétrus), homme actif et énergique, travaille à la mise au point d’un apéritif à base de quinquina et de vin. Il œuvre jours et nuits dans son petit atelier lyonnais pour réaliser son breuvage. Très affaibli, il redoute de perdre la vue et pense alors à l’épitaphe biblique dans lequel l’Archange Saint Raphaël guérit Tobie de sa cécité. Il se jure alors que s'il échappe à ce triste sort, il donnera le nom de l'archange à sa boisson. Quelques journées de repos plus tard, il retrouve un tonus suffisant pour continuer ses recherches et réussit à élaborer sa recette. Comme promis, il donne à sa création le nom de « Saint-Raphaël Quinquina » - qui n'a donc rien à voir avec la ville touristique de la Côte d'Azur.  

Première publicité avec l'archange Saint-Raphaël.

Cette marque eut cependant quelques problèmes avec la justice. Lorsque Pétrus Juppet fit son dépôt de brevet pour l'invention de son père, le greffier ajouta sur celui ci : « Marque destinée à désigner des vins vendus par le déposant, pour en indiquer la qualité et la provenance ». Or, dans la pensée de Juppet, le vocable « Saint-Raphaël » fait incontestablement allusion à l’archange Saint Raphaël dont l’effigie triomphante figure debout sur le globe terrestre, dans la marque déposée. On lui reproche donc de s'approprier le nom de la ville de Saint-Raphaël dans le Var. Mais la cour de justice tranche et décide que la marque Saint-Raphaël accompagnée du qualificatif quinquina est valable. 

La Calotte du 13 février 1898.

Vendu en pharmacie comme fortifiant, le Saint-Raphaël a longtemps mis en avant les vertus excitantes du quinquina. Dans le journal Le Pêle-Mêle du 26 février 1899, on lit : « Le Saint-Raphaël Quinquina est le tonique souverain, ne fatiguant jamais l'estomac en raison des principes qui le composent et, son usage quotidien rend, en faveur de l'homme, le combat inégal, et assure, par conséquent, la victoire définitive. Pris consécutivement, ou alterné, le Saint-Raphaël Quinquina poursuit sans arrêt sa tâche de reconstitution ; il régénère et transforme les tempéraments les plus faibles ; il vivifie les êtres les plus débilités et les plus chétifs. C'est une force de la nature emmagasinée dans un verre. » La quinine, tirée de l'écorce du quinquina est fébrifuge, aide à soigner les plaies et blessures, a un pouvoir antiseptique et cicatrisant, rend plus résistant aux maladies et c'est également un antipaludéen naturel. Des caisses de Saint-Raphaël Quinquina sont donc envoyées aux blessés militaires des armées de terre et de mer. C'est la consommation favorite du corps d'occupation au Tonkin, et l'armée anglaise, au Soudan, l'emploie comme un puissant fébrifuge. Pétrus Juppet, persuadé des vertus thérapeutiques du breuvage en offre même 50 000 bouteilles aux pauvres. Un gentil industriel donc, soulignons-le, ils sont si rares... 

Publicité de 1899 promettant une longue vie à ceux qui boivent un verre avant ou après les repas.

Distribué rapidement sur l'ensemble du territoire français puis européen, le Saint-Raphaël traverse l'Atlantique. À l'exportation, vers les colonies ou l'Amérique, la marque prend le qualificatif d'Apéritif de France. La maison Saint-Raphaël met rapidement en œuvre des techniques marketing pour accroître sa notoriété, comme la mise en place d'une montgolfière géante aux couleurs de la marque pour l'exposition universelle de Paris en 1900. Pilotée par l'aéronaute Léon Lair, les montées sont offertes aux visiteurs. 

Publicité pour le Saint-Raphaël à l'occasion de l'Exposition Universelle de 1900.

À partir de là, le Saint-Raphaël Quinquina prend un essor considérable. On estime ce succès à la qualité du produit, à sa publicité répétée et affichée sur tous les murs et palissades de France, mais aussi à l'évolution des mœurs qui fait de l'apéritif une nécessité sociale. La société produit 140 000 hectolitres par an et augmente sa production d'année en année. Ce succès l'oblige à faire face à de nombreuses contrefaçons et la société enchaîne les actions en justice. La responsabilité des imprimeurs est même mise en cause : « Sont passibles de peines sévères (dommages-intérêts, amende et emprisonnement), les imprimeurs qui fabriquent des étiquettes considérées par les Tribunaux comme étant une imitation frauduleuse, susceptible de créer une confusion avec une marque déjà existante. » Un arrêt rendu par la Cour d'appel de Paris en 1904, condamne l'imprimeur Dupré à 50 francs d'amende ; à payer à la Société du Saint-Raphaël Quinquina la somme de 500 francs à titre de dommages et intérêts, et à l'insertion de l'arrêt dans cinq journaux. Malgré le coût des procès et la perte financière due aux contrefaçons, Pétrus Juppet n'est pas à plaindre puisqu'il achète en 1905, la demeure du marquis de Talleyrand-Périgord, duc de Dino : le château de Montmorency. Palais qu'il mettra à disposition pendant la Grande Guerre, pour soigner les blessés et recueillir les permissionnaires. 

Pub trouvée dans un journal pas recommandable daté du 14 avril 1927.

En 1908, l'archange est remplacé par deux garçons de café appelés les « jumeaux », l'un de couleur rouge et l'autre blanc pour symboliser les deux variétés du Saint-Raphaël. Ils seront redessinés plus tard par Charles Loupot. 

La première apparition du thème des « jumeaux », trouvée dans le journal La Publicité du 1er janvier 1908. 

Donc non, les « jumeaux » ne sont pas nés en 1932 comme l'affirment Wikipédia et le site Saint-Raphaël... 

En 1936, Max Augier, chef de la publicité et futur patron de Saint-Raphaël, fait l’importante rencontre de Charles Loupot, peintre affichiste de renom au style unique, l'un des créateurs majeurs de la période de l’entre-deux-guerres, aux côtés de Cassandre, Jean Carlu et Paul Colin. Les deux hommes mettent rapidement en place une véritable coopération autour de la marque.

Charles Loupot

En 1937, Max Augier commande à Charles Loupot une affiche à l’occasion de l’exposition internationale des arts et techniques de Paris. Pour Loupot, les contraintes des annonceurs sont lourdes : conserver les trois couleurs de la marque et les deux garçons de café. Il trouve alors l’idée de représenter les jumeaux au‐dessus du Champs de Mars, en utilisant de manière astucieuse les 3 couleurs nationales. Pour l'occasion, une tour éphémère Saint-Raphaël est construite à côté de la Tour Eiffel, au centre du Champ de Mars. Cet édifice est qualifié de « magnifique réalisation de l’art français, symbolisant trois belles qualités : Finesse, Force et Gaieté. » Il est inauguré par de nombreuses vedettes (Josette Day, Simone Cerdan, Viviane Romance, Ginette Leclerc, Marcel Vallée, Jean de Letraz et tant d'autres, sans oublier Pauley et Armand Bernard) et reçoit des centaines de milliers de visiteurs venus déguster un verre de Saint-Raphaël servi très frais avec un zeste de citron. 

L'affiche de Charles Loupot, 1937.


Le Journal, 14 juillet 1937.

Juste après, Charles Loupot amorce un véritable tournant pour Saint-Raphaël en redéfinissant toute la ligne graphique de la marque. Cela passe par la réalisation d’un nouveau lettrage du nom de la marque en écriture scripte, et par une nouvelle version des deux garçons de café se basant sur des formes géométriques strictes. Les deux silhouettes de Loupot sont inspirées par deux acteurs : Armand Bernard et Paul Marien, dit « Pauley ». Dès la fin de la guerre, Loupot redessine le motif des garçons de café qu’il fait évoluer vers une version encore simplifiée.

Les acteurs ayant servi de modèles à Loupot. La Tribune des fonctionnaires, 26 juin 1937.

1937 par Loupot.

1938 par Loupot.

En 1945, Max Augier crée pour Loupot un atelier spécialement dédié à Saint-Raphaël. L’affichiste fait alors appel à Werner Häschler, un jeune graphiste suisse. Ensemble, ils mettent en place un système modulaire permettant de réaliser l’ensemble des visuels de la charte graphique émanant de la marque, dont le célèbre logo Saint-Raphaël.

Mur de l'atelier Loupot.

Il sort l’affiche très classique des deux garçons de café représentés de face, image dont il s’inspirera les années suivantes et qui sera déclinée et déstructurée sous différentes formes et divers objets. Il divise également le nom en plusieurs parties et utilise les unités abstraites constituées par les syllabes St-Ra-pha-ël.


En 1947, l’artiste Rolf Ibach rejoint l’agence « les Arcs » créée par Max Augier pour Loupot, et participe à faire vivre la nouvelle charte graphique stylisée. Il est chargé d’appliquer l’identité à chaque type d’images. Il assure le suivi de l’installation des murs peints, le marquage des véhicules et réalise des stands d’exposition. En quelques années seulement, Loupot et Ibach font peindre en France plus de 3000 fresques murales et font recouvrir des centaines de véhicules (autobus, trains...) aux couleurs de Saint-Raphaël. Ces campagnes de communication déstructurées soulignent avec intelligence le talent et le modernisme de Charles Loupot.

Loupot.

Loupot.

En 1954, la marque s’investit dans le sport : elle sponsorise une équipe du Tour de France pendant près de 10 ans, et assure la promotion de ses produits. Partageant le même patronyme, l’équipe Raphaël Germiniani-Dunlop, créée en 1954, porte les couleurs caractéristiques de la marque (rouge, noir et blanc) durant toutes ces années. (1) Le succès est alors au rendez-vous, ce qui continue à renforcer l’enthousiasme autour de l’apéritif et sa présence dans la vie quotidienne des Français. 
(1) Ce n'est pas vraiment une nouveauté puisque Saint-Raphaël offrait déjà des bourses et des médailles aux sportifs avant la première guerre mondiale. En 1936, la marque offre également 100 000 francs à l'aviateur français qui réussirait à battre le record du monde de vitesse. Raymond Delmotte était d'ailleurs pressenti comme challenger.


Une campagne de 1962 annonce une évolution dans la forme de la bouteille au col cassé qui devient encore plus marqué. Charles Loupot s’éteint cette année-là, laissant en héritage pour Saint-Raphaël et pour l’Art un patrimoine inestimable. Abandonnant l’approche purement graphique suivie par Loupot pendant plusieurs décennies, Saint-Raphaël oriente sa communication autour de moments de vie. C’est le temps des slogans durant lequel de grands artistes s’associent volontiers au succès de la marque, comme l’humoriste Bourvil ou encore la chanteuse Dalida. [Fernandel vantait la marque bien avant] :

L’Intransigeant, 26 novembre 1937.


La bouteille de 1962.

Aujourd'hui tombé en désuétude en France (mais on peut l'acheter à Carrouf), l'apéritif est très présent et apprécié au Québec. Propriété de la marque Bacardi-Martini, il a été racheté par l'entreprise Boisset, elle-même reprise par le groupe La Martiniquaise en 2009.

Sources :
Wikipedia
Saint-Raphaël
Annales de la propriété industrielle, artistique et littéraire, 1921.
La Publicité,
1908 et 1919.
Le Panthéon de l'industrie, 1892.

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Pubs murales d'aujourd'hui gentiment prêtées par mes collègues Instagram que je remercie !

Nationale 7 par Anne-Marie.

Provenance inconnue par Anne-Marie.

Retournac (43) par Anne-Marie.

Dans la Creuse par Alain Baraquie.


Autres pubs Saint-Raphaël

Le Progrès de la Somme, 2 juin 1937.

« L'apéritif préféré des petits et des grands. » 

Le Journal, 31 août 1937.

Paris-soir, 7 octobre 1937.

« Automobilistes, n'oubliez pas... Saint-Raphaël vous protège contre la soif et la fatigue de la route ! »
Arf ! 

Loupot

Loupot

Loupot

Loupot

Loupot, 1959.

Paul Colin














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