Les publicités murales peintes et les affiches Suze
La Chapelle (01)
Tout comme le Dubonnet, l'origine de la Suze possède deux histoires, c'est pour cela que depuis de nombreuses années la Suisse et la France se disputent la paternité de l'apéritif. Plus d'un siècle après sa commercialisation, son origine reste controversée, mais pour le propriétaire de ce célèbre apéritif, le groupe Pernod-Ricard, il n'y a pas le moindre doute, c'est à Fernand Moureaux que l'on doit ce breuvage. Quelle histoire se rapproche le plus de la réalité ? On ne le saura peut-être jamais. Suisses et Français, vous pouvez donc continuer à vous battre !
Histoire 1 - En France :
En 1885, Fernand Moureaux hérite de la distillerie familiale créée en 1795, la maison « Rousseau & Laurent » située à Maison-Alfort (94). C'est la naissance de la société F. Moureaux & Cie. Afin de sauver l’entreprise au bord de la faillite, il s’associe à Henri Porte, le fils de son banquier, pour créer un nouvel apéritif. Les grands apéritifs de l'époque se nomment Byrrh, Saint-Raphaël, Dubonnet ou encore Cusenier. Il faut donc inventer un apéritif d'un genre nouveau. Tous deux croient en l’avenir des apéritifs frais et en la puissance d’une marque, et prennent le contre-pied de ce qui se fait alors communément : leur apéritif sera non à base de vin mais à base d’une plante, la gentiane, dont la racine amère est connue pour ses qualités toniques et digestives. C'est d'abord en famille que l'on teste ce nouveau breuvage qui est aussitôt particulièrement apprécié par la belle-sœur de Fernand Moureaux, Suzanne Jaspart, que l'on appelait « Suze » lorsqu'elle était enfant. Fernand Moureaux avait alors coutume de dire « Comme d’habitude, servez une gentiane pour Suze. » Qu'à cela ne tienne, les deux associés décident de donner à leur apéritif le diminutif de Suzanne !
Histoire 2 - En Suisse :
L'origine du nom pourrait également provenir du nom du cours d'eau éponyme situé dans le Jura bernois, lieu d'origine du produit. En effet, la Suze aurait été créée dans une modeste bâtisse en contrebas du Pré-aux-Bœufs (lieu-dit du village de Sonvilier), juste à côté du cours d'eau la Suze. Pour les anciens de la région, c'est un herboriste du village de Sonvilier, Hans Kappeler, qui a mis au point la formule. [Un petit musée avec des objets de la marque Suze, des bouteilles aux cendriers, a même été aménagé dans les combles de l'école.] La boisson ne s'appelait pas alors Suze, mais l'« Or des Alpes », une sorte de potion à base de gentiane qu'Hans Kappeler vendait dans les fermes de la région avec d'autres eaux-de-vie. Ruiné et en mauvaise santé, ce distillateur aurait été dans l'obligation de vendre sa formule à un négociant français du nom de Fernand Moureaux... Il lui aurait d'ailleurs prédit que « cet apéritif coulera en France comme la Suze à nos pieds. » L'écrivain Raymond Bruckert, de Plagne (canton de Berne) pense qu'Hans Kappeler a mis au point la mixture, « même s'il subsiste des zones d'ombre. » Selon ses recherches, la vente de la formule à Moureaux aurait eu lieu vers 1914. D'autres éléments viennent étayer cette thèse, notamment la composition de la potion : l'ingrédient principal de la Suze est la gentiane jaune qui pousse dans les pâturages jurassiens. Mais il y a également le témoignage de la fille d'Hans Kappeler : en 1998, à l'âge de 95 ans, elle déclarait que son père avait vendu sa formule à un industriel français. Comme la célèbre bouteille brune porte la mention « Depuis 1889 » alors que la vente de la formule n'aurait eu lieu qu'en 1914, les Suisses échafaudent plusieurs hypothèses : Moureaux a-t-il modifié la composition de son breuvage après s'être rendu à Sonvilier ? A-t-il voulu éliminer un concurrent en lui rachetant sa recette ? L'entière vérité ne sera sans doute jamais connue, d'autant qu'Hans Kappeler n'a jamais déposé le moindre brevet. À cela on ajoute un classeur de documents sur cette histoire qui a disparu de façon mystérieuse du petit musée de Sonvilier...
À sa création, la Suze est un alcool fort : 32° et 80 g de sucre par litre. En 1945, un changement important dans la fabrication de la boisson entraîne la baisse de la tenue en alcool. La Suze ne titre plus qu’à 16° (21° en Suisse) et à 200 g de sucre par litre. La teneur en alcool se stabilisera par la suite à 15°.
En 1889, Fernand Moureaux présente sa « création » à l’Exposition Universelle et reçoit les honneurs d’une médaille d’or. Les parisiens sont conquis et les bistrotiers n'ont de cesse de servir le joli « jaune ». La réussite de la Suze est telle qu'elle supplante les autres alcools de la maison qui prendra le nom de Distillerie de la Suze en 1922 et cela jusqu'en 1965 où elle sera absorbée par Pernod.
Le bulletin vinicole, 28 mai 1903.
En 1895, la nouvelle boisson se rend un peu plus célèbre grâce à une affiche créée par le célèbre dessinateur animalier, Benjamin Rabier, auteur de la bande dessinée Gédéon. Son œuvre présente deux ânes se désaltérant dans un baquet marqué « Picotin » car c'est le premier nom que les associés ont donné à la Suze. La marque est alors surnommée l'apéritif américain. Mais le concurrent Picon réagit et colle sur les affiches de Rabier un bandeau avec l'inscription « Enfin les ânes ont trouvé leur apéritif » ! C'est à ce moment-là que les deux associés décident de changer le nom de leur breuvage et de l'appeler Suze, nom facile à prononcer et à retenir.
En 1896, afin de démarquer la Suze des autres apéritifs, Henri Porte s’inspire d’une bouteille dénichée dans son grenier pour créer une bouteille de couleur ambrée, longue, et au col court. Si le logo et l'étiquette ont évolué au cours du XXème siècle, en revanche, plus de 100 ans après, la Suze conserve sa fameuse bouteille à la forme si reconnaissable.
La publicité pour la Suze s'installe sur les murs, dans les journaux, sur les transports en commun. Mais elle est freinée au départ par son appellation qui mentionne « Gentiane Suze » et les consommateurs commandant une gentiane, consommaient souvent une imitation. Enguerrand de Vergie, le gendre d'Henri Porte, pense alors à remédier à ce problème en remplaçant l'appellation par « Suze à la gentiane ».
En 1912, Picasso lui consacre un tableau : Verre et bouteille de Suze de la série dite des « papiers collés. »
Pablo Picasso, Verre et bouteille de Suze, 1912.
C'est ainsi que les ventes décollent, passant de 900 000 litres annuels durant les années 1920, à 13 millions dans les années 1930. La société « Distillerie de la Suze » ouvre une deuxième distillerie à Pontarlier au plus près de l’extraction des racines de gentiane, illustrée par la célèbre affiche de l’arracheur de gentiane.
L’arracheur de gentiane par André Roz, 1929.
Tout comme le Saint-Raphël, la Suze fut l'objet de contrefaçons. Par exemple, en 1924, la Cour d'appel de Lyon a condamné la Société du B.S. qui vendait un apéritif sous les dénominations de « Gentiane Muse » et « Muse » : « En rapprochant les deux marques et en examinant en détail leurs éléments, on constate une similitude de consonance et d'aspect de nature à tromper l'oreille et le regard et des consonances qui ne peuvent être le résultat d'une rencontre fortuite et ont été manifestement voulues et calculées dans le but illicite de provoquer la confusion entre les marques. La dénomination de « Muse », qui a le même nombre de lettres, et sensiblement la même consonance et le même aspect que celle de « Suze », est une imitation de cette dernière, a été conçue de telle sorte qu'une confusion a pu et peut s'établir dans l'esprit des clients distraits ou insuffisamment avertis. Il convient d'observer que la clientèle du B. S. est en partie composée d'un grand nombre de petits débitants de la ville de Saint-Etienne et de la campagne environnante, qui sont peu lettrés et ont pu facilement être trompés. La fable imaginée par la Société, intimée pour justifier l'adoption par elle de la dénomination « Muse » est puérile et inadmissible ; de plus la dite Société parait ne pas être de bonne foi. Le fait de faire figurer la marque sur une facture délivrée en même temps qu'un produit autre que celui émanant du propriétaire de ladite marque, constitue un acte de concurrence déloyale pouvant donner ouverture à une action en dommages-intérêts. » Pour ces motifs, la Cour a condamné la Société du B. S. à payer à la Société anonyme de la Distillerie de la Suze la somme de 10.000 francs de dommages-intérêts pour réparation du préjudice éprouvé et à l'insertion à leurs frais de l'arrêt dans trois journaux.
La Publicité, 1er janvier 1931.
Recommandée par des médecins, la Suze est surnommée « L’amie de l’estomac » à partir des années 30. Les publicités promettent des bienfaits : « Elle ouvre l'appétit mais barre la route à l'obésité », « À boire des alcools, tout l'organisme s'use. Mais on le fortifie quand on boit de la Suze. »
En 1933, la marque sponsorise le Tour de France. Elle développe pour l’occasion un cocktail mélange de Suze et de liqueur de cassis, appelé « Fond de culotte ». La culotte ici, est celle des coureurs cyclistes avec ce jeu de mots : « Un fond de culotte ne s’use qu’assis ».
Pendant la seconde guerre mondiale, le gouvernement de Pétain à Vichy, restreint la vente d'alcool car il le rend responsable de la défaite. Les ventes chutent mais l'usine reprend son activité à la libération.
Dans les années 50 et 60, Suze édite un journal quotidien lors des Tours de France. L'accordéoniste Yvette Horner assure le succès de la marque en parcourant les routes du Tour, jouant de l'accordéon, perchée sur un véhicule Citroën peint aux couleurs noire et jaune de la marque. C'est ce qui la rend populaire et lui fait gagner le surnom de « Suzy la rousse ».
La société diversifie sa gamme avec Suze 16°, Suze Liqueur, Gin Suze et le vin doux Vabé pour concurrencer Bartissol. Malgré son slogan « Qui boit Vabé va bien », ce produit se vend mal et conduit la distillerie à la faillite. Alors dirigée par Enguerrand de Vergie, elle trouve en Pernod et son président, Jean Hémard, un sauveur qui s'en porte acquéreur en 1965.
Suze recevra quatre grands prix aux Expositions Universelles de Paris (1889), Turin (1911), Gand (1913) et Bruxelles (1935).
La publicité
Les publicités pour la Suze observent une constante : le graphisme est toujours le même, les lettres sont noires, ombrées de blanc et écrite sur fond jaune. Cette répétition inlassable permet d'identifier immédiatement le produit, tout comme des noms tels que Menier, Dubonnet, Citroën, Quintonine, le lion de Peugeot, la lune des pâtes Bozon-Verduraz, ou les deux garçons de café de Saint-Raphaël Quinquina qui sont riches de toutes les associations qu'ils peuvent susciter dans le conscient et le subconscient de millions d'individus.
En 1974, Suze choisit le ton humoristique pour combattre à la télévision et au cinéma le fléau de la contrefaçon avec la célèbre campagne du professeur Lambert qui, avec sa « Ruse », ne parvient pas à imiter la Suze. Le thème de l'imitation est développé dans les campagnes suivantes : « Depuis 1925, 180 imitations de notre bouteille », « 180 imitations, le goût de la Suze y est sûrement pour quelque chose », « Suze, un goût inimitable », ou encore « En 50 ans, seule Suze a réussi à imiter la Suze ».
Durant les années 1980, Suze met en avant les plaisirs variés de sa dégustation : « Qui goûtera, croira », « Mon drink c'est Suze », « Je m'excuse, c'est l'heure de ma Suze », « J'ai osé, j'ai goûté, j'ai aimé ».
Les années 90 voient arriver le lancement de Suze Tonic avec les slogans « Suze Tonic, le goût sur la glace », puis « Suze, fille de Gentiane ». En 1998, les cocktails sont à la mode et la marque associe la Suze aux jus d'agrumes : « Pour Suze giclent les oranges », « Pour Suze se pressent les citrons ». Nouveau ton quand Jean & Montmarin, agence de la marque depuis 1992, fait prendre à la bouteille différentes poses autour de laquelle l'étiquette s'anime. La longue bouteille se présente avec une nouvelle étiquette, plus contemporaine. Le graphisme stylisé, l'impression gaufrée, la mise en valeur de la date de création « 1889 » et ses nombreuses médailles, ainsi que les mentions des spécificités d'élaboration renforcent le caractère authentique de la marque.
Suze, 1998.
Les années 90 et 2000 voient également arriver les séries de bouteilles sérigraphiées et les objets divers signés par des grands noms de la mode et du design tels que Giorgetto Giugiaro, Jean-Charles de Castelbajac, Paco Rabanne, Thierry Mugler, Christian Lacroix, Sonia Rykiel, ou encore l'architecte Jean Nouvel qui créera un verre Suze. En 2010, une édition limitée de cet amer blond rend hommage à l’artiste Jean Cocteau (né la même année que la Suze et la Tour Eiffel), en reprenant sur sa bouteille l’un de ses dessins de gentiane.
Cependant, à partir du milieu des années 2000, l’amertume n’est plus de mise dans les apéros. C'est l'effet du formatage des palais par l’agroalimentaire vers plus de fadeurs douceâtres et sucrées. De plus, le goût amer de la gentiane a du mal à conquérir les moins de 50 ans. Depuis le record de 1982 avec 15 millions de bouteilles vendues, la chute est sévère. Il ne s’en vendait plus que 6 millions en 2006, et sans doute 5 en 2011. Peu à peu, la Suze disparaît de derrière les comptoirs. Mais Pernod, déjà confronté à une chute structurelle de la consommation d’anis, ne se résout pas à ce déclin et entame un travail de remise au goût du jour de la Suze. Tout d'abord la gamme s'élargit d'une Suze aux fruits rouges, d'une Suze rétro baptisée Saveur d’Autrefois et d'une Suze bière. La gamme repart mais surtout grâce aux voies détournées, comme l'apparition de l'apéritif dans des séries ou films, et peut-être (pourquoi pas hein ! 😊) grâce à mes petits articles remettant au goût du jour les apéros vintage !
Le célèbre amer est aujourd’hui produit dans l’usine historique de Thuir située dans les Pyrénées Orientales, à 13 kilomètres à l’ouest de Perpignan. Ancienne gare de triage des caves Byrrh, un vin additionné de mistelle et aromatisé à la quinine (très bon !), c'est une impressionnante structure architecturale, dont le créateur n’est autre que Gustave Eiffel. Au plafond, une composition de tôles et de boulons ne laisse nul doute sur la paternité de l’endroit (voir photo), signature particulière qui rappelle le viaduc de Garabit et, bien sûr, la tour Eiffel. Pour ses 120 ans, en 2009, Suze rend hommage à Eiffel avec la création d’une bouteille à son nom qui s’habille d’armatures métalliques. Aujourd’hui, l’usine de Thuir produit les marques Byrrh, Suze, ainsi que Pernod Absinthe.
Sources :
Bernard C. Galey, De mémoire de marques, dictionnaire de l'origine du nom des marques, 1997.
Bernard C. Galey, De mémoire de marques, dictionnaire de l'origine du nom des marques, 1997.
Bulletin de la Chambre de commerce de Paris du 22 novembre 1924.
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Usine et dépôts
Les usines de la Suze à Maison-Alfort.
En 1911.
En 1930, Moureaux & Cie met en place un réseau national de distribution comprenant plusieurs dépôts à travers la France, assurant la livraison à domicile à sa clientèle par un service d'automobiles comprenant plus de 140 camions.
Maison de la Suze à Lyon.
Maison de la Suze à Bordeaux.
Maison de la Suze à Marseille.
Entrepôt de Lille.
Entrepôt de Lyon.
Entrepôt de Marseille.
Quelques publicités murales d'aujourd'hui
Saint-Sorlin-en-Bugey (01)
Saint-Maurice-de-Rémens (01)
Saint-Rambert-en-Bugey (01)
Sennecey-le-Grand (71)
Ardèche par Alain Baraquie.
Creuse par Alain Baraquie.
Creuse par Alain Baraquie.
Haute-Loire par Alain Baraquie.
Suze recouvrant Byrrh, Creuse, par Alain Baraquie.
Florac (48) par Alain Baraquie.
Villefort (48) par Alain Baraquie.
Publicités d'hier
Clermont-Ferrand (63)
Enghien-les-Bains (95)
Villemomble (93)
Villemomble (93)
Linas (91)
Suze Vabé, Laon (02)
Varennes-sur-Allier (03)
Champigneulles (54)
Saint-Mandé (94)
Baugé (49)
Argenton-sur-Creuse (36)
Ablon (14)
La Voulte-sur-Rhône (07)
Annonay (07)
Beaufort (39)
Brest (29)
Brest (29)
Chalon-sur-Saône (71)
Courcelles (23)
Jujurieux (01)
Malo Les Bains (59)
Mézières (35)
Nogent-sur-Seine (10)
Orville (21)
Quingey (25)
Sarcelles (95)
Senlis (60), bombardée par les allemands.
L'Isle-sur-le-Doubs (25)
Albert Monier - La rencontre des parallèles, Paris.
Camion publicitaire.
Montreux (Suisse)
1935
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